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L'avocat du diable : réseaux sociaux et sensibilisation

De Justin Padawan - Posté le 12 octobre 2016 à 10h57 dans Informatique

La sensibilisation se définit par le fait de rendre un individu réceptif à quelque chose pour lequel il ne manifestait pas d'intérêt. Cette définition se retrouve de plus en plus sur les réseaux sociaux qui, par leur côté libre et délivrant, permettent de faire tomber nos tabous contemporains, de la sexualité au suicide en passant par les débats sociétaux les plus épineux.. La culture populaire sous-estime grandement l'empreinte "façonneuse" en terme d'éducation que peuvent avoir les réseaux sociaux, fréquentés par un public de plus en plus grand et jeune. Décryptons tout ceci. 

Un nouveau vecteur d'éducation

Ce n'est pas moi qui vais vous l'apprendre : les générations se succèdent et ne se ressemblent pas forcément. En 2016, les vecteurs d'éducation ne sont pas les mêmes qu'il y a 20, 30 ou 40 ans. Certains -et fort heureusement- subsistent : l'école, la famille et les amis forment toujours le triangle central de l'éducation. D'autres en revanche, s'essoufflent peu à peu : la religion perd sensiblement la prestance qu'elle a pu avoir lors du siècle dernier. Enfin, de nouveaux vecteurs apparaissent, comme les réseaux sociaux par exemple qui peuvent véhiculer des messages chez les jeunes, par leur commodité générationnelle.

facebook

A travers notre génération 2.0, nos portables sont, comme le disent nos parents, greffer à notre main. Et à faire défiler notre fil d'actualité tout au long de la journée, on en apprend des choses, de la plus farfelue à la plus ludique. N'avez-vous jamais vécu l'expérience de ce pote en soirée scotché à son portable qui, d'un coup, relève sa tête en vous demandant de lire l'article sur lequel il est tombé : "On vous a menti : les cigarettes ne sont pas cancéreuses" ? Imaginez maintenant cette même scène chez deux gamins de 14 ans qui font défiler leur fil d'actualité semblable au votre. En termes de façonnement d'opinion, Internet -et dans le même ordre les réseaux sociaux- est une révolution, qui peut parfois s'avérer dangereuse par le manque de recul que peuvent avoir les jeunes.

Les tabous de la société 

En terme de tabous, les réseaux sociaux permettent de faire tomber quelques barrières. Derrière un écran, les gens se sentent plus libres, et surtout moins seuls. Prenons l'exemple évident de l'homosexualité. Puisque des individus assument pleinement leur homosexualité sur les réseaux sociaux, une sorte de confiance et de proximité s'installent chez d'autres homosexuels qui vont à leur tour s'assumer peu à peu. C'est un cercle vertueux qui témoigne du progrès social que peuvent apporter les réseaux sociaux. Je pense qu'en France, l'homosexualité n'est plus du tout un tabou, et que les réseaux sociaux ont contribué à la promotion du statut sociétal.

Quid des autres tabous ? Très rarement des sujets comme l'euthanasie, l'avortement ou la peine de mort sont évoqués lors de repas de famille, ou même à l'école, tandis qu'ils peuvent être traités, et même de manière très volatiles sur les réseaux sociaux. Ce sont des choses dont on ne parle pas, et quand quelqu'un ose en évoquer une, tout le monde baisse la tête l'air de dire "c'est pas vraiment le moment là...". Et pourquoi ? Je suis d'accord que c'est un "sale boulot", et que personne n'aime réellement en parler, mais si on n'en parle pas, rien ne peut avancer. Le viol, le suicide ou le harcèlement, qui prend plaisir à en parler ? Aucun individu censé, parce que ce sont des sujets trop graves. Donc on revient à ne faire comme si rien n'existait.

tabou

Ce "sale boulot", c'est aussi l'apprentissage politique, dans un moindre effet. Les profs appuient sur le fait qu'aller voter est un devoir essentiel en tant que citoyen, mais ils  ne donnent aucun avis politique pour faire preuve d'impartialité. D'une part, c'est logique, pour ne pas que les profs puissent mettre une pression politique sur les élèves. Mais d'une autre, c'est presque ironique de dire à quelqu'un que voter c'est essentiel si on ne lui donne aucune matière pour forger son opinion et différencier les partis. On nous parle souvent d'un désintérêt politique des jeunes, et c'est vrai, mais il est lié au fait qu'ils n'y comprennent rien. Dans un sens, parler politique dans les détails, c'est-à-dire en se positionnant clairement pour la droite ou la gauche par exemple, c'est presque un autre tabou contemporain de la société.

Oser en parler 

Donc si les professeurs refusent d'évoquer des tabous et si les parents en font de même, comment les enfants vont être sensibilisés à ces sujets ? Même les médias contournent souvent les sujets. Par exemple, actuellement, je fais des études dans le journalisme, et mes tuteurs me conseillent grandement d'éviter de parler de suicide. Parce que le suicide c'est triste, c'est un tabou, certes, et c'est quelque chose dont personne ne veut parler. Pareil pour la torture ou l'avortement, et pourtant, ce sont des choses du quotidien terriblement importantes.

On tourne un peu vers le constat sociologique et pessimiste, mais dans un sens, par leur côté indépendant, les réseaux sociaux font ce "sale boulot". Ils ont cette faculté à parler plus facilement de la réalité des choses, à prendre position, notamment sur des partis politiques mais aussi sur des débats sociétaux. On dénonce plus le racisme ou le sexisme sur les réseaux sociaux. Spontanément, on évoque beaucoup plus les guerres et les horreurs mondiales ce qui constitue pour la plupart du temps des débats (pas toujours constructifs, certes) dans les commentaires, autour de ces thèmes là. En autre, les réseaux sociaux nous sensibilisent.

rouge

Mais à quel prix ? Et surtout, est-ce une bonne chose ? Je suis quasiment sûr que les jeunes de notre génération se tiennent plus au courant de l'actualité qu'au même âge trente ans en arrière. Tout simplement parce que sur les réseaux sociaux, l'information défile instantanément ! Mais cette information est parfois bafouée, parce qu'elle n'est pas toujours objective et est certaine fois manipulée sans citer de source. Pareil pour la culture. YouTube par exemple est un immense terrain culturel qui peut avoir ses travers, parfois avec de la désinformation ou de la sensibilisation inversée : dire que la femme est inférieure aux hommes par exemple, ou que le viol n'aurait pas eu lieu si la femme ne s'était pas habillée comme une "pute".

Nous voici donc en 2016, où la société se fracture autour de questions fondamentales. Les réseaux sociaux, Internet, YouTube, est-ce que leur fréquentation est une bonne chose chez les plus jeunes quand on sait ce que l'on peut y trouver ? S'ils sont capables de nous faire ouvrir les yeux, ne doit-on pas prendre une certaine maturité, un certain recul, avoir un certain âge avant de les fréquenter ? N'est-il pas mieux de sensibiliser les jeunes générations sur le viol, le suicide ou l'avortement avant de leur expliquer que des races extraterrestres humanoïdes vivent parmi nous ? N'est-il pas non plus mieux de pointer du doigt l'échec colossal de l'éducation nationale sur la sensibilisation, quelle soit sociale, politique ou même sexuelle ? Quand on sait que les profs eux-mêmes nous disent "de toute façon aujourd'hui, on trouve tout sur Internet", n'est-ce pas là la clé du problème ? Réfléchissons à tout ça. En attendant, seul l'avenir nous le dira. 

Questions posées à LinksTheSun du Point Culture

On te voit beaucoup aborder des sujets "tabous" dans tes vidéos, comme la torture ou la peine de mort. On imagine qu'ils te tiennent forcément à cœur, mais par quels moyens tu t'es toi-même sensibilisé à ces sujets ?

Je vais mettre directement au clair quelque chose : je suis un exemple de l'échec de la sensibilisation dont tu parles dans ton article. Quand j'étais ado, je m'enfermais dans mes univers fictifs et la réalité avait finalement peu de prise sur moi (et surtout inversement). Mes connaissances en politique se limitaient à ce que j'avais retenu des discours de mes parents : "la gauche, c'est gentil mais laxiste, la droite c'est ferme mais efficace, les extrêmes c'est caca". Aujourd'hui encore, mes connaissances politiques se limitent à des clichés débiles : à droite, ils sont racistes, à gauche ils sont permissifs, à droite ils veulent creuser les écarts de richesse, à gauche ils donnent de l'argent aux feignasses et surtout, gauche ou droite, ils mentent comme ils respirent.

Pourquoi est ce que je précise tout ça ? Par souci d'honnêteté. Je connais des gens qui sont véritablement engagés, très conscients du système et du monde dans lequel ils vivent. Moi, je suis encore un enfant à l'échelle de la société, j'apprends. Mais au moins, je me permets de ne prendre la parole que sur des sujets où j'estime avoir suffisamment de recul. A l'heure actuelle, je ne me permettrais pas de parler de politique dans une vidéo. Mais concernant la torture, la peine de mort, mais aussi le harcèlement de rue, la représentation des femmes au cinéma, je pense pouvoir sensibiliser les gens de façon intelligente.

Ce sont tous des sujets que j'ai découverts assez tard. J'ai voulu faire ma vidéo sur la torture en discutant avec une amie qui est recruteuse de donateurs pour Amnesty International et qui m'avait déjà invité à en devenir membre. Ils envoient des bilans de façon régulière qui font état de leurs victoires et des combats qu'ils continuent de mener. A une heure où on ne sait plus trop où donner de la tête tellement on a l'impression que rien ne va, ça permet de se focaliser et de s'engager pour des causes précises. Concernant le harcèlement de rue et la représentation féminine au cinéma, j'étais comme tous les mecs : "J'vois pas l'problème". Je faisais partie de ces gens qui disent "Ca devrait pas s'appeler féminisme, ça devrait s'appeler humanisme parce que tous les hommes (non genrés) devraient être égaux". Ca m'a pris des années à comprendre que pour que cette égalité existe, il fallait renforcer les droits des femmes. L'humanisme, c'est autre chose que le féminisme. Le féminisme veut l'égalité de tous, indépendamment de leur sexe ou leur genre. L'humanisme veut l'égalité de tous en fonction de leur sexe, genre, couleur de peau, naissance, situation, religion, situation géographique, richesse... Donc le féminisme fait partie de l'humanisme, il se focalise juste sur une problématique sociétale. Du moins, c'est ce que j'en ai compris.

Penses-tu que l'école fait un travail efficace en terme de sensibilisation ? Que ce soit pour l'avortement, l'euthanasie ou même la religion ou la politique de manière plus large ?

Je suis dans une situation où l'école c'est devenu lointain dans le passé et dans l'avenir. J'en suis sorti depuis un bon moment et c'est pas encore demain que mes potentiels enfants s'y rendront. Mais comme je l'ai précisé dans ma première réponse, non, l'école ne m'a pas appris la politique. J'étais dans une école catholique mais là, j'ose dire qu'elle a fait ça bien pour mon éducation religieuse : elle m'a appris les valeurs du catholicisme, pas le catholicisme directement. Je suis totalement infoutu de te réciter une prière en entier mais je sais ce que c'est de pardonner. Maintenant, c'est l'exemple de mon école. Pire, c'est l'exemple de mon vécu dans cette école, on ne peut pas en tirer des généralités.

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Je pense très sincèrement que la sensibilisation est un sujet qui doit être abordé à l'école, qu'il serait plus intelligent de flinguer les tabous et de réfléchir vraiment à des problématiques sérieuses, qui existent. Mais je pense aussi que dans beaucoup d'écoles, à différentes échelles, ça doit déjà être le cas. Cependant, l'école ne fait pas tout non plus. Même si l'éducation devenait une arme de sensibilisation ultime, tu ne peux pas sensibiliser quelqu'un qui ne le veut pas. Certes, la sensibilisation par l'école est très imparfaite mais je ne pense pas qu'elle saurait être tenue pour responsable de l'insensibilité de notre génération et des suivantes.

Quand on voit la peine qu'éprouve un professeur pour faire lire un de ses bouquins au collège/lycée et qu'à côté de ça, des émissions culturelles comme la tienne cartonnent sur le web, on touche à un paradoxe, non ?

Je ne pense pas que ça soit paradoxal non : mes vidéos sortent une fois par mois, elles durent une demi-heure, les gens ont le choix de la regarder ou non et puis j'essaie de les rendre amusantes. Les cours, c'est tous les jours, 7 heures par jour, obligatoires et les profs peuvent être chiants. Sans compter que mes vidéos peuvent être appréciées en consommateur (et c'est ce que beaucoup de gens font d'ailleurs). Elles n'impliquent pas de lire des livres, voir des films, connaître telle ou telle chose... elles ne demandent rien, aucun effort de réflexion de la part du spectateur. Je ne dis pas que mon public ne réfléchit pas, je dis qu'il peut s'en passer s'il veut. Ce serait catastrophique que l'école en soit réduite à ça. Au contraire, l'école doit continuer de demander aux élèves de s'investir, trouver des façons de leur donner envie de s'investir. 

Est-ce que tu considères aujourd'hui les réseaux sociaux comme un vecteur d'éducation ? Puis, est-ce que tu te considères toi-même comme en étant un ? On peut imaginer qu'une part de ton public est assez jeune et que tes prises de position peuvent les influencer d'une manière ou d'une autre.

En ce qui me concerne, oui, c'est pour ça que je fais particulièrement attention aux messages que je véhicule. Et quand il se trouve que ces messages sont erronés ou stupides (ça m'est arrivé, comme à tout le monde), mon éthique professionnelle me pousse souvent à préciser l'évolution de mon point de vue. Mine de rien, "vous avez le droit de vous être trompés" c'est déjà un message (que tout le monde ne saisit pas, certaines personnes pensent que je devrais supprimer mes anciennes vidéos que je ne reconnais plus ou que je devrais systématiquement dire quand je me suis trompé et en quoi)... je pense que pour qu'une idée soit acceptée, elle ne doit pas être impliquée par des moyens d'oppression, de culpabilisation, etc. On doit poser l'idée là et attendre que notre interlocuteur en fasse (ou non) quelque chose.

réseaux sociaux

Maintenant, est ce que les réseaux sociaux sont vecteurs d'éducation... je pense qu'ils sont surtout vecteurs de croyance. Sans être diamétralement opposé, c'est extrêmement différent. On s'en rend beaucoup mieux compte sur des sujets avec lesquels on ne suit pas l'avis de la majorité (du moins la majorité qui s'exprime). Par exemple, dans les commentaires de 9gag, je voyais que le plus liké venait d'un gars qui disait que les trans-genres, c'était de la connerie, que tu n'étais pas supposé choisir ton genre, tu viens au monde avec et tu l'assumes, point. Un gosse qui ne connaît pas l'importance du recul se dira que vu que ce commentaire est le plus liké, ça sera sûrement l'avis qui a raison. Mais un gosse qui connaît l'importance du recul se dira "Ce mec et les 800 et quelques personnes qui ont liké son commentaire... est ce qu'ils connaissent quoi que ce soit à la problématique trans-genre ? Est-ce que c'est un trans-genre qui parle ?". Il en va de même pour le mariage gay, le harcèlement de rue, etc. En tant qu'hétéro, quel droit avons-nous à prendre position contre (ou pour) le mariage gay ? En tant qu'homme, quel droit avons-nous de dire d'une inconnue qui dit qu'elle en a marre qu'on la complimente dans la rue qu'elle abuse ou qu'elle raconte des conneries ?

Malheureusement, les réseaux sociaux nous apprennent beaucoup plus facilement la peur de l'humiliation, la popularité du sarcasme ou la nécessité d'être de l'avis du grand nombre pour sentir que son avis est légitime bien plus que l'intelligence ou le recul. 

Dernière question. Les parents n'ont pas forcément conscience de tout ce que l'on peut trouver sur les réseaux sociaux, mais toi qui les fréquentes suffisamment, si tu avais un petit frère de 13/14 ans par exemple, tu serais serein à l'idée de le voir surfer sur Facebook ou YouTube ?

Absolument pas, mais j'aurais aussi conscience que son éducation ne relève pas de moi. Si j'avais un fils de 13/14 ans par contre, je lui dirais d'éviter de porter trop d'attention à ce que disent les gens qui jugent, les gens qui parlent pour d'autre, bref je pense que je le laisserais faire ce qu'il veut, mais en le mettant en garde et en l'invitant à remettre en question ce qu'il lit. Maintenant, je pense ça à cet instant où je ne suis pas père, mon avis va peut-être évoluer au fil des années. 

Pour finir, tu veux peut-être adresser un message concluant sur le sujet, ou évoquer des associations qui luttent pour faire avancer les choses ?

Je crois qu'on a plus ou moins fait le tour du sujet mais pour les associations, personnellement je suis membre de Care, Médecins du monde et Amnesty International, ce sont de très bons moyens de se tenir informé. Si vous préférez Internet, c'est un outil et comme tous les outils, l'important c'est de savoir s'en servir. Au final, vous ne pouvez compter que sur votre bon sens et sur votre capacité à prendre du recul sur les informations. Privilégiez de vous informer auprès des concernés (vous voulez avoir une opinion sur l'euthanasie, ce sont les médecins qui en parlent le mieux, sur le suicide, ce sont les psychologues / psychiatres / psychothérapeutes, sur la peine de mort, les juristes vous expliqueront ça...). Sur Internet, vous pouvez interroger presque n'importe qui, alors n'interrogez pas n'importe qui.

Cet article a été rédigé par
un lecteur d'Hitek : Justin

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Mots-Clés : avocat du diablereseaux sociaux

Par Justin

Du haut de mes 19 ans j'ai du mal à enterrer les souvenirs d'une jeunesse nostalgique qui aura corrompu mon esprit pour toujours. De dresseur pokemon à apprenti sorcier, mon CV particulièrement étoffé se dévoilera au cours de chroniques qui feront ressortir vos plus belles expériences.

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Commentaires (3)

Par jeanLucasec, il y a 8 ans :

Très sympa cet article !

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Par StrayPaolo, il y a 8 ans (en réponse à jeanLucasec):

T'as une vitesse de lecture impressionnante.

Répondre à ce commentaire

Par FilsDeGenji, il y a 8 ans :

Tl;Nr

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