Des salles mythiques et des stades pleins, des jeunes (et des moins jeunes) en folie, des compétitions dont les récompenses dépassent l'entendement, des joueurs connus aux quatre coins du globe et dont la renommée dépasse même celle de certains sportifs : voici ce qu'est l'eSport en 2016. Un véritable phénomène de société, un sport même, comme le prétendent certains de ses adeptes. Au départ simple loisir, l'envie de compétition a vite pris le dessus, donnant une toute nouvelle dimension au jeu vidéo. Retour sur l'histoire passionnante d'une industrie qui vaudra bientôt près d'un milliard de dollars.
Les origines et les pionniers : 1997 à 2008
Dennis Fong, surnommé notamment le "Roi des joueurs" ou le "Michael Jordan des jeux vidéo", un précurseur de l'eSport
Entre le joueur et le compétiteur, il n'y a qu'un pas. Très rapidement, la simple volonté de se divertir et de s'amuser en jouant à un jeu vidéo peut laisser place à l'envie de se confronter à d'autres personnes pour savoir qui est le plus fort, et ce depuis l'apparition de jeux aussi simplistes dans le gameplay que Pong (1972).
Ainsi, ce qui était à la base restreint à quelques groupes d'amis concerne désormais une communauté gigantesque, qui réunit des personnes à la passion commune à travers le monde. Ce qui était à la base un simple passe-temps est devenu une forme de business international, brassant des millions de dollars et attirant l’œil d'investisseurs, de marques et d'entreprises comme Amazon. Désormais, l'eSport offre même des opportunités de carrière aux plus chanceux et aux plus dévoués.
Mais comment tout cela a-t-il débuté ? Dennis "Thresh" Fong était là, à ce moment où le développement des lignes internet commençait à rapprocher virtuellement les joueurs entre eux. Nous sommes en 1997, et l'homme, aujourd'hui âgé de 39 ans, remporte la Red Annihilation, considérée comme la première vraie compétition eSport de tous les temps. Sponsorisé par Microsoft, elle a mis aux prises plus de 1900 joueurs online à travers le monde sur Quake, le FPS mythique d'iD Software, avant de réunir les 16 meilleurs lors d'un évènement offline. Le prix décerné au vainqueur ? La Ferrari de John Carmack, le développeur du jeu.
Le public du CPL World Tour à Dallas (2005)
Dès lors, l'eSport avait trouvé l'un de ses pères fondateurs : Angel Munoz, qui, considérant tout le potentiel qu’il y avait pour des affrontements organisés sur les différents jeux de l’époque, fut sage de créer la première Cyberathlete Professional League (CPL). Il inventa pour l'occasion le terme de Cyber-Athlète, qui démontre bien l'expertise nécessaire pour concourir au plus haut niveau. En plus d'être l'acteur fondateur de l'eSport, la CPL donna rapidement les grands moyens à son bébé : en 2005, le CPL World Tour alignait une récompense totale de 1 000 000 de dollars.
C'est le début de la structuration de l'eSport, avec la création d'associations et d'évènements comme l'EVO (2002), dédié aux jeux de versus fighting, la Major League Gaming (2002), première ligue professionnelle dédiée aux jeux vidéo (et récemment rachetée en janvier dernier par Activision-Blizzard pour 46 millions de dollars), ou encore l'Electronic Sports World Cup (2003).
Les PC bang en Corée sont un facteur important du développement de l'eSport
L'exception coréenne
Dans le même temps, un pays commençait déjà à se démarquer comme berceau de l'eSport. En Corée du Sud, la sortie de Starcraft (et de son extension Brood War en 1998), est un événement national. Il faut dire que le jeu vidéo prend racine dans la culture même du pays : en 1987, le gouvernement décide d'équiper le pays de technologies de télécommunication comme internet, la situation idéale pour le développement d'un nouveau sport national.
Les PC Bangs, cybercafés peu coûteux dans lesquels tous les adolescents coréens pouvaient jouer, se multiplièrent et démocratisèrent à toute vitesse l'eSport. À tel point que sous la houlette du ministère des Sports naît une fédération officielle, la KeSPA (2000). Pour vous rendre compte du gouffre qui sépare les autres pays de la Corée à ce niveau là, trois ans seulement après la sortie de Starcraft Brood War, des games du jeu étaient diffusés en direct à la télévision, notamment sur OGN, une chaîne consacrée à l'eSport qui a vu le jour en 2000.
On sentait déjà la ferveur du peuple coréen pour l'eSport dès les premières compétitions Starcraft Brood War
Il ne faut pas pour autant idéaliser notre vision de l'eSport en Corée. La culture de la réussite scolaire conserve une place étouffante dans la société, et dans ces conditions, le jeu vidéo professionnel a bien du mal à s'imposer. Pour preuve, il y a plus de 50 millions d'habitants en Corée du Sud, et seulement 80 d'entre eux peuvent se targuer d'avoir figuré dans une équipe figurant aux LCK, le championnat coréen de League of Legends (chiffres datant de 2014).
Après la crise, l’eSport prend une nouvelle dimension : 2008 à 2014
Alors que l'eSport commençait à muer de petit loisir à grande discipline, des doutes ont commencé à émerger, coïncidant avec la période de crise économique. En mars 2008, la CPL annonce subitement la cessation de ses activités, tout comme l'ESCW l'année suivante. Dans son communiqué officiel, Angel Munoz expliquait que les soucis financiers de l'organisation ainsi que ses récents choix contestables étaient liés à la situation économique globale. Les plus gros sponsors comme Intel, AMD, Nvidia, ont commencé à tous se retirer assez brusquement.
Staff de Twitch durant la Blizzcon
Le drapeau de l'eSport était quasiment en berne. Le secteur avait besoin d'une impulsion, d'un second souffle... en gros, l'eSport avait besoin de Twitch.tv. Accompagnée des créateurs de contenu sur Internet comme les YouTubeurs et les streamers, la plate-forme Twitch s'est vite retrouvée parmi les incontournables des rendez-vous esportifs en ligne. Les compétitions y sont retransmises et le monde entier peut désormais facilement retrouver les compétitions de ses jeux favoris en quelques clics. L'arrivée de Twitch a marqué l'avènement du streaming, de nouveaux influenceurs émergent de toutes parts et les actuels prennent de l'ampleur.
Logo de la structure Millenium
En France, on peut remercier des webTvs comme Millenium, O'Gaming et Eclypsia. Ces trois structures ont permis à l'Hexagone de trouver sa place dans l'univers de l'eSport. Même si des joueurs français sont déjà présents à l'international, des compétitions majeures commencent à émerger en France : Tales of the Lane, Nation Wars ou encore la ZrT Trackmania Cup. Concernant les Tales of the Lane, une compétition sur le jeu League of Legends, 1500 personnes s'étaient réunies au Casino de Paris et plus de 100 000 en streaming le 11 novembre 2012 selon l'Express. L'eSport se consomme alors comme n'importe quel autre évènement grand public. De la même manière que pour les matchs de sport, les concerts et les spectacles, les gens s'y réunissent en amis et en famille, confortablement installés chez eux ou dans des bars spécialisés.
La foule durant la Nation Wars 2
En 2012, Riot annonce la création des League Championship Series, une compétition où les joueurs jouent des matchs toutes les semaines de façon à marquer des points et grimper dans le classement. Les premiers peuvent d'ailleurs se partager une part du cash prize. Là où Riot passe l'eSport à un autre stade, c'est en payant directement les joueurs de sa poche. Permettant ainsi aux équipes participantes de se consacrer exclusivement à son jeu, faisant ainsi évoluer le niveau et offrant davantage de spectacle à ses spectateurs.
L'argent coule à flots
Qui dit augmentation de la popularité, dit augmentation de l'argent qui en découle. En 2011, The International, une compétition prenant place sur le jeu Dota 2, du 17 au 21 août, rassemble les équipes participantes autour de la somme rondelette de 1 million de dollars pour les vainqueurs. C'est alors le plus gros cashprize de l'histoire de l'eSport. L'année suivante, son concurrent League of Legends lui emboite le pas et atteint la barre du million de dollars pour ses Championnats du Monde. C'est pour l'édition 2016 que Dota 2 passe un nouveau cap et atteint un nouveau record avec 20 770 460$ de dollars à se partager (dont 9 139 002$ pour les vainqueurs).
Les International 2016 de Dota 2
En raison du succès et de l'engouement suscités par l'eSport, les salaires des joueurs évoluent à la hausse. Plus besoin de devoir trouver une autre occupation en dehors de leur jeu de prédilection, les joueurs peuvent se consacrer exclusivement à leur nouveau corps de métier. En quelques années, les salaires des joueurs ont pu exploser et se rapprocher encore plus des rémunérations mensuelles octroyées aux sportifs plus traditionnels. En 2016, la structure coréenne SK Télécom aurait proposé à Lee "Faker" Sang-hyeok, un joueur professionnel de League of Legends, la somme mirobolante de 2,5 millions de dollars (hors sponsors actuels et futurs) annonce la Team aAa sur son site.
Compilation d'actions de Faker dans League of Legends
De nombreux gros noms du sport traditionnel viennent également se joindre à la fête, injectant par la même occasion des millions d'euros dans l'eSport. PSG, Schalke 04, Manchester City, Galatasaray ou encore YouPorn (oui, c'est relié à une pratique sportive) font désormais partie du paysage eSportif. PSG et Schalke 04 sont présents au sein de la compétition de League of Legends des Challengers Series (et FIFA pour le PSG) et viennent d'ailleurs de se qualifier pour les playoffs, la dernière étape pour atteindre les LCS Summer Qualifier dans le but de rejoindre le championnat européen de LoL.
Une reconnaissance tardive
Les Gaming-houses fleurissent un peu partout. Réservées au départ à des pays comme la Corée du Sud, les Etats-Unis ou encore la Suède, la France se met à la page et Millenium crée la sienne en 2015. Malgré cela, les joueurs possèdent toujours un statut flou d'un point de vue légal. Cependant, en 2016, le projet de loi numérique est adopté. L'eSport est officiellement reconnu et les joueurs peuvent désormais bénéficier d'un statut social fraichement mis en place. Les joueurs professionnels de la scène eSportive seront désormais soumis à un contrat à durée déterminée spécifique, une protection sociale ainsi qu'une certaine sécurité vis à vis des structures, des équipes et notamment des transferts.
Les membres de l'association France E-Sport
Via le projet de loi numérique, une association française de l'eSport est créée. En collaboration avec les leaders du secteur, France eSports a pour objectif d'encadrer les différents évènements eSportifs, mais également poser une base légale aux structures et aux équipes. Même si Millenium et O'Gaming évoluaient déjà d'une façon légale, certaines facettes du secteur étaient encore floues et il a fallu l'ascension de l'eSport pour que l'Etat décide de se pencher davantage sur le sujet. L'eSport a d'ailleurs le droit à un journal spécialisé : "le journal de l'eSport". Sous le joug de la maison d'édition Omaké books, ce bimensuel sera entièrement consacré à l'eSport et à ce qui l'entoure, une première en Europe.
Jusqu'où s'arrêtera l'eSport ?
Après une ascension fulgurante en quelques années, l'eSport commence peu à peu à se tasser. Les bases sont trouvées et les acteurs principaux de cette scène sont récurrents depuis maintenant quelques temps. Les structures sont ancrées dans un paysage esportif qui ne cessent de séduire de nouveaux spectateurs. Cet engouement suscite également des problématiques. Lorsque l'on voit l'argent qui gravite autour du secteur, 2,7 milliards de dollars pour le jeu vidéo en 2014 et 22,4 millions de dollars pour l'eSport en 2016 (selon une étude menée par Paypal et le cabinet Superdata). Difficile de ne pas imaginer voir l'eSport prendre encore plus d'ampleur par le futur.
L'équipe de CS:GO de la structure Ninjas in Pyjamas
La mode actuelle a tendance à vouloir donner à l'eSport le statut de sport, comme son nom l'indique. Seulement, une problématique reste récurrente peu importe le jeu indiqué. Les titres appartiennent à des éditeurs, des développeurs, contrairement à un ballon qu'on peut obtenir à peu près n'importe où. Si Riot décide d'interdire les compétitions sur son jeu, les structures et joueurs associés se retrouvent le bec dans l'eau. Il est vrai que ce n'est pas bénéfique pour ces sociétés, mais le problème reste quand même bien présent. De ce fait, impossible de dire où s'arrêtera concrètement l'eSport. Des talk-shows émergent de si de là sur la télévision française : E-football League, Canal eSport Club, beIN eSports.
Seulement, maintenant que l'eSport est sur Internet, dans les médias, à la télé, quelle est la prochaine étape de l'ascension fulgurante de l'eSport ?
Article co-rédigé par Clément Bartholomé
Par ouai, il y a 7 ans via l'application Hitek :
Même pas ca parle des aAa...
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