Voir les comics autrement : pour la réhabilitation d'un genre noble
Les comics souffrent de trop nombreux stéréotypes. On se souvient de cet épisode de The Big Bang Theory (Saison 6, Épisode 13), où Bernadette, la femme d’Howard Wolowitz, dit à propos d’une BD qu’elle vient de lire : "Il y a beaucoup d’images. Et sur une page, il y avait juste 'brakka-doom' !" Combien de fois un proche réprobateur, et à l’esprit un tantinet fermé, a soupiré, agacé : "Il ne lit rien ! Il ne lit que des BD." Les comics sont vus comme des lectures stupides, sans intérêt, où il n’y a que du combat. C’est à mille lieux de la vérité. Nombre de comics sont des chefs d’oeuvre littéraires ! La preuve dans les lignes qui suivent. Certains servent même de base pour des séries TV comme Daredevil.
Les super-héros : une super-mythologie contemporaine
Le principe qui est à la base du super-héros est issu des héros des grandes mythologies (grecque, romaine, scandinave, etc). Le super-héros est un homme qui, par ses pouvoirs extraordinaires, est au-dessus des hommes. Leur statut de demi-dieu rappelle les grands héros de l’Iliade, comme Achille et Hector. La comparaison n’est absolument pas exagérée. D’autant plus que comme dans les grandes épopées, les héros des comics sont les reflets de valeurs qu’on tente d’inculquer dans nos sociétés. Les valeurs guerrières ont seulement été remplacées par des valeurs plus humanistes, telles que le respect des libertés individuelles, la protection des plus faibles.
Le rôle du super-héros est de protéger une humanité souvent en déroute, une société qui a tendance à se détruire elle-même. Superman protège les faibles, menant un combat acharné contre une administration incarnée par Lex Luthor, rongé par l’appât du gain et la puissance prodiguée par la science. Le Fils de Krypton apparait dès lors comme un messie, LE messie. Comme Jésus, Superman n’est pas d’origine terrienne. Il est le fils d’une entité supérieure (les sages habitants de Krypton), et il utilise ses pouvoirs pour protéger les humains, qui le rejettent sans arrêt. Oui, les super-héros sont une super-mythologie humaniste, qui réutilise les codes des mythologies du passé.
Déconstruction des codes : De The Dark Knight Returns à Civil War
En 1986, le monde des comics a tremblé sur ses fondations. Deux bombes atomiques sont lancées sur la planète Geek, qui changeront à jamais les codes des comics books. La première, The Dark Knight Returns de Frank Miller. Le jeune Miller, déjà remarqué pour son excellent travail sur Daredevil, dont la série Netflix s’est fortement inspirée, imagine dans The Dark Knight Returns un Batman vieillissant, proche de la soixantaine, mais Gotham est toujours en proie à la corruption, à la violence, au désespoir. Bruce Wayne, qui avait pris sa retraite, devra remettre le masque du Chevalier Noir, lorsque le Gang des Mutans plongera Gotham dans un tourbillon de violence. Batman est parti pour sa dernière chevauchée. Mais se mettront sur son chemin le Gouvernement, la police et... Superman ! Frank Miller prend le parti de faire un Batman plus sombre, plus violent, parfois irascible. Le contexte de Guerre Froide dans lequel s’inscrit le récit lui confère un pessimisme dévastateur, presque nihiliste. À la fois psychologique et politique, le chef d’oeuvre de Frank Miller dépasse l’aspect mythologique du super-héros, pour en faire une fresque humaine.
L’autre bombe de 1986, c’est Watchmen d’Alan Moore et de Dave Gibbons. En 1985, Kennedy commence sont troisième mandant. L'Amérique a gagné la Guerre Froide face à l'U.R.S.S. grâce au Dr Manhattan, personnage omnipotent depuis un accident nucléaire. Depuis 1977, la loi Keane interdit les héros-masqués. Deux seulement peuvent encore agir en parfaite légalité, à cause de leur rôle dans les affaires gouvernementales : le Dr Manhattan et le Comédien. Mais lorsque le Comédien est retrouvé assassiné, en bas de son immeuble, un ancien camarade de lutte, Rorscharch, mène l'enquête, persuadé que dans les rues de New York sévit un tueur de masques, bien décidé à supprimer les anciens héros masqués, ces Watchmen, qui vivent aujourd'hui cachés : le Hibou, le Specte Soyeux, Ozamandyas, Rorscharch et Dr Manhattan. Cette affaire confrontera les anciens Watchmen jusque dans leurs secrets les plus intimes, et mènera le monde dans le chaos. Avec Watchmen, Alan Moore prouve qu’il est bien plus qu’un simple scénariste de comics : c’est un écrivain de génie, qui a rendu la bande-dessinée bien plus littéraire qu’elle ne l’était. Cette confrontation entre super-héros vieillissants est devenu un modèle à suivre. Le super-héros n’est plus un être qu’on se contente d’idolâtrer parce qu’il nous sauve, il est devenu un homme qui en tentant de sauver autrui, tente de se sauver lui-même.
Mais n’allez pas croire que seuls Alan Moore et Frank Miller ont donné leurs lettres de noblesse aux super-héros. En 2006, Mark Millar écrit Civil War, un gigantesque cross-over entre les différents héros de l’Univers Marvel, qui portera le coup de grâce à ce qui restait de cette super-mythologie : en confrontant Iron Man et Captain America sur la place que doivent occuper les super-héros dans la société (combattre au service du gouvernement ou comme justicier libre ?), Mark Millar livre un discours métadiégétique sur le comic de super-héros. SPOIL : en faisant triompher Iron Man, Mark Millar ne place plus le super-héros au-dessus de la société des hommes, mais à son service, le replaçant dans sa nature humaine.
Il n’y a pas que les super-héros dans la vie !
Penser que les comics ne parlent que de super-héros, c’est une erreur ! Les sujets sont aussi divers que dans les romans. La raison ? Parce que le comic est un support offrant de très nombreuses possibilités, il permet d’explorer de très nombreux genres.
L’un des genres privilégiés dans les comics, est la SF ! Alan Moore (V pour Vendetta), Brian K. Vaughan (Saga), Rick Remender (Black Science), Warren Ellis (Trees) tous ont écrit des séries SF passionnantes, dignes des plus grandes séries TV. La Fantasy n’est pas en reste non plus avec notamment Northlanders, ou l’adaptation de Game of Thrones, ou de Conan le Barbare. Avec l’approche presque cinématographique que permet le comic, nombre d’auteurs ont écrit des séries d’horreur qui ont fait trembler Stephen King, comme Scott Snyder dans Wytches, ou Garth Ennis dans Hellblazer. Certains scénaristes donnent souvent des coups de pied dans la fourmilière, n’hésitant pas à bousculer les idées reçues par le scandale, comme l’irlandais Garth Ennis qui, dans Preacher, imagine un prêtre qui, après avoir acquis les pouvoirs de Dieu, part en voyage afin de le trouver, et de lui mettre un pied au cul ! Alan Moore, quant à lui, n’hésite pas à parler d’inceste (Top 10), de pornographie (Lost Girls) ou de viol (Watchmen). Enfin, certains auteurs, comme Brian K. Vaughan, parle de sujets d’actualité, comme la Guerre en Irak dans Les Seigneurs de Bagdad, racontant l’histoire vraie d’une famille de lions échappés d’un zoo, traversant une Bagdad détruite par les bombardements américains (préparez vos mouchoirs !).
Ainsi, si Bernadette Wolowitz ne retient des comics que cette interjection "brakka-doom", soit c’est parce qu’elle souffre d’une très grosse dyslexie qui l’empêche de lire correctement, soit parce qu’elle n’a pas pris le temps de choisir une bonne bande-dessinée.
Kennedy est lui bien mort à Dallas (le film sous-entend d'ailleurs que c'est le Comédien qui a tiré)
Très bel article en tout cas ! Merci !
Quelques fois y'avait tellement de lecture, que je donnais des pauses. :P
Je suis maintenant d'assez loin le monde des super héros mais quiconque connait un peu le milieu sait qu'il est encore plus industriel que ce qu'est devenu celui du cinéma (et ça en dit long...) et que les artistes n'ont quasiment aucune place pour la proposition artistique. C'est un renouvellement sans fin d'events, de reboots, de fusion de mondes, de quesaisjeencore servant à justifier des choix marketings et des lignes éditoriales décidées par des types en cravate en haut d'un building.
Ce que je veux dire c'est qu'il existe bien sûr d'excellents comics qui n'ont rien à envier aux mangas ou à la BD franco belge comme ceux que tu cites mais qu'ils représentent des perles et pas la norme.
C'est quand même utile de le signaler car il y a dans le monde réel des "Bernadette" qui pensent que 100% des comics sont de la daube alors qu'en fait c'est "que" 95%.
(Et pour être honnête, c'est la même chose pour les mangas ou la BD franco belge où pour un 20th Century Boys ou Universal War One il y a 20 histoires de lycéennes/magiciennes à gros seins et peu vêtues qui tabassent des vampires démons mutants de l'espace)