Bonjour jeunes bipèdes, avez-vous déjà vu un schizophrène ? Si vous lisez de manière régulière mes articles sur Hitek ou mes propos sur ma page Facebook, oui. Je vous l'annonce d'entrée de jeu, je suis schizophrène, je le suis depuis que j'ai au moins 10 ans, et je vis bien avec depuis seulement 3 ans. Et on en parlera plus tard. Si je fais cet article, c'est parce que je vois beaucoup de "Voici ce qu'entendent les schizophrènes ! Ce qui se passe à la 5ème minute va vous choquer!" Cependant, je ne vois jamais d'articles pour approfondir le sujet, et je trouve ça dommage. Surtout que statistiquement, cette maladie touche 500 000 personnes en France, ce qui fait de la schizophrénie l'un des troubles psychiatriques les plus courants en France.
Qu'est-ce que la schizophrénie ?
Il faut savoir que la schizophrénie est une maladie très complexe dont les symptômes diffèrent selon les cas, à tel point qu'il y a presque autant de cas différents que de patients. Mais une chose est sûre, ce n'est pas une maladie amusante ! Loin de là et aussi, le personnage de Matthieu Sommet dans Salut Les Geeks n'est absolument pas schizophrène, il a "juste" un trouble de la personnalité multiple, ce qui est totalement différent, car un schizophrène peut avoir un trouble de la personnalité multiple, mais la réciproque n'est pas vraie ! Mais plutôt que de dresser un bête listing des symptômes possibles, je vais vous donner les critères qui servent à poser le diagnostic d'une schizophrénie, du moins aux Etats-Unis, et je ferai le lien avec mon cas personnel.
-Les symptômes classiques : Délires / Hallucinations / Discours désorganisé, qui est la manifestation d'un trouble de la pensée formelle, ça n'a rien à voir avec les "pensées bizarres" des kikoos sur Facebook ou les discours du FN / Réduction de l'expression émotionnelle.
-Dysfonctionnement social ou professionnel.
-Persistance des symptômes pendant au moins 6 mois.
-Pas de médicament ou de drogue susceptible de provoquer ces symptômes, pas de troubles autistiques, ou autre…
Et chez toi, ça se passe comment ?
Avant que je vous parle précisément de mon vécu, il faut que vous sachiez quelques petites choses sur moi, déjà, je vais beaucoup mieux qu'avant, je suis beaucoup moins sensible aux crises de rage, à la violence, à la pensée déstructurée (quoique…), mais il m'arrive toujours d'avoir des périodes où cette maladie reprend un peu le dessus et où j'ai du mal à discerner la réalité du délire. En parlant de délire, je suis très sensible à la paranoïa, quand je sors de chez moi, je ne regarde pas devant moi, je regarde autour de moi, pourquoi ? Aucune idée, mais on ne sait jamais. Quand je mets un vent sans le faire exprès à une personne, il m'arrive de passer des heures à imaginer que cette personne m'en veut. Quand on ne me répond pas, il peut se construire tous les scénarios possibles dans ma tête. Certes, c'est le quotidien d'une femme, mais ce n'est pas à un même niveau. Pourquoi ? A cause des hallucinations, qui sont auditives et visuelles chez moi.
J'ai eu mes hallucinations auditives quand j'étais jeune, vers 10 ans, j'en ai actuellement 23, c'est dire à quel point ça remonte. J'avais une voix dans ma tête qui me disait de faire du mal au gens, car eux me voulaient de mal, qu'ils me rejetteraient tous, parce que je suis inutile, une merde. Et ce discours a tourné en boucle dans ma tête pendant des années par intermittence. Parfois, j'arrivais à discuter avec cette voix d'homme, il disait qu'il allait prendre le contrôle et faire ce qu'il fallait. Les années ont passés, cette voix, que j'appelais "Mon autre moi" ceux qui ont lu le manga Yu-Gi-Oh auront la référence. Cela peut porter à sourire, mais je m'identifiais plutôt bien à ce côté "Deux en 1" qu'avaient Yugi et Atem. Enfin bref, au collège, un jour où j'étais plus fatigué que d'habitude, un élève m'a énervé, et je n'ai pas su contenir mon autre moi, j'ai été pris d'un accès de rage et j'ai mis l'élève au sol en un coup, bien placé, One Punch Man avant l'heure, coup qui m'a valut une journée d'exclusion. J'étais choqué, je n'avais jamais laissé libre court à cette rage avec laquelle j'habitais depuis tant d'années. Ce n'était qu'un coup, mais j'avais ouvert la porte entre mon autre et moi. Et depuis cette fois, ce fut l'escalade.
Quand je suis arrivé au lycée, ma pensée s'est trouvée de plus en plus déstructurée, je peinais à mobiliser mes capacités cérébrales et mes notes en pâtissaient, j'étais passé de "Élève modèle qui n'avait rien à faire pour réussir" à "Peut-il passer en 1ère S avec ces résultats ?" Mais plus grave que ça, mon autre moi était devenu de plus en plus présent, au lieu de ne l'entendre que de temps en temps, il était là tous les jours, toutes les nuits, et ne semblait pas vouloir une discussion différente que "Tu ne sers à rien, tout le monde te déteste et tu le sais." Franchement, je ne pouvais pas lui donner tort. Les années ont passé et j'ai eu ma première vraie relation amoureuse, qui a duré plus de 5 ans. C'est pendant ces années que tout s'est accéléré.
Ne sachant pas gérer mes émotions, il m'arrivait de passer du sourire à la neutralité émotionnelle en quelques secondes, j'avais des difficultés à exprimer ce que je ressentais. Et ça dans les couples, c'est pas facile à concevoir pour notre partenaire, surtout quand elle n'est pas au courant que pendant qu'elle vous parle, il y a une autre voix qui vous dit qu'elle va vous quitter, vous tromper, etc. C'est dans cette période que mes premières hallucinations visuelles ont commencées, je me voyais dans d'autres endroits, où les propos de mon autre moi s'accomplissaient, du genre, je voyais ma copine de l'époque me quitter pour d'autres garçons. J'en ai développé une jalousie compulsive qui donnait raison à mon autre moi, qui n'a fait qu'entretenir le cercle vicieux de la maladie. J'étais devenu complètement instable et c'est à ce moment là qu'il a commencé à prendre le dessus sur moi. Dans les moments de rage intense, j'avais des trous, et je ne savais plus vraiment ce qu'il se passait, c'était mon autre moi qui avait pris le dessus pour insulter la cible qu'il détestait le plus, à savoir ma copine de l'époque. On s'amuse quand on est schizophrène n'est-ce pas ?
N'EST-CE PAS ? NO RAGE DE MES DERAPAGES #JMLPG
Les années ont passé, j'ai dû mettre ma copine au courant, et elle m'a soutenu du début jusqu'à la fin, ou du moins comme elle l'a pu, étant plus une source de crise que de réel soutien, mais c'est un débat qui n'a rien à faire ici. Quand j'allais commencer ma deuxième année de PACES (Première année des études de santé) j'ai perdu une personne, la plus importante de ma vie, ce qui fut un traumatisme profond pour moi, et mon autre moi s'est nourri de cela pour définitivement prendre le dessus sur moi. J'étais devenu encore plus froid et mesquin avec mon entourage, j'étais démotivé par la vie, je n'allais plus en cours et je restais chez moi enfermé à espérer mourir un jour. Heureusement que j'avais déjà à l'époque ma page Facebook pour y convertir mes pensées les plus noires en statuts d'humour noir pour les évacuer. D'ailleurs, cette page et mes amis rencontrés par son biais étaient les seules choses qui me retenaient au monde réel. Ce qui est paradoxal vu que c'est une page sur Internet.
Pendant cette année, j'ai commencé à devenir violent, mais plus mentalement, physiquement aussi, à la moindre crise de colère je pouvais battre la première personne qui passait devant moi, et quand il n'y avait personne, ce qui était très souvent le cas, mon autre moi se défoulait sur moi. Mon cynisme me rappelle à quel point c'est avantageux d'être étudiant car du coup on est trop pauvre pour avoir des couteaux bien aiguisés. Des suites de ces violences, j'ai été obligé d'avouer à ma mère mes symptômes, elle ne m'a pas cru, et elle s'en est moquée ouvertement pendant un repas de famille, c'était la première fois que j'étais d'accord avec mon autre moi sur le fait de vouloir faire du mal à quelqu'un. Puis un jour, ma mère a été confrontée à une de mes crises, elle n'a subi aucune violence physique, mais elle a vu ce qui était nécessaire pour m'aider à prendre rendez-vous chez une psychiatre.
Pendant le rendez vous, je lui ai expliqué tout ce que je vous ai dis là, après test de QI donnant comme résultat 124, elle m'annonce avec surprise qu'un tel résultat n'est pas possible avec un tel parasite présent dans mon cerveau depuis autant d'années, de plus elle est surprise par ma capacité à évaluer les choses et surtout, par le fait que je m'étais diagnostiqué tout seul schizophrène (Doctissimo forever in our heart) car il est très rare qu'un schizophrène soit capable de prendre assez de recul sur son délire pour comprendre que c'est un délire. Pour moi c'était normal, j'avais 10 ans dans mon souvenir le plus clair de ma vie où mon autre moi était là, donc avec le temps, je m'étais accommodé de cette présence. Et elle m'a expliqué à quel point la schizophrénie était une maladie complexe, et qu'aucun patient ne se ressemble, que certains patients n'ont que des hallucinations auditives, d'autres uniquement visuelles, d'autres sont paranoïaques au point où ils ont besoin d'être enfermés, d'autres développent des troubles supplémentaires comme des TOC et bien d'autres choses... Ce qui contribue à rendre cette maladie très difficile à traiter et à gérer. Quant à mon cas, qui était assez grave vu l'ampleur que mon autre moi commençait à prendre, il fallait que je remercie mon cerveau d'être assez performant pour être capable de restructurer mon cerveau en permanence en plus de fonctionner à peu près comme les autres personnes, et que du coup, elle allait me donner un traitement pour endormir mon autre moi.
Et en quoi consiste ce traitement ?
Des antipsychotiques, Xeroquel de son petit nom, c'était le premier médicament à prendre. Les premiers jours furent un calvaire, j'étais complètement défoncé, je me levais à 10 heures, je mangeais, je faisais une sieste de 14 heures à 17 heures parce que j'étais incapable de tenir debout et à 23 heures je m'endormais comme une masse pour me réveiller à 10 heures et ainsi de suite. Pour quelqu'un qui commençait son deuxième semestre de médecine, je ne vous parle pas de la difficulté ajoutée à la chose. Ce traitement et ceux qui ont suivi avaient d'autres effets secondaires, en effet en un mois j'ai pris 13 kg et je commençais à développer des symptômes qu'on observe chez les personnes qui ont Parkinson, comme une rigidité musculaire et des tremblements, j'aurai pu envisager une carrière de sextoy si le traitement ne me rendait pas amorphe au point de ne plus avoir de libido.
Quand les résultats du concours de médecine/pharmacie sont tombés, j'étais tellement déprimé que je ne me suis même pas présenté à l'amphithéâtre où ceux qui ne sont pas pris de justesse ont encore une chance d'être pris si d'autres refusent la place. J'ai appris récemment que j'avais atteint un rang qui m'aurait permis d'être pris en pharmacie par ailleurs. Même avec un handicap, BITCH. Il a donc fallut que je cherche autre chose pour espérer avoir un avenir, et c'est à ce moment là que j'ai envisagé la carrière d'Enseignant-Chercheur. Sur ma page je faisais parfois des statuts pour expliquer des choses et les gens comprenaient facilement ce que je disais, ça m'a donné une motivation, et à partir de là, j'ai arrêté de prendre définitivement ces médicaments.
"Si on s'enferme dans nos hallucinations, c'est parce que la réalité n'est pas capable de nous donner la clé pour en sortir"
A partir du moment où j'ai commencé la fac de biologie, je suis passé d'un 9m² à un 22m² et j'avais une connexion Internet stable, rien que ça m'a permis de reprendre du poil de la bête. En "libérant" mon autre moi des médicaments, il a commencé à changer de discours avec moi, il n'était pas toujours positif, mais pouvait s'avérer être de bon conseil, même si au final il n'était jamais gratuit. Et avec le temps, j'ai appris à accepter mon autre moi comme ce qu'il est. Aujourd'hui, à l'heure où j'écris ces lignes, mon autre moi s'appelle Aiden, il avait aimé ce prénom utilisé par un protagoniste du jeu Beyond Two Souls, comme quoi, on peut être schizophrène, mais aussi être geek ! Quant à moi, depuis que j'étudie la biologie, j'ai trouvé une passion, la science, et c'est en écrivant ces articles sur lesquels vous pouvez tomber sur ce site que j'arrive à canaliser toute les pulsions qui me viennent d'Aiden. J'ai aussi écrit un livre où je raconte la vie vécue dans la tête d'un schizophrène, même si j'avoue que c'est un égotrip saupoudré d'humour noir, mais ça permet de purger ses émotions, et quand on n'arrive pas à les exprimer, c'est important. Pour moi, on fait une grave erreur en voulant assommer des patients avec des médicaments toute la journée, il faudrait plutôt leur donner une lumière vers laquelle s'accrocher pour revenir à la réalité. Il ne faut pas oublier que si on s'enferme dans nos hallucinations, c'est parce que la réalité n'est pas capable de nous donner la clé pour en sortir.
Et c'est ainsi que cet article s'achève, j'ai préféré vous raconter ma vie pour vous montrer à quel point c'est difficile d'être atteint par cette maladie, et même si aujourd'hui je m'en sors bien, il m'arrive encore d'avoir des crises de rage à cause d'Aiden, et j'en aurai toute ma vie je pense, mais je me suis fait à l'idée. Seulement, la schizophrénie pouvant comme la dépression avoir une composante génétique, j'ai peur d'avoir une descendance qui soit comme moi, même si je ferai tout pour élever mes enfants dans un environnement qui ne stimulera pas la survenue de cette maladie. J'espère que cet article vous aura quand même plu, malgré le ton plus grave comparé à d'habitude, j'espère qu'il vous aura fait prendre conscience que chaque cas de schizophrénie est différent, qu'on n'en guérit pas vraiment, voire pas du tout, et qu'il ne faut pas considérer les schizophrènes comme étant des malades mentaux, mais juste comme des personnes qui ont besoin d'aide malgré leur désir de s'isoler du monde. Et je vous remercie de votre attention. Bisous !
Par jeanLucasec, il y a 8 ans :
Super intéressant comme point de vue
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