JukeGeekBox #3 : la BO de Watchmen
Après les chansons Disney et la place du rap au cinéma, étudions en détails la bande originale de Watchmen, le film de Zack Snyder (300, Sucker Punch, Man of Steel, Batman v Superman), adaptation du chef d'oeuvre d'Alan Moore.
#1 Desolation Row – My Chemical Romance
Première piste de la bande-originale de Watchmen, une surprenante reprise d'une des plus belles chansons de Bob Dylan par le groupe de rock alternatif My Chemical Romance. Cette reprise, utilisée pour le générique de fin, ne frappe par sa superbe : ne reprend pas Bob Dylan qui veut. Et Desolation Row est un parfait mélange de sensibilité et d'imagerie poétique surréaliste, un véritable chef d'oeuvre littéraire. Mais Desolation Row à la sauce My Chemical Romance, ça peut heurter les puristes de Dylan. Le style est beaucoup plus violent, les paroles semblent crachées à la face de l'auditeur, bref, on est à mille lieues de l'original... Pourtant, cette reprise trouve particulièrement bien sa place dans le film de Snyder. Déjà, parce qu'il s'agit d'une version actuelle d'une chanson des années 60. Or, si le film reste très fidèle à l'oeuvre d'Alan Moore, il se veut, par son esthétique, plus moderne. De plus, ce déluge de guitares électriques est plutôt en accord avec l'apocalypse finale de Watchmen. Enfin, le choix d'une reprise de Desolation Row (une chanson extrêmement littéraire, et l'un des plus gros chefs d'oeuvre de Bob Dylan) est plutôt en adéquation avec une adaptation de Watchmen, le comics de super-héros le plus littéraire jamais écrit.
#2 Unforgettable – Nat King Cole
L'une des scènes-clé de Watchmen, c'est son début : Le Comédien est tué, et jeté par la baie vitrée de son appartement. Pendant cette scène de combat particulièrement violente, et réalisée d'une main de maitre, on entend cette reprise célèbre par le jazzman Nat King Cole de la chanson Unforgettable de Irving Gordon. Une chanson d'amour, très douce, où la voix grave et majestueuse de Cole est soutenue par le piano et le violon, et qui crée un décalage amusant avec la violence du combat. D'ailleurs, cette phrase que prononce le Comédien face caméra, "It's a joke, it's all a joke" semble aller dans ce sens. Pourtant, même si la"blague est drôle", la chanson Unforgettable en dit long sur les démons qui hantent le Comédien. Cet homme cruel et violent, était en vérité amoureux du Spectre Soyeux. Et raisonne dans notre tête ces vers chantés par Nat King Cole : "That's why Darling, it's incredible / That someone so unforgettable / Thinks that I am unforgettable too".
#3 The Times They Are A-Changin’ – Bob Dylan
Quelle chanson aurait pu mieux accompagner le générique de Watchmen que cette petite merveille musicale, poétique et contestataire, signée Bob Dylan ? Non content d’être l’une des chansons les plus engagées politiquement de Bob Dylan, The Times They Are A-Changin’ fait partie de ces chansons capables de toucher toutes les générations et tous les peuples. Et la chanson est particulièrement bien choisie pour le film de Zack Snyder : Watchmen ne tire-t-il pas cet inexorable constat, que les temps sont en train de changer ? "The line it is drawn / The curse it is cast / The slow one now / Will later be fast / As the present now / Will later be past / The order is rapidly fadin’ / And the first one now will later be last / For the times they are a-changin’" chante Dylan.
#4 The Sound of Silence – Simon & Garfunkel
Sans aucun doute la chanson la plus connue du duo folk Simon & Garfunkel, et l’une des chansons les plus représentatives des années 60. Il s’agit d’une chanson terriblement sombre (mais cela pourrait-il être autrement, dans une chanson qui commence par "Hello Darkness, my old friend"?), qui contraste avec les voix particulièrement douces du duo. Si on n'atteint pas la mélancolie et la noirceur des chansons de Nick Cave & The Bad Seeds, il n’en demeure pas moins que The Sound of Silence vaut son pesant de mélancolie et d’imagerie noire. "And in the naked light I saw / Ten thousand people, maybe more / People talking without speaking / People hearing without listening / People writing songs that voices never share / No one dare / Disturb the sound of silence".
Encore une fois, la musique est parfaitement adaptée à la scène (l’enterrement du Comédien), et offre plusieurs lectures potentielles. Tout d’abord, cette chanson particulièrement mélancolique est en soi adaptée à une scène d’enterrement ; ensuite, le thème du silence, et ces"gens qui parlent mais ne discutent pas", ces "gens qui écoutent mais n’entendent pas" rappelle l’incapacité du Comédien à communiquer ses peines et son lourd secret. Encore une fois, la musique permet d’approfondir la psychologie d’un personnage. Un usage particulièrement intéressant de la musique au cinéma !
#5 Me and Bobby McGee – Janis Joplin
On remarque à peine cette chanson dans le film Watchmen, pourtant il s’agit non seulement d’une des plus belles du film, mais en plus, elle a le culot d’être placée dans une des scènes les plus glaçantes de ce chef d’oeuvre : l’assassinat par le Comédien d’une femme qu’il a mise enceinte. Pourtant, une fois encore, placer cette chanson d’amour chantée par Janis Japlin est un coup de génie des créateurs du film ! Notamment parce que c’est conférer au film un cynisme sans équivoque, digne du cynisme du Comédien. Plusieurs vers de la chanson rappelle quelques éléments de la situation qui est en train de se passer sous nos yeux : "One day up near Salinas, Lord, I let him slip away" ("un jour près de Salinas, mon dieu, je l’ai laissé s’éclipser") Le Comédien fait bien plus que la laisser partir, il la bute de sang froid ! "Freedom's just another word for nothing left to lose" ("Liberté est juste un autre mot pour dire qu’on a rien à perdre") : un constat ô combien cynique digne du Comédien ! "But I'd trade all of my tomorrows for one single yesterday" ("Mais j’échangerais tous mes demains pour un seul hier") : ce vers fait bel et bien référence aux nombreux regrets du Comédien. Enfin, si la chanson n’a pas été écrite par Janis Japlin, mais par Kris Kristofferson, Tyler Bates (celui qui a sélectionné les différentes chansons pour le film) a choisi la meilleure version de Me and Bobby McGee. Car c’est indéniable que Janis Japlin était une très grande artiste, partie trop tôt, et qui fait désormais partie du club des 27. Etrangement, quand je parle de Janis Japlin, me revient toujours en mémoire ce chef d’oeuvre de Leonard Cohen, écrit en sa mémoire, et relatant une nuit qu’ils avaient passé à faire l’amour. Un chef d’oeuvre poétique, plein de tendresse et de mélancolie. La chanson s’appelle Chelsea Hotel #2. Je retiendrai plus particulièrement ces quelques vers :
"I remember you well in the Chelsea Hotel / You were famous, your heart was a legend / You told me again you preferred hansome men / But for me you would make an exception / And clenching your fist for the ones like us / Who are oppressed by the figures of Beauty / You fixed yourself, you said, / Well never mind / We are ugly but we have the music;" Prodigieux, j’en ai les larmes aux yeux rien que d’y penser… Deux grands artistes, qui nous manquent terriblement aujourd’hui dans le monde de la musique…
#6 I’m Your Boogie Man – K.C. and the Sunshine Band
Si I’m Your Boogie Man, chanson disco du groupe funk américain K.C. and the Sunshine Band ne fait assurément pas partie des chansons les plus mémorables de la bande originale de Watchmen, elle permet, à l’instar des précédentes, de dessiner un portrait psychologique des personnages. Explication : on entend cette chanson quand le Hibou et le Comédien doivent disperser une manifestation ; le Comédien casse la gueule des manifestants. Sa justification : "- We’re society’s only protection. - From what ? - Are you kidding me ? From themselves. Son of a bitch !" Passons sur le fait que ce dialogue est carrément classe, pour nous focaliser sur ce jeu récurrent sur les correspondances entre les paroles de la chanson et le film ! I’m your boogie man est une chanson sur l’absolu don de soi. "I’m here […] to do it all for you." S’il y a effectivement un sacré décalage humoristique entre cette chanson qui raconte l’histoire d’un mec qui dit vouloir tout faire pour une femme et le Comédien qui défonce la tête des manifestants, avant de faire feu, on sent se dessiner toujours plus son regard plus nihiliste que cynique sur le monde. Ce film est décidément une pure merveille…
#7 You’re my thrill – Billie Holiday
L’une des grandes nouveautés du comics Watchmen, c’était la place qu’occupait la sexualité des super-héros. Une sexualité qui permettait de les humaniser encore plus. Et le film n’a pas rejeté la dimension sexuelle du comics. La première scène de sexe concerne le Spectre Soyeux et le Dr. Manhattan. On y voit le Spectre Soyeux nue, tandis que le Dr. Manhattan la caresse en hors-champ, le spectateur ne voyant que la tête du Spectre et les mains qui se décuplent du Docteur. Pendant ce temps, on entend la chanson You’re my thrill de Billie Holiday, une chanson d’amour très explicite.
#8 Pruit Igoe et Prophecies – The Philip Glass Ensemble
L’une des scènes les plus mémorables de Watchmen reste l’histoire du Dr. Manhattan. Une histoire tragique, sublimée par les deux musiques, Pruit Igoe et Prophecies, composées par Philip Glass pour le documentaire écologique Koyaanisqatsi. Un documentaire qui étudie la place des machines et de la technologie dans notre monde. Il n’est pas anodin le fait que ce soit deux musiques de ce documentaire qui soient choisies pour la genèse du Dr. Manhattan, qui est une victime du progrès scientifique et technologique.
#9 Hallelujah – Leonard Cohen
Avant d’être formidablement reprise par Jeff Buckley, Hallelujah était un chef d’oeuvre de poésie signé par le gigantesque Leonard Cohen, chanteur et poète prodigieux qui nous a quittés en 2016. Et quelle joie de retrouver cette chanson monumentale lors de la scène de sexe entre Le Hibou et le Spectre Soyeux ! On pourrait s’étonner du fait que cette chanson au premier abord religieuse fasse office de bande-son à une scène de sexe. Mais ce serait oublier le caractère profondément sexuel de la chanson de Leonard Cohen, qui n’a jamais cessé de chanter son amour pour les femmes (Chelsea Hotel #2, So Long Marianne, Suzanne, etc). Si vous en doutez, lisez ces vers magnifiques du deuxième couplet : "Your faith was strong but you needed proof / You saw her bathing on the roof / Her beauty and the moonlight overthrew you / She tied you to a kitchen chair / She broke your throne and she cut your hair / And from your lips she drew the Hallelujah". Il est tout de même question d’une femme qui se baignait nue sur un toit, qui attache un homme à une chaise, et qui arrache de ses lèvres un Hallelujah ! Encore une fois, la musique accompagne parfaitement le film !
#10 All Along the Watchtower – Jimmy Hendrix
Après Desolation Row (par le groupe de rock alternatif My Chemical Romance) et The Times They Are A-Changin’, c’est au tour de All Along the Watchtower d’entrer dans le panthéon des chansons de Bob Dylan reprises dans le film Watchmen. Magnifiquement interprétée par Jimmy Hendrix (rien que ça!), cette chanson sublime illustre parfaitement tout le talent d’écriture de Dylan ainsi que tout le talent d’arrangement et d’adaptation de Hendrix. Composée pour l’album John Wesley Harding, premier album qui a suivi l’accident de moto de Bob Dylan en 1966, cette chanson, très inspirée par le Livre d’Isaïe dans l’Ancien Testament, s’adapte merveilleusement au scénario de Watchmen. Tout d’abord parce qu’il est question d’une tour de garde (the watchtower) ; or, deux de nos Watchmen, le Hibou et Rorschach s’apprêtent à sauver le monde. Ensuite, la composition de la chanson ne cesse de bouleverser la temporalité. Et (comme par hasard!), elle commence alors qu’on quitte le Spectre Soyeux et le Dr. Manhattan, qui manipule la temporalité à sa guise, sur Mars. Bref, une gigantesque chanson reprise par un artiste extraordinaire pour un film incroyable. (Je conseille également la reprise de All Along the Watchtower par le groupe irlandais U2, sur l’album Rattle and Hum).
#11 Ride of the Valkyries – Orchestre du Festival de Budapest
La musique classique a souvent marqué le cinéma. Que ce soit Also sprach Zarathoustra de Richard Strauss pour L’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick ou encore les symphonies de Beethoven pour Orange Mécanique et Love Exposure de Sion Sono, la musique classique accompagne bien souvent les chefs d’oeuvre du Septième Art. Rien d’étonnant donc si l’un des plus célèbres thèmes de la musique classique nous fasse vibrer dans Watchmen. Souvenez-vous : le Dr. Manhattan faisant gagner les Etats-Unis au Vietnam, tandis qu’en fond sonore retentit la célèbre Chevauchée des Walkyries, de Richard Wagner, prélude au troisième acte de son opéra Die Walküre. Comme d’habitude dans ce film, on voit se tisser un lien entre la musique et ce que raconte le film à l’instant t où elle est utilisée. Si bien sûr on devine que la violence de ce prélude est l’une des raisons qui explique qu’elle a été choisie, on peut également trouver une autre raison. Bien que cela ne soit pas mérité, Wagner a une image extrêmement sulfureuse, du fait que Hitler était passionné par son œuvre. Peut-être est-ce ce côté sulfureux que l’équipe du film a voulu exploiter, pour traiter la Guerre du Vietnam, une des pages les plus sombres de l’Amérique. Je penche également pour une autre raison : La Chevauchée des Walkyries a été utilisée dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, un film qui traite de la Guerre du Vietnam, pour la scène du raid des hélicoptères.