Depuis quelques mois déjà, de nombreux vidéastes français se sont plaints que leurs vidéos étaient subitement démonétisées par le nouveau robot de YouTube : ContentID. La raison de cette démonétisation de masse ? Ces vidéastes (Le Joueur du Grenier, Linksthesun, J’suis pas content, etc) utilisent parfois de courts extraits dans leurs vidéos. Parfois seulement quelques secondes. ContentID repère la vidéo, et l’intégralité des fonds engrangés par les vidéos concernées va dans les poches des ayant-droits. Pourquoi YouTube aurait-il créé un tel algorithme ? Eh bien la direction de YouTube a anticipé la venue d’un texte de loi européen, la loi Copyright, et plus particulièrement son article 13, censé protéger les droits d’auteurs des GAFAM. Problème : si la protection des droits d’auteur est bien évidemment importante, cet article de loi menace grandement Internet. On vous explique pourquoi.
Attention : cet article reflète mon avis personnel, et n'engage nullement celui de la rédaction d'Hitek. Si vous n'êtes pas d'accord avec mes propos, je me ferais un plaisir de débattre calmement avec vous dans l'espace commentaire.
Le mépris des petits créateurs
Comme dit en introduction, je suis personnellement pour la protection des droits d’auteurs. Néanmoins, cette protection est complètement déraisonnable. Pour illustrer mon propos, je vous rapporte ces paroles de Greg Tabibian, sur le plateau d’Interdit d’interdire, l’émission de Frédéric Taddei :
Concrètement, vous avez un robot qui va détecter une œuvre. À partir de ce moment-là, vous allez avoir les ayant-droits qui, en général, vont avoir le choix entre trois options : soit laisser faire – parce qu’ils sont cools (ce qui arrive jamais) –, soit demander un partage de revenus (ce qui a dû m’arriver une fois avec un extrait de Michel Sardou, soit (et c’est ce qu’ils font dans l’écrasante majorité des cas) revendiquer la totalité des revenus. Je vais prendre un exemple : il y a pas longtemps, j’ai fait une émission de 2h10, dans laquelle on a mis sept secondes d’archives. 100 % des revenus sont partis aux ayant-droits.
Le témoignage de Greg Tabibian est assez révélateur de l’aspect déraisonnable de cette protection. Son vécu est d’ailleurs symptomatique d’une chose : les créations des vidéastes ne sont pas considérées comme de véritables créations ; et les vidéastes ne sont pas considérés comme des créateurs. Il s’agit d’un véritable mépris. YouTube est une véritable jungle de créateurs. Certains sont extrêmement talentueux et ambitieux. La réalisation des documentaires de Léo Grasset (de la chaîne DirtyBiology) est au moins aussi soignée qu’un documentaire d’Arte. Les vidéos du Joueur du Grenier sont à la fois drôles et inventives. Celles de Nota Bene, particulièrement instructives, ont permis de passionner des millions d’internautes pour l’Histoire. Enfin, le Curry Club, le nouveau collectif de Mathieu Sommet, brille par son style profondément personnel et unique. Bien que très talentueux, les vidéastes sont méprisés.
Ce mépris des vidéastes de YouTube, finalement au centre de cette histoire de démonétisation massive, est notable déjà depuis de nombreuses années. On se souvient de l’accueil particulièrement glacial réservé au vidéaste Squeezie lors de son passage dans l’émission de Thierry Ardisson. Le vidéaste typique serait un jeune attardé qui gagnerait beaucoup d’argent en se contentant de faire des vidéos moisies sur internet. Cette image d’Epinal doit être détruite. Les médias, les politiques européens (qui ont voté la loi Copyright) et les ayant-droits doivent voir tout le travail effectué en amont par les vidéastes. Un travail souvent de longue haleine, et qui peut avoir de véritables vertus pédagogiques, didactiques.
Une attitude contradictoire
Les députés européens qui ont massivement voté pour la loi Copyright ne sont vraisemblablement pas concernés par YouTube. Comme l’a si justement fait remarquer Tatiana Vantôse, vidéaste spécialisée dans le commentaire politique, la moyenne d’âge des députés européens est de 66 ans. Dans leur très grande majorité, ces députés ne comprennent pas Internet. On ne peut donc pas s’étonner qu’en plus d’être injuste, cette loi s’avère également profondément contradictoire avec d’autres mesures prises en France.
Depuis le mois d’octobre 2017, le CNC (Centre National du Cinéma et de l’image animée) a créé un « fonds d’aide […] dédié aux projets en première diffusion gratuite sur internet. »
Le site internet du CNC précise que :
Le fonds comporte deux aides sélectives avant réalisation : Une aide à la création, jusqu’à 30 000 euros, pour les créateurs de vidéos ayant au moins 10 000 abonnés ou ayant été primés dans un festival 1 au cours des cinq dernières années. Une aide à l’éditorialisation des chaînes, jusqu’à 50 000 euros, pour les créateurs ayant 50 000 abonnés ou plus. Ces aides seront attribuées sur avis d’une commission composée de 10 membres (créateurs, producteurs, entrepreneur du web…). La commission se réunira 5 fois par an.
D’un côté, les vidéastes peuvent souscrire à des aides financées par le CNC (grâce à un pourcentage prélevé sur vos places de cinéma), preuve s’il en est de la reconnaissance de leur travail ; d’un autre côté, leur travail est renié, puisque leurs vidéos sont démonétisées. On me rétorquera sans doute que l’initiative du CNC est une initiative française, tandis que la loi Copyright est une initiative européenne. Mais ce serait oublier que bon nombre de députés européens français ont voté en faveur de cette loi, et que Françoise Nyssen, encore récemment Ministre de la Culture, y était également favorable.
Liberté d’expression menacée
Plus grave encore, cet article 13 de la loi Copyright menace grandement notre liberté d’expression. Alors que nous vivons une époque où la méfiance envers les médias traditionnels se fait chaque jour ressentir (tant au niveau de la qualité de l’information qu’au niveau de leur impartialité), Internet en général, et YouTube en particulier, permettent un horizon médiatique alternatif. De nombreuses chaînes YouTube commentent l’actualité politico-médiatique : J’suis pas content, Tatiana Vantôse, Le fil d’actu, Le Raptor Dissident, etc. Néanmoins, pour faire leur travail, ces vidéastes utilisent des extraits vidéos de débats ou de reportages de BFMTV, Cnews ou de France 2. Ces extraits leur permettent d’établir une critique constructive, débarrassée de toute ambiguïté, puisque l’internaute voit bien quel extrait est mis en cause. Problème : avec la loi Copyright, quand ces vidéastes utilisent de courts extraits d’un JT quelconque pour en dénoncer la partialité ou l’inanité, les revenus engrangés par cette critique vont au groupe possédant le JT.
Il s’agit bien évidemment d’un véritable danger pour la liberté d’expression. Parce que cette loi Copyright risque d’avoir un côté dissuasif. Comme les vidéastes doivent gagner leurs vies, peut-être que certains renâcleront à utiliser des extraits vidéos pour étayer leur critique. Leur information et leur commentaire seront de ce fait moins pertinents. La loi Copyright risque fortement de tuer dans l’oeuf ce nouvel horizon médiatique.
De la même façon, notre droit à la parodie est fortement menacé. Comme l’a si bien expliqué le Joueur du Grenier dans une vidéo dédiée à la loi Copyright :
Soyons clairs ! Le droit à la citation, le droit à la critique, le droit à la parodie, le fair-use de manière générale, c’est des conneries. Ça n’existe pas ! Jamais ! C ‘est mort ! Oubliez-ça ! Toutes ces trucs-là, ça s’appelle des exceptions au droit d’auteur. YouTube gère des millions de vidéos chaque jour, des millions d’heures de vidéos uploadées chaque jour, dans des centaines de pays différents, avec des législations différentes, YouTube s’assoit dessus. YouTube applique le droit californien et c’est tout.
On pourrait assez facilement reprocher à YouTube de ne pas appliquer les lois selon les pays. Mais ce serait, je trouve, faire fausse route. L’article 13 demande aux grandes plateformes, comme YouTube de prendre des mesures pour respecter les droits d’auteurs. YouTube a pris une mesure. Néanmoins, ce serait assez naïf d'espérer qu’avec l’impressionnant nombre de vidéos uploadées chaque jour, YouTube puisse respecter les lois de tous les pays. Il en résulte que nos YouTubeurs sont privés de leur droit à la critique, à la citation ou à la parodie. On pourrait me rétorquer qu’ils n’ont pas besoin de citer pour parodier ou critiquer. Ce qui est faux. Comme l’explique le Joueur du Grenier dans sa vidéo, une musique parodiant Harry Potter sans la musique Harry Potter est une vidéo de bien moindre qualité. De plus, je trouve cette manière de faire profondément malhonnête, car la parodie, la citation et la critique font vivre les œuvres. Combien de films ai-je vu au cinéma justement parce que des vidéastes tels que Captain Popcorn ou In The Panda ont fait des critiques construites qui m’ont plu ? Beaucoup.
L’article 13 de la loi Copyright va changer YouTube. Et dans le mauvais sens. Le Joueur du Grenier, dans la suite de sa vidéo, explique qu’on s’oriente vers une plate-forme qui, par peur de devoir verser les droits à droite à gauche, finira par censurer toute vidéo susceptible de « poser problème ». Si cela arrive, alors YouTube ne serait qu’une plate-forme de replay des grandes chaînes ou avec des vidéos de chats rigolos.
Quelles solutions ?
Des solutions pour protéger le droit d’auteurs et la création de nos vidéastes, il en existe. Tout d’abord, payer les droits d’auteurs au prorata de l’utilisation faite des extraits est une bonne solution. Si un vidéaste utilise 30 secondes d’un extrait sur une vidéo d’une heure, il donnera 1/120ème de ses revenus aux ayant-droits. Cela doit être mis en place par YouTube mais également accepté par les producteurs. Car, comme nous l’a rappelé Greg Tabibian, le plus souvent, les ayant-droits ne demandent pas un partage de revenus mais la totalité.
Cependant, des vidéastes ont opté pour ce que le Joueur du Grenier appelle un « YouTube à l’américaine », c’est à dire des vidéos continuellement sponsorisées. C’est une méthode qui, à ses dires, peut porter ses fruits. Néanmoins, on regrette que nos vidéastes soient obligés de passer par de tels stratagèmes pour pouvoir vivre de leurs propres créations.
Une pétition est d'ores et déjà en ligne, afin de lutter contre cet avenir bien sombre pour YouTube et internet.
Par jeanLucasec, il y a 6 ans :
Il faut mobiliser les gilets jaunes
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