D’ordinaire, la théorie d’un monde plat ne récolte que railleries et moqueries. Pour la plupart, nous vivons sur un globe, un point c’est tout, il s’agit là d’un fait scientifique incontestable. Pour les plus curieux, on recense quelques recherches, rien de concret, histoire de s’imprégner des diverses versions alternatives. Mais pour une petite minorité, la Terre est plate et c’est une évidence.
"Et pourtant, elle tourne" marmonne Galilée, défendant fièrement sa théorie héliocentriste lors de son procès en 1633. Convaincu que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du Soleil, l’astronome italien s’attire les foudres de l’Eglise catholique qui le condamne fermement. Pourtant, près de 2000 ans avant lui, le savant Erastosthène prouve déjà la rotondité de notre planète dans ses recherches. Il parvient même à calculer de manière approximative sa circonférence. Il faut cependant attendre l’évolution scientifique pour démystifier le mythe d’une Terre plate et venir à bout des quelques théories rebelles à contrecourant. Pourtant, Galilée le dit lui-même, "le doute est père de la création", et dans l’ombre d’une science officielle grandit une communauté persuadée du complot. Réfutant les vérités des cours élémentaires et s’appuyant sur des recherches parallèles, les platistes redessinent la Terre bleue selon leur conviction.
Une sphère secrète
La démocratisation du web et de ses ressources illimitées a favorisé la progression de la théorie platiste. Avant ça, on ne dénombrait que de rares livres et quelques débats scientifiques qui se risquaient à remettre en cause l’intouchable. En parallèle, Internet a joué un rôle clé dans l’expansion fulgurante du complotisme : pas sur la Lune, morts de célébrités, attentats, tout est pointé du doigt. Parfois trop, jusqu’à s’appuyer sur des sources dénuées de sens et relater des théories invraisemblables. Et dans ce capharnaüm branlant, le platisme se veut, à l’inverse, construit et concis.
En recherchant des informations sur la théorie sur Google, vous semblez pénétrer instantanément dans un univers étrange et mystérieux. Plus rien ne vous semble logique, et les innombrables vidéos qui s’amusent à démonter la Science et la NASA vous font douter du moindre fait évident trois minutes plus tôt. Le platisme s’assimile à un puzzle où chaque pièce tente d’apporter un peu plus de crédibilité à l’œuvre finale. Bizarrement, le tout est assez cohérent, mais se fondent sur des sources (très) rarement citées ou des contradictions mathématiquement impossibles.
Mes recherches me mènent à un groupe Facebookfermé qui semble concentrer une grande majorité de théoriciens. L’insertion est facile : une simple demande, et quelques heures plus tard, me voilà plongé dans le monde insatiable du complotisme. La plupart des posts relatent des faits pour appuyer l’hypothèse, et dans les commentaires, on se convainc de leur véracité. Certains posent des questions sur des zones floues, immédiatement confrontés aux connaissances des plus spécialistes. Parmi ces interrogations, quelques-unes se révèlent particulièrement intéressantes : "Si la Terre est plate, où se trouve le bord ?". En fait, l’Antarctique ferait le tour de notre planète, et celui-ci servirait de mur de glace empêchant ainsi l’eau de tomber.
Une ambiance élitiste
Au milieu de ça, de réelles convictions subsistent : celle d’un complot de la NASA auquel se mêlent Illuminatis et francs-maçons. Restant dubitatifs à la moitié des publications et ne comprenant pas l’autre, j’essaye de contacter une théoricienne dont le nom revient régulièrement dans les commentaires pour en apprendre davantage. Très agréable et calme, elle expose, tout d’abord, les premiers éléments à l’avoir fait douter : "Qui ne sait jamais demandé si les Australiens ou les Néo-Zélandais, de l’autre côté du globe, n’avaient pas la tête à l’envers ? C’était normal car on me l’avait appris et que c’était comme ça, alors pourquoi aller chercher plus loin ? Le noyau de notre sphère nous attire grâce à la gravité donc nous restons sur notre boule".
Elle précise même que, trois ans en arrière, elle avait partagé un article du Gorafi se moquant de cette théorie. "J’en rigolais tellement" poursuit-elle avant d’expliquer qu’une vidéo surprenante et des recherches plus poussées auront eu raison d’elle. Elle déploie alors toutes les incohérences du globe, en évoquant un complot d’ampleur international contrôlé par la franc-maçonnerie. Elle souligne aussi l’importance culturelle qui nous inculque depuis l’enfance la rotondité de la Terre. Je conçois alors que la théorie platiste n’avance pas suffisamment de preuves rationnelles et préfère se fonder sur les divagations de la Science "officielle".
Tout est à remettre en question : les traités internationaux, la distance Terre/Soleil etc. "Nous voyons très bien que notre Soleil se trouve à quelques milliers de kilomètres et qu’il est localisé. Il fait le tour du pôle nord magnétique et n’éclaire qu’une partie de la Terre en même temps. Il est trop proche pour éclairer toutes les terres, peu de gens le comprennent". Et tout ceci, jusqu’aux théories religieuses. " Si la Terre est le centre de notre 'univers' alors les idées de la création d’un Dieu apparaissent et l’existence humaine prend beaucoup plus de sens. Si la Terre n’est qu’une plat-net parmi des milliers de planètes qui graviteraient autour des milliards d’étoiles et des milliards de galaxies, nous ne sommes rien. Nous avons juste la chance d’être là. Nés d’un Big Bang (donc de rien) et d’une évolution lente du singe."
Mais la discussion a de quoi faire douter et se révèle particulièrement intéressante, en particulier quand quelques liens viennent l’appuyer. Elle me permet, d’autre part, de me rendre compte que l’ambiance sectaire est en partie due à une fracture entre un milieu théoricien qui refuse de se plier et un autre, plus courant, qui s’amuse des mouvements complotistes. Pourtant, quand un "troll" vient se moquer et insulter des complotistes dans un groupe fermé, qui est réellement l’intelligent ? Rien est indéniable, et le doute est l’essence même de l’intelligence. Et dans un conflit entre deux sphères antipodes, les uns auraient sûrement à apprendre des autres, car comme l’expliquait Galilée, "je n’ai jamais rencontré d’homme si ignorant qu’il n’eut quelque chose à m’apprendre".
Pour vous renseigner davantage :
Par jeanLucasec, il y a 7 ans :
Et si elle était triangulaire ?
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