Focus sur… Alan Moore, le père de V for Vendetta, Watchmen...
Alan Moore est une légende. Même sa personne déchaine les passions. Anarchiste, magicien, végétarien, adorateur de la divinité romaine Glycon, et surtout, extrêmement intelligent. Alors, rien d’étonnant si chacune de ses publications est un événement ! À l’occasion de la sortie dans nos contrées du premier volume de Providence (sa nouvelle série), retour sur la carrière du plus grand scénariste de comics de tous les temps. Bien sûr, je ne pourrai pas traiter toute son oeuvre : elle est trop ample. Mon choix s’est porté sur ses oeuvres les plus célèbres, et celles qui m’ont le plus marqué.
1- 1982-1988 : V pour Vendetta
Non seulement V pour Vendetta est le premier gros travail d’Alan Moore, mais c’est aussi son premier chef d’oeuvre. Vous ne connaissez pas ? C’est impardonnable ! V pour Vendetta est une oeuvre EXTRAORDINAIRE. Le scénariste anglais, accompagné au dessin de David Lloyd, imagine une Angleterre fasciste, gouvernée par un parti, Norsefire, qui semble sorti tout droit de 1984 de George Orwell. Alors que la jeune Evey Hammond, orpheline de 16 ans, tentait de se prostituer pour subvenir à ses besoins, des agents de la Main tentent de la violer. C’est alors qu’elle est sauvée par V, mystérieux justicier anarchiste et terroriste, inspiré de Guy Fawkes. Dès leur première rencontre, V fait exploser le Palais de Westminster. C’est le début d’une longue série d’attentats et de meurtres contre divers hauts-dignitaires du parti. Mais tout semble avoir un rapport avec un camp de concentration dans lequel V a été enfermé : le camp de redressement de Larkhill.
Si les dessins de David Lloyd, très rétros, peuvent surprendre, l’histoire est exceptionnelle. V pour Vendetta est assurément une bombe atomique lâchée sur le monde des comics. Jamais comic n’avait été plus littéraire. Jamais auparavant je n’avais lu histoire si prenante, si passionnante. V pour Vendetta est un concentré de tout ce que deviendra l’oeuvre d’Alan Moore par la suite : violence, sexe, anarchie et folle intelligence. Cette oeuvre d’un des plus grands génie du XXème siècle a été adaptée par James McTeigue et les frères Wachowski (les réalisateurs de Matrix, Cloud Atlas, Jupiter Ascending et de Sense8), avec Hugo Weaving, Nathalie Portman et John Hurt. Si le film (quoiqu’infidèle à l’oeuvre de Moore sur certains aspects) est un film génial, il ne vous dispense pas de lire le comic.
Pour l'acheter : 28 euros, chez Urban Comics.
2- 1986-1987 : Watchmen
1986 : l’année où Alan Moore a changé les règles du comic-book. Quelques mois après l’extraordinaire succès du Dark Knight Returns de Frank Miller, le scénariste anglais écrit pour DC Comics une série de douze numéros : Watchmen. En 1985, Nixon commence son troisième mandat. Grâce au Dr. Manhattan, personnage omnipotent et omniscient, suite à un accident nucléaire, les États-Unis d’Amérique ont gagné la Guerre Froide face à l’U.R.S.S. Mais depuis 1977, la loi Keane interdit les héros masqués. Deux seulement peuvent continuer à exercer : le Dr. Manhattan et le Comédien, qui travaillent pour les U.S.A. Un soir, le Comédien est assassiné. Un ancien camarade de lute, Rorschach, mène l’enquête pour découvrir l’identité du tueur, persuadé que celui-ci a l’intention d’éliminer un à un les anciens héros masqués. Peut-être le temps est-il venu de remettre un masque et de sauver le monde pour les Watchmen.
Alan Moore signe avec Dave Gibbons une oeuvre brillantissime, anarchiste et nihiliste. Watchmen semble sorti de nulle part, et pourtant, on a l’impression que le monde des comics n’aurait pas survécu sans lui. L’histoire, où se mêle violence, sexe, policier et politique, est extrêmement prenante : impossible de lâcher notre lecture tant on est fasciné. Alan Moore invente des héros vieillissants, terriblement humains. Le contexte de presque-apocalypse (qui résulte de la menace exercée par la bombe nucléaire) de l’oeuvre semble toujours d’actualité (remplacez la bombe nucléaire par un attentat). Watchmen est une oeuvre sur la paranoïa d’une civilisation éclatée par ses désirs de puissance, un manifeste anarchiste, un récit où super-héros et grande littérature ne sont pas antinomiques. Le comic a été porté à l’écran par Zack Snyder, en 2009. Une adaption si fidèle qu’elle en devient presque maniaque. Le réalisateur de 300, Sucker Punch, Le Royaume de Ga’Hoole, Man of Steel et de Batman v. Superman : L’aube de la Justice signe avec Watchmen son meilleur film.
Pour l'acheter : 35 euros, chez Urban Comics.
3- 1988 : The Killing Joke
Lorsqu’on demande à Tim Sale (Batman : Un long Halloween, Batman : Amère Victoire) quels sont les meilleurs comics de l’histoire, il répond : Watchmen, The Dark Knight Returns, Batman : Année Un, The Killing Joke. On remarque deux choses. La première : Alan Moore et Frank Miller sont les deux plus grands scénaristes de comics, puisque les deux auteurs sont cités deux fois dans le top (Alan Moore pour Watchmen et Killing Joke, Frank Miller pour The Dark Knight Returns et Batman : Année Un). La seconde : trois de ces comics sont des aventures de Batman. Rien d’étonnant : selon une étude Synthesio, le Chevalier Noir de Gotham est le super-héros le plus populaire de la pop culture. Normal : il est celui dont les aventures sont les plus excitantes, les plus brillantes. Voir l’article : Entrez dans l’Univers Batman : top des meilleurs comics sur le Chevalier Noir. Et je trouve que Killing Joke est sans aucun doute la meilleure de ses aventures.
Le scénariste anglais s’offre les services de Brian Rolland pour ce one-shot exceptionnel, qui vous fera voir le Joker comme jamais auparavant. La Némésis de Batman s’est une fois encore échappé de l’asile d’Arkham. Le Joker est bien décidé à prouver au monde — et plus particulièrement à la Chauve-Souris — que tout homme ordinaire, après une mauvaise journée, peut devenir aussi fou que lui. Pour prouver son hypothèse, il fera souffrir Jim Gordon et sa fille, Barbara. En parallèle, on découvre le passé du Joker. Le génie de Moore, c’est de mettre sur un pied d’égalité le Joker et Batman : si le premier est bien évidemment fou, le second est-il vraiment sain d’esprit ? L’histoire du Batman et du Joker, n’est-elle pas celle "de deux fous dans un asile" ? Killing Joke, du haut de ses 40 pages, est le comic-book qui nous rappelle le plus efficacement pourquoi on aime autant le Chevalier Noir de Gotham ! Cultissime !
Pour l'acheter : 13 euros, chez Urban Comics.
4- 1991-1996 : From Hell
From Hell est peut-être l’oeuvre la plus ambitieuse d’Alan Moore. Exit les super-héros et autres justiciers. Avec cette nouvelle série, dessinée par Eddie Campbell, Alan Moore s’attaque à l’Angleterre, avec un récit historique : l’histoire de Jack l’Éventreur. Le petit fils de la reine Victoria a une aventure amoureuse avec une vendeuse. La reine est furibonde : le duc est éloigné de Londres, la vendeuse enfermée dans un asile. Mais lorsque des prostituées l’apprennent, elles décident de faire chanter la reine, menaçant de dévoiler cette effroyable vérité. Mais Victoria a plus d’une corde à son arc. Elle demande au docteur William Gull d’éliminer les prostituées. C’est le début d’une des plus effroyables légendes de l’histoire moderne.
Extrêmement réaliste, sombre et violent, From Hell est une oeuvre d’une intelligence rare. L’écriture de Moore n’a jamais été aussi belle. Les ballades métaphysiques de Gull et de son cocher sont ahurissantes. Si le dessin, en noir et blanc, de Campbell peut surprendre, on s’y habitue très vite. À ceux qui pensent que les comics sont pour les ados attardés, qu’ils lisent cette bande-dessinée ! Quand on la lit, on se dit qu’Alan Moore mériterait le Prix Nobel de Littérature. From Hell a été adapté au cinéma par Stephen Norrington en 2003, avec Johnny Depp.
Pour l'acheter : 49,95 euros, chez Delcourt.
5- 1999-… : La Ligue des Gentlemen extraordinaires
En 1999, Alan Moore signe sa série la plus paradoxale. La Ligue des Gentlemen extraordinaires est à la fois son oeuvre la plus légère (il y a beaucoup, beaucoup d’humour), mais c’est également l’une de ses oeuvres les plus sulfureuses. Mais c’est surtout sa première excursion dans le steam-punk. Pour défendre l’Angleterre contre des ennemis toujours plus dangereux, M. et James Bond réunissent une équipe dévastatrice : la Ligue des Gentlemen extraordinaires, formée par Miss Wilhelmina Murray (tirée de Dracula de Bram Stoker), Alain Quatermain (le personnage des Mines de Salomon de Henry Rider Haggard), Dr Jekyll et Mr. Hyde (d’après l’oeuvre de Stevenson), le capitaine Nemo (dans Vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne) et L’Homme Invisible (du roman éponyme de H.G. Wells).
La Ligue des Gentlemen extraordinaires est une des oeuvres les plus importantes d’Alan Moore. Son succès retentissant a d’ailleurs poussé l’auteur à écrire plusieurs suites, toutes excellentes. On suit ainsi l’histoire de la Ligue sur plusieurs décennies. Alan Moore fait de cette oeuvre tout un univers, dans lequel on aime se plonger. Un univers rendant hommage à la littérature anglaise, où se mêlent humour, amour, sexe et une bonne dose de violence. À noter que La Ligue des Gentlemen extraordinaires a été adaptée au cinéma. Mais l’adaptation est très mauvaise.
Pour l'acheter : La Ligue des Gentlemen extraordinaires (vol.1 et 2 en un volume) : 36 euros, chez Panini Comics. La Ligue des Gentlemen extraordinaires : Le Dossier Noir: 29,95 euros, chez Panini Comics. La Ligue des Gentlemen extraordinaires : Century tome 1 : 1910 : 15,50 euros, chez Delcourt. La Ligue des Gentlemen extraordinaires : Century tome 2 : 1969 : 15,50 euros, chez Delcourt. La Ligue des Gentlemen extraordinaires : Century tome 3 : 2009 : 15,50 euros, chez Delcourt. Nemo : Coeur de glace : 13 euros, chez Panini Comics. Nemo : Les Roses de Berlin : 13 euros, chez Panini Comics. Nemo : Fleuve de fantômes : 13 euros, Panini Comics.
6- 2000-2003 : Top 10
Ça semble être une règle de la nature : tous les travaux d’Alan Moore sont des chefs d’oeuvre. Top 10 ne fait pas exception. C’est un chef d’oeuvre. Dans cette nouvelle exploration du mythe du super-héros, Alan Moore imagine une ville, Néopolis, où tous les habitants ont des super-pouvoirs, même les animaux. Autrement dit, c’est un gros bordel. Pour maintenir l’ordre dans une ville sans cesse menacée par ses propres habitants, rien de tel que le Top 10, le commissariat du Dixième District. Aux grands maux, les grands remèdes !
Top 10 est l’une des oeuvres les plus abouties d’Alan Moore. Non seulement les dessins de Gene Ha sont splendides, mais en plus les histoires racontées dans cette série sont la quintessence du génie d’Alan Moore : le tout servi avec une bonne dose d’humour. Le fait est que Top 10 est également l’une de ses oeuvres les plus sulfureuses. La sexualité des personnages y est mise en avant, soulevant des problématiques inédites dans l’oeuvre de Moore. Il y parle de zoophilie, mais imagine également une ville (dans un épisode spécial de Top 10) où l’inceste est la norme. Bref, une oeuvre incroyable, dans laquelle tout le monde (à partir d’un certain âge, bien sûr) devrait se plonger.
Pour l'acheter : 35 euros, chez Urban Comics.
7- 2010 : Neonomicon
En 2010, Alan Moore, rejoint le dessinateur Jacen Burrows, pour une mémorable incursion dans l’univers de H.P. Lovecraft. Là où de nombreux artistes (scénaristes ou romanciers) auraient fait un simple pastiche de l’oeuvre du plus grand auteur du genre horrifique, le scénariste anglais offre une autre vision du monde lovecraftien, le replaçant dans une temporalité contemporaine. Deux agents du FBI, une nympho canon et son ami black cynique, interrogent un de leur ancien collègue, Sax, interné dans un hopital psychiatrique suite à une sombre histoire de meurtre et de mutilation, incapable de parler si ce n'est dans une langue inventée, tirée des romans de Lovecraft. Lamper et Brears enquêtent sur cette affaire, qui les mènera à leur perte. Des rues remplies de drogues de Brooklyn jusqu'aux partouzzes monstreuses de Salem, le lecteur suit l'aventure, aussi choqué qu'intrigué par ce réalisme merveilleusement monstreux que Moore nous peint avec brio, aidé par un Jacen Burrows au top !
Avec Neonomicon, Alan Moore offre un reflet en négatif de l’oeuvre de Lovecraft. Alors que les femmes sont peu présentes dans l’oeuvre du romancier américain, Moore choisit de faire d’une femme son personnage principal. De même, le scénariste anglais joue sur les tabous de l’auteur de L’Appel de Cthulhu. Alors que le sexe est toujours éclipsé chez Lovecraft, Alan Moore et son acolyte livrent des scènes à la limite de la pornographie : zoophilie, viols, orgies. Neonomicon est une oeuvre extrêmement provocatrice, où Alan Moore, le plus scénariste de tous les temps, se réinvente en H.P. Lovecraft. À noter que Neonomicon n’est pas la première incursion de Moore et de Burrows dans l’oeuvre du romancier américain : en effet, quelques années avant, ils avaient collaboré sur The Courtyard. Mais n’étant pas publié en français, j’ai décidé de laisser ce travail (exceptionnel !!) de Moore de côté.
Pour l'acheter : 17,50 euros, chez Urban Comics.
8- 2015 : Providence
Cinq ans après Neonomicon, le tandem Moore/Burrows récidive leur exploration de la poésie Lovecraftienne. Alan Moore raconte l’histoire de Robert Black, un journaliste juif et homosexuel vivant à New York en 1919, et qui souhaite écrire un roman. Lorsqu’il interview le Docteur Alvarez, spécialiste du livre Sous le monde, il apprend l’existence d’un livre mystique arabe, La Sagesse des étoiles, donnant des astuces pour contourner la mort. Il comprend également qu’il existe une Amérique cachée, bien loin des mondanités new-yorkaises. Ces données nouvellement acquises, Robert partira à la rencontre de ce monde caché, ce monde sous le monde, où il espère pouvoir puiser matière à écrire le roman du siècle.
Sorti le 13 octobre 2015 en France, le premier tome de Providence (qui regroupe les quatre premiers chapitres d’une série de douze) est une tuerie, où tout le génie d’Alan Moore atteint sa forme paroxystique. Non seulement Providence est l’aboutissement du travail de Moore sur Lovecraft, mais il s’agit également d’une série aussi ambitieuse que Watchmen, V pour Vendetta ou From Hell. Après avoir réinventé les codes du super-héros, il retravaille les codes du policier et de l’horreur. Providence est une série extraordinairement riche, où Moore fait la psychanalyse de son oeuvre et de celle de Lovecraft, l’auteur américain né dans la ville de Providence. En choisissant pour personnage un journaliste juif américain, le scénariste anglais puise dans les tabous de Lovecraft, antisémite et homophobe. Extraordinaire !
Pour l'acheter : 18 euros, chez Panini Comics.
Que lire d’autre ?
Alan Moore a commencé avec l’horreur, dans une série intitulée Swamp Thing, dans laquelle il crée le personnage de John Constantine. Hellblazer, ça vous dit quelque chose ? Oui ? Tant mieux ! Votre honneur est sauf ! Il est également le scénariste de séries de super-héros, comme Promethea ou Miracleman. Il a également écrit les meilleurs chapitres de la série Spawn. Enfin, il a écrit avec sa femme la bande-dessinée pornographie Filles perdues, considérée comme étant un chef d’oeuvre de la littérature érotique, où le scénariste anglais réinvente les personnages de nos contes d’enfant.
Je valide tes "Focus sur..." !!! :)
Et n’hésites surtout pas de mentionner aussi les œuvres existants uniquement en VO (comme tu as fait avec "The Courtyard").
Je connaissais pas et tu m'as donné envie d'aller y jeter un œil !
Moore refuse que son nom apparaisse aux génériques des films tirés de ses comics et demande que l'argent des droits revienne aux dessinateurs , il ne veux avoir rien affaire avec Hollywood !
Le film V for vendetta , l’héroïne qui meurt de faim qui veux se prostituer, est devenu une simple jeune femme qui se fait attaquer dans le rue, la moulinette réductrice est dés les début du film !
Dans le comic, V se révèle être un psychopathe prés a tout pour son combat (on ne sait pas s'il est fou ou essaye de le faire croire) est transformé en simple Super héros dans le film, ect...
On est vraiment a coté de la plaque , car le comic pose la question sur la légitimité du terrorisme dans un pays totalitaire , la BD pose pas mal de questions , au lecteur d'avoir ses réponses!
Le film est plus que dispensable , et ne retiens en rien le coté subversif de Moore et sa façon de mettre a contribution l’intelligence du lecteur.
The Killing Joke est quelque peu renié par Moore, il trouve que la noirceur du récit est un peu gratuit et ne mène a rien !
Il s'explique plus ici :
https://fr.wikipedia.org/wiki/…