Coup de coeur : Les Derniers Jours du Chevalier Noir, de Neil Gaiman
Le 31 mai 2019, les fans français de Neil Gaiman (dont nous faisons bien évidemment partie) étaient en fête. Non seulement l'intégralité de la mini-série Good Omens, la série adaptant son roman co-écrit avec Terry Pratchett, et dont il est le showrunner, est sortie sur Amazon Prime Video, mais en plus, Urban Comics sortait Les Derniers Jours du Chevalier Noir, un comics signé Gaiman malheureusement trop peu connu, et qui s'avère être un de ses meilleurs travaux.
Résumé sans poil
Les Derniers Jours du Chevalier Noir commence à Crime Alley, la rue dans laquelle Thomas et Martha Wayne, les parents de Bruce, se sont fait assassiner sous les yeux de leur fils unique. Catwoman sort d'une voiture, et entre dans un bar, qui abrite, dans son arrière-boutique, une cérémonie funéraire. Pas n'importe laquelle. Car, dans le cercueil, c'est Batman en personne qui repose. Ses amis (Alfred Pennyworth, le Commissaire Gordon, Robin, Dick Grayson, Catwoman, Barbara Gordon) et ses ennemis (Le Joker, Le Sphinx, Le Pingouin, et bien d'autres) viennent lui rendre un dernier hommage. Chacun raconte sa rencontre avec le Chevalier Noir, raconte son amitié, son amour, sa haine pour la Chauve-Souris de Gotham, et beaucoup avoue avoir tué, de mille et une manières, Batman. Bruce Wayne, sous la forme d'un esprit, est spectateur de toute cette scène étonnante, où on lui prête plusieurs morts, toutes différentes, et parle avec sa mère, qui le guide dans l'au-delà.
Origine d'un comics culte
Les Derniers Jours du Chevalier Noir trouve son origine dans un autre comics, plus ancien. Il s'agit de Les Derniers Jours de Superman, d'Alan Moore et Curt Swan, daté de 1986. Avec Whatever Happened to the Man of Tomorrow ? (le titre anglais des Derniers Jours de Superman), le légendaire Alan Moore s'était donné pour mission de clôturer, en deux parties (Superman #423 et Action Comics #583), l'Âge d'Argent de l'Homme d'Acier, mettant fin à l'une des plus grandes sagas de Superman. Résultat, Alan Moore a écrit l'une des histoires les plus mémorables du fils de Krypton, et Whatever Happened to the Man of Tomorrow ? est régulièrement cité parmi les plus grands comics édités par DC. Quand en 2009, DC Comics demande à Neil Gaiman de clôturer les séries Batman et Detective Comics en deux parties, sur le modèle de Whatever Happened to the Man of Tomorrow ?, Gaiman accepte bien volontiers. Tout d'abord, comme il le dit dans son excellente postface aux Derniers Jours du Chevalier Noir, il adore Batman. Ensuite, on imagine qu'être choisi pour écrire un comics sur le modèle de ce qu'avait fait son maître et ami Alan Moore devait être une opportunité qu'il ne pouvait pas ignorer. C'est ainsi que naquit Whatever Happened to the Caped Crusader ? (en français, Les Derniers Jours du Chevalier Noir).
Du Neil Gaiman pur jus
Quel formidable comics ! Neil Gaiman parvient à finir avec panache la saga Batman, dans les chapitres Batman #686 et Detective Comics #853. Mais là où on aurait pu s'attendre à ce que Gaiman imite Moore, on a du Gaiman pur jus. Alan Moore, comme à son habitude, s'était montré résolument révolutionnaire, et What Happened to the Man of Tomorrow était autant un hommage à Superman qu'un exercice d'égotisme signé par le plus grand scénariste de comics de tous les temps. Neil Gaiman, beaucoup plus humble que son illustre compatriote, décide de rendre hommage avant tout à son personnage et à tous les artistes qui l'ont précédé. Et c'est dans ce double-hommage, dans cette narration très méta, que Gaiman fait du Gaiman. Comme Paul Dini dans l'excellent Dark Night - Une histoire vraie, Neil Gaiman s'attache à montrer en quoi Batman est immortel tant pour les habitants de Gotham que pour les lecteurs des comics. D'où cette multiplication des morts du Chevalier Noir. Cette multiplication de la narration au sein même de la narration participe grandement à cette dimension méta du comics de Gaiman.
Le dessinateur, Andy Kubert, a bien compris ce que Neil Gaiman attendait de lui, et livre ici un tour de force rarement vu dans le domaine du comics book. Gaiman confie dans sa postface que Kubert n'a pas imité les dessinateurs du passé, mais a dessiné comme si les anciens dessinateurs de Batman, de Frank Miller à Brian Rolland, dessinaient dans le style d'Andy Kubert. Un lecteur averti saura y trouver aussi bien le Joker de Killing Joke que celui de The Dark Knight Returns ou de la série animée de Paul Dini et Bruce Timm.
Comme nous l'avons dit, c'est dans cette célébration d'un héros de fiction et dans la célébration de la fiction en général que Neil Gaiman parvient à donner à son Batman l'essence de ce qui fait son art. Car, comme le savent les fans de Neil Gaiman, les histoires, dans le sens élargi du mot, forment le leitmotiv de l'oeuvre du scénariste anglais. N'est-ce pas là le moteur de Sandman comme de Signal / Noise, de De bons présages comme d'American Gods, de Coraline comme de Stardust, de Neverwhere comme de L'étrange vie de Nobody Owens ?
Les Derniers Jours du Chevalier Noir est donc un comics indispensable, qui saura ravir les fans de Neil Gaiman et émouvoir les fans de Batman.