Dossier : les plus grands écrivains japonais
La Japan Expo, c'était ce week-end. Pour fêter l'événement, et parce que pendant les vacances on a le temps de lire, voici une sélection des cinq plus grands écrivains japonais.
Murasaki Shikibu
Difficile de ne pas commencer cette sélection par la mère de la littérature japonaise. Dame Murasaki Shikibu a vécu entre les Xème et XIème, à l'époque Heian. Son nom ne vous dit peut-être rien, mais elle est l'auteure d'un véritable chef d'oeuvre, Le Dit du Genji, considéré comme étant l'oeuvre japonaise médiévale la plus importante. Introduite à la cour par Fujiwara no Michinaga, elle connait plus que n'importe qui les affaires de la cour de Heian. Et c'est de cela que traite Le Dit du Genji, qui raconte la vie tumultueuse d'un prince impérial (un Genji). Le Genji est ici un séducteur né, très apprécié par la Cour, et qui fait chavirer toutes les femmes. Du haut de ses 2000 pages et de ses 54 chapitres, Le Dit du Genji est un livre passionnant. Déjà parce qu'il s'agit d'une pièce historique d'une importance capitale : car si l'on peut mettre en doute les événements relatés (bien que beaucoup considèrent que le Genji ait inspiré de Fujiwara no Michinaga), le livre donne beaucoup de détails sur les us et coutumes du Japon médiéval, que ce soit en termes de relations avec la Chine et la Corée, au niveau des religions ou des Arts. Mais il est d'autant plus passionnant qu'il s'agit d'un roman extrêmement psychologique, que d'aucuns considèrent comme le premier roman psychologique de l'Histoire. Dire que Le Dit du Genji de Dame Murasaki Shikibu a eu une influence majeure sur l'histoire japonaise serait un doux euphémisme. Même le romancier Haruki Murakami, un millénaire plus tard, s'inspirera de certains passages pour son Kafka sur le rivage. Un livre à lire absolument, bien qu'il ne soit pas facile d'accès. D'ailleurs, il faut y mettre le prix, car la seule édition disponible en France coûte pas moins de 60 euros. Il vous sera cependant possible, probablement, de l'emprunter en médiathèque. Par ailleurs, si vous êtes intéressés par la littérature japonaise médiévale, nous vous conseillons vivement la lecture du Dit du Heike (XIVème siècle) ou Contes de pluie et de lune d'Ueda Akinari (XVIIIème siècle).
Natsume Sôseki
Lorsque j'essaie d'évoquer Natsume Sôseki, qui est sans hésiter l'écrivain japonais le plus important de l'ère Meiji, je le compare souvent à Franz Kafka, l'écrivain tchécoslovaque, l'auteur du Procès. Pas tant au niveau de leurs oeuvres respectives que dans l'influence qu'ils ont eu par la suite. Quoique dans une certaine mesure, certaines oeuvres de Kafka peuvent ressembler au Mineur de Natsume Sôseki. Profondément érudit, Sôseki a su apporter à la littérature japonaise cette ouverture sur le monde si caractéristique de l'ère Meiji. Si vous vous intéressez à cette époque charnière de l'Histoire du Japon, nous vous conseillons vivement la lecture de Je suis un chat, dans lequel l'auteur raconte les us et coutumes de Meiji, par le biais du regard d'un chat d'un professeur d'anglais. Laissez-vous également tenter par la lecture de Botchan, un livre d'éducation qui passe au crible les moeurs provinciales japonaises. Ce roman, lu par tous les Japonais pendant leur scolarité, a été d'une très grande importance dans la culture japonaise. D'ailleurs, lorsque le mangaka Jiro Taniguchi a voulu traiter de l'ère Meiji par le biais de ses plus grands auteurs, dans Au temps de Botchan, il a rendu hommage à ce roman jusque dans son titre.
Yukio Mishima
Il y a certains artistes qui transcendent leurs oeuvres. On les connait encore mieux que leurs oeuvres. C'est le cas de Vincent Van Gogh, devenu fou et se coupant l'oreille. De Robert Johnson, dont le talent viendrait d'un pacte avec le Diable. Yukio Mishima, auteur de génie se faisant seppuku en 1970, suite à un discours en faveur du Japon traditionnel et de l'empereur. Rétrospectivement, la mort de Yukio Mishima apparait comme son ultime chef d'oeuvre. Cela peut paraître horrible dit comme ça, mais c'est en tout cas la thèse défendue par Marguerite Yourcenar. Et quand on s'attarde sur l'oeuvre de Yukio Mishima, on ne peut finalement que lui donner raison. Car l'oeuvre de Yukio Mishima est habitée par une violence certaine : la violence des pulsions et des sentiments d'abord, telle qu'on peut la voir dans Confession d'un masque (dans lequel le personnage principal lutte corps et âme contre son homosexualité), ou encore dans les amours de Honda dans la tétralogie La Mer de la Fertilité ; la violence politique et du temps, si bien décrite dans La Mer de la Fertilité (quel chef d'oeuvre !), dont une scène de seppuku dans le deuxième volume, Chevaux échappés, n'est pas sans rappeler celui que se fera Mishima ; la violence de la beauté et de l'art, qui mènera à l'incendie du Pavillon d'Or par Mizoguchi dans Le Pavillon d'Or. L'oeuvre de Yukio Mishima est passionnante, et s'y plonger, c'est se rendre compte que non content d'être un des plus importants génies du XXème siècle, il était également un des plus grands auteurs japonais de l'Histoire.
Yasunari Kawabata
Premier auteur japonais à avoir gagné le Prix Nobel de Littérature en 1968 (il est d'ailleurs le seul Japonais avec Kenzaburo Oe à avoir gagné cette récompense ultime), Yasunari Kawabata est connu pour ses récits courts. Avec son écriture dépouillée, il est de ceux qui ont su écrire avec le plus de subtilité sur l'amour, la vieillesse et la solitude. Ces trois thèmes sont d'ailleurs au coeur des Belles endormies, oeuvre dans laquelle des vieillards paient pour voir dormir de jeunes filles, et qui a inspiré Gabriel Garcia Marquez, autre grand Prix Nobel de Littérature, pour un de ses livres majeurs, Mémoire de mes putains tristes. Si j'ai préféré Les Belles Endormies, mentionnons également Pays de Neige qui raconte l'histoire d'amour entre un dilettante tokyoïte et une geisha de Province.
Haruki Murakami
Certainement l'auteur le plus lu de la sélection, et plus certainement encore mon auteur favori, Haruki Murakami est un romancier extraordinaire. Connu pour ses livres où se mêlent hyperréalisme et surréalisme, où la réalité est décrite avec minutie et se mêle avec une violente douceur au monde du rêve, Murakami est très certainement un des auteurs les plus nobelisables de sa génération. On dit souvent que son écriture est à la croisée d'un Natsume Sôseki, d'un Francis Scott Fitzgerald et d'un J.D. Salinger. Commencez par La Ballade de l'impossible, et sa magnifique et douloureuse histoire d'amour entre un étudiant solitaire et une jeune femme abimée par la vie. C'est facile à lire, l'écriture est poétique, l'histoire déchirante. C'est aussi le portrait au vitriol d'une époque, celle du Japon de la fin des années 60. Le roman le plus réaliste de son auteur, qui vous fera verser quelques larmes, à n'en pas douter, et qui vous fera aussitôt adorer cet hyperréalisme qui permet de créer une relation intime entre lecteur et personnages. Maintenant que vous êtes rodés à son écriture, à son style, lancez-vous dans une oeuvre plus complexe. La Ballade de l'impossible était l'entrée, vous pouvez maintenant visiter le reste de l'édifice Murakamien, et vous plonger dans ses rêves les plus fous. Continuez avec Les Amants du Spoutnik, où le surréel de Murakami arrive avec suffisamment de douceur pour ne pas vous laisser étourdi d'un coup. Vous pouvez également lire Au Sud de la Frontière à l'Ouest du Soleil, ou encore Le Passage de la Nuit et La Course au mouton sauvage. Maintenant, vous pouvez lire ses romans-sommes, ses romans les plus longs, où le réel et le rêve se rencontrent avec fracas. Vous adorerez lire Kafka sur le rivage, Chronique de l'oiseau à ressort, La fin des temps, 1Q84 et Le Meurtre du Commandeur. Nous vous promettons de très belles heures de lecture, et une nouvelle addiction.