Focus sur Alan Moore (partie 3) : des chefs d'oeuvre trop méconnus
Alors que la chaîne HBO prévoit de sortir l'adaptation en série TV de Watchmen cet automne 2019, le légendaire scénariste anglais a officiellement pris sa retraite du domaine des comics, après la sortie de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires : La Tempête. L'occasion pour les éditions Urban Comics de nous préparer une série de publications qui ravira les fans du plus grand auteur de bandes-dessinées de tous les temps. Après les sorties très remarquées des deux volumes de Tom Strong (sortis respectivement le 7 décembre 2018 et le 7 juin 2019), ainsi que le premier volume d'Alan Moore présente Swamp Thing, publié le 5 juillet 2019 (trois tomes sont prévus !), Urban Comics sortira le 27 septembre une édition collector de The Killing Joke (avec l'intégralité du script ultra détaillé d'Alan Moore) et une édition limitée et annotée, en noir et blanc, de Watchmen. Il nous a semblé que c'était l'occasion pour nous de revenir sur l'oeuvre de notre scénariste favori, dans la troisième partie de ce focus.
Pour rappel, dans la première partie de ce focus, nous avions redécouvert V pour Vendetta, Watchmen, Batman : The Killing Joke, From Hell, La Ligue des Gentlemen extraordinaires, Top 10, Neonomicon et Providence ; dans la seconde partie, nous avions traité des oeuvres moins connues, mais non moins exceptionnelles, telles que Captain Britain, Miracleman, Swamp Thing, Les Derniers Jours de Superman, Le Miroir de l'Amour, La Coiffe de naissance, Serpents et échelles, Promethea et les suites de La Ligue des Gentlemen extraordinaires (Le Dossier Noir, Century et Nemo). C'est parti pour une nouvelle fournée de chefs d'oeuvre !
1 - La Ballade de Halo Jones
En juillet 1984, lorsque sort le premier numéro de La Ballade de Halo Jones, Alan Moore n'est pas encore l'auteur légendaire qu'il est aujourd'hui. Cependant, on sent déjà en lui ce talent et cette folie qui sont l'apanage des plus grands génies. Faut dire qu'Alan Moore a un parcours déjà auréolé de succès divers : à cette époque, il a déjà écrit Captain Britain (pour Marvel UK), Miracleman et V pour Vendetta pour le magazine Warrior. Mais à cette époque, Alan Moore ne travaille que pour des magazines et des éditeurs britanniques. Le dernier éditeur anglais pour lequel il travaillera sera 2000AD. Pour ce magazine de comics underground (à mille lieux des canons habituels des comics américains), Alan Moore a déjà écrit deux séries qui, bien que méconnues, sont parmi les meilleures productions britanniques de l'époque : Squizz, sorte d'E.T. politisé (dessiné par Jim Baikie) et D.R. & Quinch, space-opera ultra-violent et hilarant, racontant l'histoire d'un duo d'extraterrestres qui s'est donné pour tâche de provoquer le plus gros bordel possible dans l'espace-temps (en gros, des anti-Doctor Who cyniques). Un comics qu'on se plait à relire ne serait-ce que pour cette phrase : "Mon psychiatre dit que je suis un pervers psychotique. Mais ça ne fait pas de moi quelqu'un de mauvais, si ?" Fort de ce succès britannique anarchiste et à la moralité douteuse, qui parodie les théories douteuses d'Eric Von Daniken, Alan Moore s'atèle à l'écriture de son dernier comics pour 2000AD : La Ballade de Halo Jones, dessiné Ian Gibson.
La Ballade de Halo Jones, qui connut un succès retentissant en Angleterre, raconte l'histoire de Halo Jones, jeune femme prolétaire vivait en 4949 sur l'Anneau, une ville close gravitant autour de Manhattan. Comme toutes les personnes vivant dans ce bidon-ville où le chômage et l'analphabétisme atteignent des proportions incroyables, Halo Jones rêve d'ailleurs. Et cet ailleurs se matérialisera pour elle lorsqu'elle s'envolera vers d'autres planètes, s'inscrivant ainsi dans la légende. Car, les trois tomes (réunis en un seul volume par les excellentes éditions Delirium) de La Ballade de Halo Jones, c'est l'histoire d'une jeune prolo toute simple, qui n'a rien de plus que les autres, et qui deviendra légendaire. Ce comics est aussi l'occasion, pour Alan Moore, de livrer une fable d'une puissance politique rarement égalée. Car c'est toute la politique de Margaret Thatcher que le scénariste anglais critique dans ce magnifique ouvrage. Moore y transpose son vécu dans les Burrows, le quartier ouvrier de Northampton dans lequel il est né, et dans lequel il a passé toute son enfance et son adolescence. Mais, surtout, comme tout comics d'Alan Moore qui se respecte, c'est l'occasion pour le barde anglais de révolutionner les codes de la bande-dessinée, en livrant le premier véritable comics féministe de l'hebdomadaire 2000AD, et peut-être bien de l'histoire du comics book anglo-saxon. Car oui, pour la première fois, Alan Moore parvient à casser les codes de l'écriture des genres, en créant un personnage féminin qui restera dans les mémoires. Voici ce que Moore disait à propos, dans la préface, de son approche artistique dans La Ballade de Halo Jones : "Si je devais résumer aussi succinctement que possible les ingrédients d'une série 2000AD, je retiendrais probablement ces trois mots : des mecs, des flingues et du gore. Il est donc curieux que je me sois décidé pour des vaisseaux spatiaux, des nanas et du shopping." Nous recommandons vivement la lecture de ce gigantesque chef d'oeuvre, malheureusement trop méconnu, d'Alan Moore.
2 - La Voix du feu
Si Alan Moore est avant tout connu pour son travail remarquable dans la bande-dessinée, médium qu'il n'a jamais cessé de révolutionné (la lecture de ce focus en trois parties devrait normalement vous en convaincre), il est aussi un romancier hors-pair. Et ce ne sont les lecteurs de La Voix du Feu, son premier roman publié en 1996 (après cinq années d'écriture) qui diront le contraire. Ce roman, qui est en vérité un recueil de douze nouvelles, raconte le destin de douze personnages à différentes époques de la ville de Northampton, la ville de naissance d'Alan Moore. On y croise aussi bien un magistrat romain qu'un croisé que la guerre a usé, des sorcières qu'un membre de la célèbre Conspiration des Poudres (à laquelle participa Guy Fawkes, qui inspira Moore pour V pour Vendetta), un éleveur du Néolithique q'un juge libidineux. Des personnages de fiction et des personnages réels hantent les pages de ce livre si singulier. Chacun de ces douze destinées sont articulées autour de leitmotivs, tels que le feu, la sorcellerie, la foi, et des chiens noirs. Si la lecture de ce livre de 300 pages est un pur régal, nous vous conseillons de vous accrocher lors de la lecture du premier chapitre, intitulé Le Cochon de Hob. Parlant d'un éleveur de cochons du Néolithique, Moore a recréé un langage, inspiré de l'anglais, en se basant sur les recherches qui ont été faites par des anthropologues sur les langues aborigènes. Dans ce premier chapitre, l'auteur n'utilise que le présent de l'indicatif (pas de passé, pas de futur), et limite son vocabulaire à quelques centaines de mots seulement. Mais comme une image vaut mieux qu'un long discours, afin de vous convaincre de la difficulté de la lecture de ce premier chapitre, voici l'incipit : "En arrière de colline, loin vers soleil-descend, est ciel devenir pareil à feu, et est moi, souffle tout dur, venir en haut sur chemin de lui, où est herbe froide sur pieds de moi et mouiller eux." On pourrait reprocher à Moore une volonté d'écrire un roman pas accessible au tout-publique, mais pourtant, cela fait partie entièrement de sa démarche artistique : ce que Moore convoque, ce sont des fantômes du passé, et le langage est le vecteur qui permet leur résurrection sur le papier. D'ailleurs, ce langage très limité et quelque peu abscons qu'on trouve dans ce premier chapitre (la suite vous offrira une lecture beaucoup plus claire) n'est pas sans rappeler les messages propagandistes diffusés sur l'Anneau, dans La Ballade de Halo Jones.
Nous vous conseillons très vivement la lecture de La Voix du Feu. Déjà parce qu'il s'agit d'un chef d'oeuvre à l'intensité et à l'intelligence rares (comme beaucoup d'oeuvres d'Alan Moore), mais aussi, et surtout, parce qu'il marque une limite de démarcation dans sa bibliographie. A partir de l'écriture de La Voix du Feu, Alan Moore, qui s'intéresse de plus en plus à la magie, avant de devenir magicien lui-même, écrira de nombreux comics et de nombreux textes sur la question, dont quelques-uns des meilleurs chapitres de l'incroyable From Hell, et bien évidemment son plus grand d'oeuvre de l'époque du label ABC, Promethea (dont il était question dans la seconde partie de ce focus). La magie ne quittera plus l'oeuvre de Moore, et il en sera question dans presque toutes ses oeuvres futures. Mais la magie n'est pas le seul sujet de La Voix du Feu, et ce n'est pas sous ce seul prisme qu'on pourrait qualifier l'écriture de cette oeuvre de limite de démarcation dans l'oeuvre d'Alan Moore. Comme nous l'avions dit dans la seconde partie de ce focus, Alan Moore se passionne de plus en plus, au début des années 90, pour la psychogréographie, c'est à dire l'étude de l'influence des lieux dans la psyché des personnes qui les habitent. C'est cette passion pour la psychogéographie et pour la magie (deux disciplines intrinsèquement liées dans l'esprit de Moore) qui sera à l'origine d'oeuvres grandioses telles que From Hell, La Coiffe de Naissance, Serpents et échelles, Providence ou Jérusalem. Si Moore livrait une analyse psychogéographique de Londres, et plus particulièrement du quartier de Whitechapel dans From Hell (souvenez-vous de cette ballade en calèche dans le chapitre 4, véritable tour de force du point de vue de l'écriture bédéistique), c'est au tour de Northampton d'être observé par Moore. Pour notre plus grand bonheur.
3 - Lost Girls
L'oeuvre d'Alan Moore a toujours été habitée par les pulsions sexuelles de son auteur. Faut dire que chez Moore, l'acte sexuel est un acte magique au même titre que l'écriture. On trouve ainsi des scènes de sexe très explicites dans From Hell, Providence, Neonomicon, Promethea, Swamp Thing, etc. Mais jamais les scènes de sexe eurent autant d'importance que dans Lost Girls, cette BD pornographique féministe, écrite par Alan Moore et dessinée par sa femme, Melinda Gebbie. Lost Girls est la seconde (et dernière) oeuvre que Moore a écrite pour le magazine britannique Taboo, pour lequel il avait écrit From Hell. Mais attention, si Lost Girls est une BD qui rend hommage à l'érotisme de la Belle Epoque jusque dans son approche artistique (cf. les extraordinaires dessins de Gebbie), la pornographie n'est ici qu'un prétexte pour une oeuvre aux multiples facettes. N'oublions pas que chez Alan Moore, tout est plus complexe qu'il n'y parait.
Lost Girls raconte la rencontre entre trois héroïnes de la littérutre enfantine britannique : Wendy de Peter Pan, Alice d'Alice au Pays des Merveilles et Dorothy du Magicien d'Oz. Les trois héroïnes se rencontrent dans un hôtel autrichien juste avant qu'éclate la Première Guerre Mondiale, et se confient leurs premières expériences sexuelles. Mais derrière cette histoire pornographique se cache en vérité une réflexion sur notre rapport à la sexualité. Tout d'abord, Moore et Gebbie tentent d'analyser la dimension sexuelle des oeuvres enfantines britanniques, selon les idées du psychanalyste Sigmund Freud. C'est aussi une réflexion sur les différences d'approche de la sexualité selon la classe sociale dont nous sommes originaires (les trois personnages venant de classes sociales distinctes). Rappelons que Moore est très intéressant par la question de la classe sociale, comme nous avons pu le voir aussi bien dans V pour Vendetta que dans From Hell et Jérusalem. Mais surtout, l'ambition de Moore était de parler autrement du sexe qu'avec du mépris et de la gêne, mais le plus naturellement possible, en traitant de manière quasi-chirurgicale nos plus grands tabous sexuels. Pour toutes ces raisons, Lost Girls est sans aucun doute une preuve supplémentaire que, si beaucoup préfère chez Alan Moore ses oeuvres des années 80, les oeuvres les plus ambitieuses et les plus complexes écrites par le Barde de Northampton ont été écrites dans les années 90.
4 - Tom Strong
Pendant des années, de V pour Vendetta à From Hell, en passant par Watchmen, The Killing Joke et Swamp Thing, Alan Moore nous avait habitué à des récits denses, intenses, sombres, violents, tantôt anarchistes, tantôt nihilistes. Ces comics ont participé à fonder l'image du génie Alan Moore, un artiste complet, à l'extraordinaire intelligence et à l'imagination fertile. Mais avec certains titres du label ABC (pour America's Best Comics), qu'il a créé, Alan Moore s'amuse à casser cette image. Si ces récits, tels que La Ligue des Gentlemen extraordinaires ou Top 10, sont foncièrement intelligents (n'oublions pas que c'est sous ce label qu'a été publié l'extraordinaire Promethea), et s'ils peuvent parfois se montrer violents, on découvre dans ces titres une nouvelle facette du barde de Northampton : derrière cette façade de nihiliste anarchiste se cache en vérité beaucoup d'humour. (Bien évidemment, ceux qui lisent les préfaces d'Alan Moore avait déjà soupçonné cette facette !) Avec Tom Strong, deuxième titre lancé par le label, Alan Moore éloigne le plus possible la dimension nihiliste de son oeuvre, en livrant une série à la naïveté et à l'optimisme déconcertants. Alan Moore serait-il devenu neuneu ? Loin de là, bien au contraire. C'est avec tout le talent qu'on lui connait qu'Alan Moore livre ici le plus bel hommage possible aux pulps de son enfance, à ces personnages invulnérables, que rien ni personne ne peut battre.
Tom Strong est un héros de la Science, à la force surhumaine, qui a grandi isolé dans le cratère du volcan de l'Île d'Attabar Teru, élevé par les indigènes Ozu, qu'i l'ont nourri à la goloka, une racine locale. Accompagné de sa femme, la magnifique Dhalua, de leur fille, Tesla, de leur robot majordome Pneuman et d'un gorille parlant, le Roi Salomon, Tom Strong combat le crime. La particularité de Tom Strong, par rapport aux autres oeuvres d'Alan Moore, c'est qu'elle est accessible pour tous, même pour les enfants. Ici, pas d'éclat de violence, pas de réflexion philosophique, pas d'étude psychogéographique, pas de scènes de sexe explicite. Si on peut lui préférer les oeuvres plus adultes de Moore, avouons cependant que dans ce comics, le scénariste de Watchmen a su mener très haut le niveau du divertissement. Les personnages secondaires sont géniaux, et certains méchants, comme la colonelle nazie Ingrid Weiss ou l'Homme Modulaire, ont permis l'écriture d'épisodes désopilants au rythme mené tambours battants. L'intégralité de Tom Strong a été publiée en deux volumes par Urban Comics. Attention cependant, Alan Moore n'a écrit que les vingt-deux premiers épisodes de la série. Aussi, la majeure partie du second volume n'est pas écrite de la main d'Alan Moore, mais d'autres scénaristes invités par le barde de Northampton, tels que Brian K. Vaughan (Saga, Y le dernier homme), Michael Moorcock (Elric) et Ed Brubaker (The Authority, Catwoman : Relentless).
5 - Cinema Purgatorio
Si Cinema Purgatorio fait office de parent pauvre dans la bibliographie d'Alan Moore, c'est non pas à cause d'une supposée mauvaise qualité (loin de là même !), mais plutôt parce qu'il n'en est pas le seul auteur. Aussi pouvons-nous difficilement y déceler toute le génie de cet artiste complet. En effet, Cinema Purgatorio est une anthologie d'horreur dirigée par Alan Moore. Mais une anthologie bédéistique au concept bien particulier. Car on pénètre dans Cinema Purgatorio comme on entre dans une salle de cinéma. Une salle dont Alan Moore et son compère Kevin O'Neill, dessinateur sur La Ligue des Gentlemen extraordinaires, sont les directeurs et les régisseurs. Le concept est simple : les deux artistes anglais ont invité plusieurs auteurs triés sur le volet, parmi les plus grands noms du monde des comics, à s'essayer, en une vingtaine de pages, au récit d'épouvante et d'horreur. La seule contrainte étant que les dessins doivent être en noir et blanc. Parmi les invités les plus prestigieux, on trouve notamment Garth Ennis (grand scénariste de comics nord-irlandais, à qui l'on doit notamment, entre autres chefs d'oeuvre Preacher et les meilleurs runs de Hellblazer, preuve s'il en est de son attachement pour l'oeuvre d'Alan Moore), mais aussi Kieron Gillen (The Wicked + The Divine) et Nick Spencer (New Avengers, Iron Man 2.0). Tous les tomes de Cinema Purgatorio sont publiés chez Panini Comics.
6 - Jérusalem
Parler de Jérusalem, c'est quelque chose d'extrêmement difficile. Tout simplement parce qu'à la lecture de ce roman (le deuxième d'Alan Moore) de plus de 1200 pages (papier bible), on a l'impression qu'il peut contenir le monde tout entier. Car c'est là le miracle réussi par Alan Moore, écrire un roman-somme qui embrasse tout : temps, espace, magie, science, réel, irréel, histoire, fiction, individu, famille, foi, folie. Un roman unique, un chef d'oeuvre implacable, à la densité et à l'intelligence si profonde que le livre devient un gouffre. On ne ressort pas indemne de la lecture de Jérusalem.
Dans La Voix du Feu, son premier roman, Alan Moore avait livré une étude psychogéographique de Northampton, éclatée en douze chapitres et en autant d'époques distinctes. Dans Jérusalem, ce génie des comics, qu'on découvre aussi et surtout comme étant un génie de la littérature, livre une nouvelle expérience psychogéographique, limitée cette fois-ci aux seuls Burrows, le quartier ouvrier de Northampton dans lequel il est né, et qu'il habite toujours. Mais là où dans La Voix du Feu, les temporalités étaient distinctes, le lecteur naviguant dans le temps au fur et mesure que s'écoulaient les chapitres, du Néolithique à nos jours, Jérusalem fait cohabiter toutes les époques en même temps, Moore s'inspirant des théories scientifiques d'Einstein. Ainsi, dans ce roman complètement délirant, se croisent et se recroisent Lucia Joyce (la fille de Jim Joyce, connu pour son Ulysse), Cromwell, Lady Di, Moore rendant hommage à la fois William Blake, Samuel Beckett, au roman gothique, bref, à tous les genres littéraires qui ont fait les lettres de noblesse de la littérature anglo-saxonne. Démonstration de l'imagination délirante d'Alan Moore, ce roman en trois parties, fait cohabiter drame familial, critique sociale, réflexion sur le temps et sur l'art, et esthétique gothique. Un chef d'oeuvre, qui s'avère être une des oeuvres les plus impressionnantes d'Alan Moore. Le livre, sorti en Angleterre en 2016, et en France fin 2017, sera édité en format poche, par Actes Sud début septembre 2019.
7 - La Ligue des Gentlemen extraordinaires : La Tempête
Annoncé comme l'ultime travail d'Alan Moore en tant qu'auteur de comics, La Ligue des Gentlemen extraordinaires : La Tempête porte la lourde de charge de clôturer à la fois l'incroyable saga dont elle porte le titre, mais aussi la bibliographie bédéistique du plus grand scénariste de bandes-dessinées de tous les temps. Etant donné que Panini Comics publiera le 13 novembre 2019 ce quatrième opus de La Ligue des Gentlemen extraordinaires, nous ne vous dévoilerons rien de l'intrigue, afin de vous laisser l'opportunité de découvrir ce nouveau chef d'oeuvre. Tout ce que nous vous dirons, c'est que Moore, toujours accompagné par Kevin O'Neill au dessin, livre ici un opus taillé pour les fans de La Ligue des Gentlemen extraordinaires. Si au tout début de la série, le scénariste anglais avait désiré rendre hommage aux héros de fiction britanniques, de plus en plus, le comics est devenu de plus en plus métadiégétique, Moore s'intéressant aux genres fictionnels, et à leurs supports. Après les classiques de la science-fiction anglaise, après le roman d'espionnage, la littérature d'aventures et la littérature contemporaine (de 1969 à nos jours), Alan Moore s'intéresse ici à la bande-dessinée, des pulps aux comics contemporains. Ce sujet permet à Moore de livrer la parfaite conclusion à son oeuvre d'auteur de comics, en offrant un comics dont l'approche n'est pas sans rappeler l'approche d'un Quentin Tarantino pour le cinéma, ou de son ami, et élève, Neil Gaiman, lui aussi passionné par les genres fictionnels. Une fois la série terminée, la seule pensée qui nous a traversé l'esprit, c'est : "Merci monsieur Alan Moore pour ces dizaines de chefs d'oeuvre, qui ont transformé si profondément les comics."
8 - Alan Moore en chansons
Vous ne le savez peut-être pas, mais Alan Moore n'est pas qu'un génial scénariste de comics. Il est aussi romancier, magicien, anarchiste, végétarien. Mais il est aussi... parolier et chanteur ! Et le pire, c'est que le bougre est carrément doué dans le domaine ! Dans les années 1970, alors qu'il était très proche de la scène underground de Northampton, Alan Moore écrit un monologue sur des assassinats ayant été perpétrés à Chicago dans les années 1920, intitulé Old Gangsters Never Die. (Par la suite, Alan Moore confiera que ce monologue fait de lui "le père du gangsta rap" !) Mais le véritable tournant musical d'Alan Moore fut sa rencontre avec David J, le bassiste du légendaire groupe de rock gothique Bauhaus (un des plus grands groupes de rock britannique, aux côtés de The Cure et Joy Division), originaire de Northampton. Ensemble, ils créent le groupe complètement fantasque The Emperors of Ice Cream, avec qui Moore enregistre plusieurs chansons, dont l'excellente Another Suburban Romance, écrite à l'époque de Old Gangsters Never Die.
Parmi les autres chansons majeures de The Emperors of Ice Cream, écrites et chantées par Moore, on peut aussi mentionner Fires I Wish I'd Seen, Me and Dorothy Parker (ma préférée) et Mr. A, une chanson sur le dessinateur Steve Dikto, basé sur une reprise du Velvet Underground. (A noter par ailleurs qu'à l'époque, parmi les choristes, il y avait Melinda Gebbie, la dessinatrice de Lost Girls, et épouse d'Alan Moore.)
Mais la carrière musicale d'Alan Moore est aussi intrinsèquement liée à son oeuvre de scénaristes de comics. En effet, l'un des chapitres les plus impressionnants de V pour Vendetta est une chanson, chantée par V, dont on retrouve dans le comics la partition. Et bien sachez qu'à la demande d'Alan Moore, son ami David J a enregistré la chanson, intitulée This Vicious Cabaret, en se basant sur les paroles d'Alan Moore. A noter également que les spectacles de magie d'Alan Moore sont toujours accompagnés de musiques, composés par David J et Tim Perkins, avec qui Alan Moore forme le groupe de magie The Moon and Serpent Grand Egyptian Theatre of Marvels.
Avec David J, Alan Moore crée un nouveau groupe, The Sinister Ducks, un trio que complétera Alex Green. Le groupe enregistrera une chanson, The March of the Sinister Ducks. A noter que cette chanson sortira en 45-tours en 1983, et que la couverture sera dessinée par Kevin O'Neill, futur dessinateur de La Ligue des Gentlemen extraordinaires. Alan Moore reviendra ensuite le temps d'une chanson, avec The Emperors of Ice Cream, The Murders on the Rue Morgue, inspirée de la nouvelle d'Edgar Allan Poe.
Enfin, mentionnons la magnifique chanson Madame October, que Moore a écrit et interprété pour le musicien folklorique Tom Hall, qui désirait collaborer avec l'auteur de Watchmen. Ce dernier a accepté, ayant un immense respect pour Tom Hall.
Attention : toutes les chansons mentionnées ci-dessous sont uniquement disponibles sur le CD accompagnant l'édition française d'Alan Moore : Storyteller de Gary Spencer Millidge, hormis This Vicious Cabaret, qui est disponible sur l'EP V for Vendetta de David J.
9 - Et ensuite ?
Si Alan Moore a arrêté la bande-dessinée, il se consacre désormais au cinéma. Il a en effet écrit le scénario d'un long-métrage, The Show, réalisé par son ami Mitch Jenkins, Nous savons que le film sera une nouvelle déclaration d'amour d'Alan Moore à Northampton, et racontera l'histoire «d’un Lothario trépassé, des beautés endormies et comateuses, des gangsters vaudous, des aventuriers masqués, des détectives improbables des années 1930 et des femmes violentes tout en clair-obscur». Une première image a été publiée, et le film n'est pas sans rappeler les films récents de l'extraordinaire réalisateur, scénariste de BD, poète et devin Alejandro Jodorowksy. Il est fort probable qu'Alan Moore continue son oeuvre de magicien et de romancier, et pourquoi pas de musicien. En tout cas, quoique ce grand artiste nous réserve à l'avenir, il faut s'attendre à quelque chose d'aussi grandiose qu'étonnant.
Je me permets de faire un ajout à la section chansons : les deux morceaux dédiés à la Ligue des Gentlemen Extraordinaires, "chantés" par Alan Quatermain à qui Alan Moore prête sa voix et évoqués dans le Dossier Noir et La Tempête ! Voici un lien où les trouver :
https://dorkforty.wordpress.com/2012/12/16/alan-moores-immortal-love/
- l'onirique "Promethea"
- le fabuleux "Top 10"
- le génial "Suprême"
Je trouve que Alan Moore est un artiste génial et unique. Il n'a que faire des conventions sociales et ce qu'il écrit à un fond (si on creuse un peu).
Au vue de ce que je lis ci-dessus, si des gens préfèrent les histoire fades , lisses et pleines de guimauves de Disney (sans bite donc) , ils ne sont pas le public de Alan Moore qui est sans concession.