Dossier : les jeux vidéo en Chine, de l'interdiction à l'explosion
Le jeu vidéo en tant qu’objet culturel prend une place de plus en plus importante dans nos sociétés, notamment depuis la sortie de la Wii en 2006, qui a permis de démocratiser le jeu et de le rendre accessible à tous, lui qui jusqu'alors était considéré comme un passe-temps pour les plus passionnés d'entre nous. Aujourd’hui, pratiquement tout le monde joue, que ce soit sur consoles de salon, PC, smartphones ou tablettes.
Bien que la Chine se soit récemment développée économiquement et qu'elle ait dépassé le Japon au niveau de la puissance économique, l'influence culturelle chinoise reste tout de même en deçà de celle du Japon, particulièrement du point de vue vidéoludique. D'ailleurs, la pop culture chinoise est quasiment inexistante en France, et son soft power se limite souvent à sa culture traditionnelle (calligraphie, poésie, taiqichuan…).
Pourtant, cette pop culture existe. Eh oui, les Chinois également aiment jouer aux jeux vidéo. Mais alors à quoi les Chinois jouent-ils, sur quelles plateformes et est-ce que l'on verra bientôt la Chine s'imposer dans l'industrie du jeu vidéo ? Un peu de patience (et de lecture aussi) et vous saurez tout !
Interdiction des consoles
Accrochez-vous bien à votre fauteuil pour commencer car en Chine... pas de Call of Duty ou de Fifa. Pourquoi ? Parce que. Non plus sérieusement tout simplement en raison du fait que les jeux et consoles auxquels nous jouons ont longtemps été interdits en Chine, ce qui est plutôt paradoxal puisque les usines produisant certaines consoles se situent où ? En Chine, dans le mille. Il faudra attendre le 7 janvier 2014 pour que l’interdiction de commercialisation de consoles étrangères qui empêchait Sony, Microsoft et Nintendo de pénétrer le marché chinois soit levée (d'abord à Shanghai, puis sur tout le territoire chinois un an plus tard), soit 14 ans après son instauration. La raison pour laquelle cette dernière avait eu lieu est simple également : le gouvernement prétextait la protection de la santé mentale des jeunes et la préférence nationale.
Si les consoles étaient interdites cela n'a pas pour autant découragé les plus accros. Alors certainement vous demandez-vous actuellement comment les Chinois jouaient-ils si les consoles que nous connaissons étaient interdites ? D'après nos sources, il s'avèrerait que cela était possible grâce à plusieurs phénomènes :
– la création de consoles adaptées pour ce marché : Nintendo a, entre autres, produit la iQue, supposée plus sécurisée. Cette console ne coûtait que 60$, et était par conséquent plus adaptée au marché chinois. La Nintendo DS a également été produite dans une version adaptée.
– l’importation illégale : certains magasins se sont spécialisés dans l’import illégal de consoles étrangères. En général, ces consoles sont piratées et encouragent le marché gris de jeux, ce qui ne rapporte rien au constructeur et nécessite une certaine connaissance du matériel.
– le passe-droit : l’interdiction d’importer n’a pas toujours été respectée, et Sony a pu lancer sa PS2 en 2004, mais à cause du piratage, le lancement fut catastrophique. La PSP a également joui d’un petit succès. Microsoft a quant à lui uniquement lancé sa Xbox à Hong-Kong
– la contrefaçon qui a produit des consoles bon marché telles que la Vii, copie de la Wii de Nintendo
– la production de consoles locales, notamment par Foxconn (le producteur de l’iPhone)
La censure dans les jeux en Chine
Tout d'abord, il est important de dire qu'il n'existe pas une censure en Chine, mais des censures. Le premier type de censure consiste à réguler toutes les atteintes à la fierté et la dignité nationale. Cela va de la destruction de symboles de la nation (comme les drapeaux), à la suppression de contenus vidéoludiques très sensibles (mettant en jeu l’unité nationale ethnique ou territoriale, la prédominance de l’État sur les religions, etc.), ce qui n'enchante pas forcément (et à raison) les jeunes joueurs.
Le deuxième type de censure est d’ordre économique. Celui-ci est plus officieux, et il s'exerce d'ailleurs sous des prétextes parfois fallacieux. La Chine exerce un protectionnisme bienveillant pour le développement des nouvelles multinationales chinoises, par exemple Lenovo, entre autres. D'ailleurs, afin de combler le retard technologique de l’industrie chinoise, il est fort probable que Pékin donne du temps à son économie pour rattraper le décalage parfois centenaire de certains secteurs (ex. Nintendo créé en 1889, IBM en 1911).
Il existe un troisième type de censure qui concerne les produits provenant de deux pays particuliers que sont le Japon et les États-Unis. Comme vous vous en doutez, il est clair que cela n'aide pas à jouer aux derniers jeux développés par les Américains. Vous remarquerez, en effet, que la Chine est très précautionneuse dans ses prises de position et reste souvent neutre dans les grands débats internationaux.
Et pour être un peu plus parlant, voici une liste de jeux vidéo censurés en Chine :
- Command and Conquer : Generals en raison de diffamations portant atteinte à l'image de la Chine et de l'armée chinoise
- Hearts of Iron : représentations du Tibet, du Xinjiang et de la Mandchourie en tant que pays indépendants; représentation de Taïwan sous domination japonaise
- I.G.I.-2: Covert Strike : atteinte à l'image de la Chine et de l'armée chinoise
- Football Manager : représentation du Tibet en tant que pays indépendant
- Dead Space en raison d'ultraviolence présente dans le jeu
- Battlefield 4 à cause du DLC China Rising qui est une "invasion culturelle" selon le ministre de la culture chinois
A noter également que sur internet, le PCC contrôle les informations, mais il est pourtant très facile d’outrepasser le Grand Firewall de Chine en utilisant un simple VPN. Pour vous dire la complexité du filtrage, un simple proxy permet de surfer sans censure (sachez tout de même que des sites tels que YouTube, Facebook, Twitter ou encore Gmail sont inaccessibles).
Prédominance du jeu en ligne
Vous vous en doutez, il a tout de même fallu trouver des moyens plus "légaux" pour jouer, c'est pourquoi un énorme marché du jeu PC en ligne s’est développé dans l’Empire du Milieu. Les MMO et les applications ne se comptent même plus, ce qui n'aura finalement pas arrangé le gouvernement qui voulait baisser l'addiction aux jeux vidéo. Le pays est le premier marché mondial du jeu en ligne. Cela représente un revenu financier énorme, puisque même si ces jeux peuvent être free-to-play (jouables gratuitement), il arrive très rarement qu'il n'y ait pas besoin d'acheter de ressources pour évoluer dans le jeu.
Ainsi, la culture cybercafé a radicalement augmenté, d'autant plus que les jeunes y allaient surtout pour échapper à la surveillance de leurs parents. Mais cela allait encore bien plus loin, puisque des centres de désintoxication ont même été ouverts. Les petits garçons qui séchaient les cours pour jouer à la place ne sont pas qu'une rumeur. Et ce n'est pas tout, car le jeu vidéo en Chine a réellement causé de nombreuses catastrophes. En effet, en mai 2011 par exemple, un jeune joueur chinois serait mort après avoir joué trois jours d'affilés. Un fait qui malheureusement se fond dans une multitude de mauvaises dérives des joueurs accros aux jeux vidéo.
Et là où vous pensiez avoir tout entendu sur ces dérives, vous allez voir que les jeux vidéo donnent également des idées... un peu particulières en Chine. En effet, toujours en 2011 (à croire que c'était l'année des dingueries pour l'Empire du milieu), un prisonnier d'une cinquantaine d'années du nom de Liu Dali parle de ce qu'il se passait durant ses cinq années d'incarcération dans le camp de Jixi dans la province du Heilongjiang. Et là accrochez-vous bien à ce que vous avez de plus proche car son histoire est authentique. Outre la lecture répétée de textes communistes, de rudes tâches manuelles lui étaient imposées : casser des pierres, creuser des trous dans le paysage minier du nord-est de la Chine, tailler des baguettes et des cure-dents ou encore assembler des couvertures de sièges de voiture. Jusque-là rien de bien extraordinaire, en effet, mais là où ça devient assez invraisemblable est le fait que lui et ses camarades détenus, étaient également obligés à jouer quotidiennement pendant des heures au jeu en ligne World of Warcraft.
Les chefs de la prison gagnaient plus d’argent en forçant les détenus à jouer en ligne qu’en les obligeant à faire du travail manuel. Près de 300 prisonniers étaient obligés de jouer. Nous travaillions pendant 12 heures d’affilée. J’ai entendu dire qu’ils pouvaient gagner jusqu’à 570 livres par jour. Nous ne voyions jamais l’argent. Ils n’éteignaient jamais les ordinateurs. (…) Si je ne pouvais pas atteindre mon quota, ils me punissaient physiquement. Ils m’obligeaient à rester debout avec les mains en l’air, puis me frappaient quand je revenais dans les dortoirs. On continuait à jouer jusqu’à ce qu’on puisse à peine voir l’écran.
Le phénomène du gold farming, ou "fermes d’or", qui existe depuis la création des jeux en ligne, comme Everquest au début des années 2000, consiste à employer des dizaines de joueurs assis pendant des heures pour accumuler des biens virtuels. Ces biens virtuels sont ensuite revendus en monnaie sonnante et trébuchante dans des sites de ventes aux enchères en ligne ou sur le marché noir. La Banque mondiale estime qu'environ 100 000 personnes travaillent pour cette industrie virtuelle, dont 80 % en Chine, et ce chiffre ne cesse d'augmenter.
Malgré tout, certains joueurs reconnaissent que les jeux en ligne donnent l’impression de "ne jamais finir et d’être une perte de temps". Toujours est-il que selon les joueurs, le jeu en ligne restera le plus populaire en Chine pour encore quelques temps car il est facilement accessible à tous.
À quoi joue-t-on ?
Quels sont les goûts de nos amis les Chinois en termes de jeux vidéo ? Bien que certains étudiants aiment des jeux de guerre comme Counter Strike, les FPS sont en général délaissés au profit des jeux de stratégie en temps réel comme Starcraft et des MMORPG. Pas de panique pour les mordus des arènes, car les MOBA sont massivement joués, avec League of Legends (quelle surprise) et Dota 2 en tête. Sur mobile, bien qu'il y ait eu comme pour nous une période Angry Birds, Plant VS Zombies ou encore Fruit Ninja, il est certain que les Chinois détiennent actuellement leur jeu phare du moment : Honor of Kings, lancé par Tencent, géant sur lequel nous reviendrons un peu plus tard.
Il y a quelques années, un des jeux les plus populaires parmi les jeunes chinoises était le jeu de danse Jing Wu Tuan. Les garçons eux, en revanche, préfèrent largement passer des heures sur World of Warcraft, qui serait d'après certains le "seul jeu occidental à avoir vraiment du succès" en Chine.
Suite à l’interdiction des consoles, le marché du jeu d’arcade est également florissant en Chine. Les jeux de combat y sont particulièrement populaires. Des jeux PC ou mobiles tels que Angry Birds ou Plants VS Zombies y sont illégalement portés. Le seul jeu chinois à s’être assez bien exporté est probablement Happy Farm, transformé en Occident en Farmville.
La Chine ou la culture de toutes les inspirations
Même si son monde vidéoludique reste assez fermé à l’étranger, la Chine et sa culture n’ont eu de cesse d’influencer les game developpers. Les jeux de stratégie tels que Age of Empires ou Civilization permettent depuis leurs débuts d’incarner les grandes dynasties chinoises. Le célèbre Age of Wulin est un jeu en ligne multiplayer qui emmène le joueur dans la Chine ancestrale. Dernièrement, la série à succès Assassins’s Creed et dernièrement adaptée au cinéma a produit un opus dont l’intrigue se déroule en Chine. De plus en plus de wargames se déplacent du Moyen-Orient ou de la Russie vers la Chine, reflétant également, une certaine paranoïa américaine envers la Chine. C’est notamment le cas dans Battlefield 4 avec son extension China Rising.
La Chine en plein essor dans le jeu vidéo
Avec l’ouverture de la Chine, on peut s’attendre à ce que de plus en plus, ce soit la Chine qui vienne à la rencontre des joueurs. Il y a fort à parier que les jeux exportés seront de plus en plus nombreux ces prochaines années.
Et à juste titre, parce que rappelez-vous, nous avions laissé le géant Tencent en stand-by tout à l'heure. Nous le reprenons maintenant pour la simple (et non moins énorme) raison que l'éditeur français Ubisoft a récemment fait savoir qu'il allait s'associer avec le numéro un mondial du secteur, le géant chinois Tencent, pour l'adaptation sur mobile d'une des ses licences phares (sur PC) : Might and Magic Heroes : Era of Chaos, qui sera lancée en juin.
"C'est une étape importante dans notre stratégie mobile, travaillant main dans la main avec des développeurs et des éditeurs chinois afin de créer des jeux basés sur nos franchises existantes adaptés pour les joueurs chinois. Nous voulons ainsi constituer une offre de jeu attractive pour l'immense potentiel du marché chinois" a déclaré Jean-Michel Detoc, directeur exécutif d'Ubisoft mobile, dans un communiqué de presse.
L'an dernier, le segment des jeux mobiles a généré près de 12 milliards de dollars de revenus en Chine, ce qui est énorme.
Et l'eSport dans tout ça ?
Justement, parlons-en de l'eSport ! Il n'y a pas si longtemps, le 7 mars 2017, l'Olympique Lyonnais a officialisé à Pékin la création de sa Team eSports chinoise. Cette équipe compte quatre top-joueurs professionnel de FIFA Online 3 en Chine : Feng Rui, Song Di, Xu Qingmu et Sun Jiangfeng. Aussi, la Team OL chinoise sera engagée dans la quatrième saison de la Ligue FSL, e-Ligue organisée par Tencent Games. Avec la création de cette équipe, l’Olympique Lyonnais devient donc le premier club de football étranger à se lancer dans l’eSport en Chine, ce qui ne manque pas de ravir ce pays qui a alors un pied dans le territoire français.
L’Olympique Lyonnais entre ainsi sur le marché de l’eSport chinois avec rien d'autre en tête que de démontrer le potentiel réel du marché des sports électroniques chinois et de la Ligue FSL. Cette initiative va certainement contribuer à resserrer les liens entre l’Olympique Lyonnais et ses fans chinois et à promouvoir le développement du football et de l’eSport en Chine.
*hold my beer*
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Par contre, l'interdiction de Generals à cause de diffamation franchement je n'aurai pas deviné xD
Je me demande si Daesh a interdit Generals par rapport au GLA