Dossier : Parasite et le renouveau du cinéma sud-coréen
C'était la bonne nouvelle inespérée du dernier Festival de Cannes : Parasite, le nouveau chef d'oeuvre de Bong Joon-ho (Memories of Murder, Okja) remportait la Palme d'Or, et devenait le premier film coréen à remporter cette récompense si prestigieuse. Mais la happy end de Parasite est loin d'être finie : alors que la Palme d'Or n'est pas nécessairement synonyme de succès publique (combien de Palmes d'Or ont été des échecs cuisants au box-office !), le nouveau film de Bong Joon-ho cartonne en salles, et vient de dépasser en France le million d'entrées. On s'en réjouit pour deux raisons : tout d'abord, parce que Parasite est un chef d'oeuvre comme on en voit que trop rarement de nos jours, et que son succès est ô combien mérité ; ensuite, parce que ce succès permettra peut-être de faire connaître plus encore le cinéma coréen, qui est, disons-le tout de suite, un des cinémas les plus incroyables qui soit !
Resumé sans spoil
Dans la famille Kim, composée du père Ki-taek (interprété par Song Kong-ho), de la mère Choong-sook (Jang Hye-jin), du fils Ki-woo (Choi Woo-shik) et de la fille Ki-jung (Park So-dam), tout le monde est chômeur. La famille Kim vit dans un entresol, et attend patiemment qu'un des plans de Ki-taek pour les sortir de leur misère fonctionne. Un jour, Ki-woo, le fils, a l'opportunité de devenir le professeur d'anglais particulier de Park Da-hye (Jung Ji-so), fille de la richissime famille Park, qui vit plus haut dans une immense et magnifique demeure. Parce que les Park sont plutôt du genre crédules, les Kim fomentent une arnaque afin de faire embaucher toute la famille chez cette famille de riches, et parasiter ainsi leur argent. Mais l'arnaque ne va pas fonctionner comme prévu, et les parasites risquent fort de se faire parasiter.
Pourquoi Parasite est un chef-d'oeuvre
Nous l'avons déjà dit en introduction, et nous le répéterons autant de fois que nécessaire : Parasite de Bong Joon-ho est un chef d'oeuvre, qui mérite véritablement toutes les passions qu'il suscite.
Tout d'abord, le scénario de ce film est brillant. Pas besoin d'être marxiste pour se laisser porter par cette fable politique. Avec Parasite, Bong Joon-ho parvient à mêler les genres avec une facilité déconcertante, faisant passer en quelques secondes à peine du rire à l'horreur. Car, même si le sujet est sérieux (les rapports de classes), l'approche de Bong n'est pas exempte d'un certain cynisme, d'un humour grinçant, qui n'est pas sans rappeler celui utilisé par l'autre grand génie du cinéma coréen, Park Chan-wook, dans Mademoiselle. Dans Parasite, on rit beaucoup, avant que tout bascule dans une grande violence, telle que le cinéma coréen sait si bien en faire.
Ensuite, la réalisation est absolument sans défaut : avec Parasite, Bong Joon-ho démontre qu'il fait partie des plus grands réalisateurs de son temps. Avec sa réalisation fluide, ses cadres somptueux (qui là encore ne sont pas sans rappeler ceux de Park Chan-wook) et son montage dynamique, Parasite est sans aucun doute le film le plus réussi d'un point de vue formel de Bong Joon-ho. Et ce n'est pas peu dire tant ce réalisateur nous avait habitué à de grands moments de mise en scène, que ce soit avec Memories of Murder ou plus récemment Snowpiercer et Okja.
Niveau acteur, là encore on est gâté, notamment avec la présence de Song Kong-ho, qui signe avec Parasite sa quatrième collaboration avec Bong Joon-ho, après Memories of Murder, The Host et Snowpiercer. Song Kong-ho est à n'en pas douter le plus grand acteur coréen, avec Choi Min-sik (Old Boy, Lady Vengeance, J'ai rencontré le Diable). Song nous avait déjà prouvé l'immensité de son talent et de son charisme (qui n'a rien à envier à un Tom Hardy) dans J.S.A., Sympathy for Mister Vengeance ou The Drug King. Dans Parasite, il brille dans ce rôle de loser sympathique prêt à tout pour s'en sortir. Mais ses moments d'éclat demeurent dans les moments de tension narrative, où il parvient, juste avec son regard, à nous communiquer toutes les émotions de son personnage comme peu d'acteurs savent le faire (Anthony Hopkins, Ed Harris, Tom Hardy, Cillian Murphy, Leonardo DiCaprio, bref, des acteurs avec une gueule !). Le reste du casting n'a cependant rien à lui envier : tous excellent, et si Song Kong-ho semble un peu au-dessus, c'est uniquement à cause de notre propension à vouloir faire un classement... Park So-dam, l'actrice qui joue la fille des Kim, et Choi Woo-shik, l'acteur qui joue le fils, furent pour nous de véritables révélations, et il faudra surveiller leur carrière de très près.
Vous l'aurez compris en lisant le résumé, Parasite est un film foncièrement politique. Comme à son habitude, Bong Joon-ho traite du rapport de classe avec classe. Ce thème est sans aucun doute le leitmotiv de sa filmographie exemplaire. On pourrait qualifier Bong Joon-ho de Ken Loach coréen (Ken Loach est ce réalisateur anglais, qui a réalisé de très grands films, dont Le Vent se lève, Moi Daniel Blake, La Part des Anges). Mais un Ken Loach plus grand public ! Dans Parasite, il y a du Chabrol, ce réalisateur français de génie à la filmographie remplie de chefs d'oeuvre qui traitent des classes populaires, et qui distillait un humour ravageur tel qu'on en trouve dans le nouveau chef d'oeuvre de Bong Joon-ho. Ce n'est pas pour rien si le réalisateur coréen a tenu à rendre hommage à Chabrol lors de son discours de remerciements à Cannes, après avoir gagné la Palme d'Or. Mais s'il y a des inspirations européennes dans Parasite, ça reste un film profondément coréen tant dans sa forme que dans son fond. Car Parasite de Bong Joon-ho entre complètement dans la tradition des films de maison, genre typiquement coréen, genre illustré notamment par l'un des plus grands films du cinéma coréen, La Servante de Kim Ki-young, sorti en 1960.
Mention spéciale également à la musique du film, composée par Jeong Jae-il. Le compositeur utilise à merveille le piano et les cordes pour faire ressortir toutes les subtilités des genres visités par le film. Ainsi, le morceau d'introduction du film, joué au piano, semble sortir d'un film de Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Micmacs à tire-larigot). Plus tard, pour une scène exceptionnelle, Jeong Jae-il compose une musique empruntant aux musiques de chambre de l'époque classique, avant de créer une atmosphère oppressante digne d'un film d'horreur. Bong Joon-ho est un caméléon, et sait passer dans un même film d'un genre à l'autre avec une facilité déconcertante, et il fallait que son compositeur soit doué de cette même capacité.
Le cinéma coréen sur le devant de la scène
Vous l'aurez compris, nous sommes très content du succès que rencontre Parasite de Bong Joon-ho. Le fait qu'un million de personnes l'aient vu en salle est une excellente nouvelle. Car non seulement ce film d'auteur aux allures de film à grand spectacle mérite toutes ces éloges, mais en plus, parce qu'il permet de mettre sur le devant de la scène un cinéma complètement dingue, et pourtant trop méconnu : le cinéma coréen.
Le cinéma de la Corée du Sud est moins connu en France que le cinéma japonais. Même si certains n'ont pas nécessairement vu de films d'Akira Kurosawa, vous le connaissez nécessairement, ne serait-ce de nom. Le réalisateur japonais des Sept Samouraïs, du Château de l'Araignée et de La Forteresse cachée est considéré comme un monstre sacré du Septième Art, qui a inspiré des réalisateurs américains de renom, de Martin Scorsese à Francis Ford Coppola. De la même façon, tous nous connaissons Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro), Takeshi Kitano (Zatoichi, Sonatine) ou encore Kiyoshi Kurosawa (Shokuzai). Le cinéma japonais est un cinéma bourré de talents, parmi lesquels figurent notamment Sion Sono (Love Exposure). Et ce cinéma est extrêmement plébiscité à l'international.
Il suffit, pour s'en convaincre, de regarder les récompenses gagnées par des réalisateurs japonais à Cannes. Cinq films japonais ont gagné la Palme d'Or, récompense suprême du monde du cinéma (Les Portes de l'Enfer de Teinosuke Kinugasa en 1954, Kagemusha, l'ombre du guerrier d'Akira Kurosawa en 1980, La Ballade Narayama de Shohei Imamura en 1983, L'Anguille de Shohei Imamura en 1997, Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda en 2018). Le Japon est par ailleurs le cinquième pays à avoir remporté le plus de Palme d'Or, après les Etats-Unis (22), la France (13), l'Italie (12) et le Royaume-Uni (10). Le Japon a également remporté deux Grand Prix du Festival de Cannes (L'Aiguillon de la Mort de Kohei Oguri en 1990 et La forêt de Mogari de Naomi Kawase en 2007) et cinq Prix du Jury du Festival de Cannes (Hara-Kiri de Masaki Kobayashi en 1963, La Femme des sables de Hiroshi Teshigahara en 1964, Kwaidan de Masaki Kobayashi en 1965, Shinran ou la voix immaculée de Rentaro Mikuni en 1987 et Tel père, tel fils de Hirokazu Kore-eda en 2013). Comparativement, la Corée du Sud a gagné une Palme d'Or (Parasite de Bong Joon-ho en 2019), un Grand Prix du Festival de Cannes (Old Boy de Park Chan-wook en 2004) et un Prix du Jury du Festival de Cannes (Thirst, ceci est mon sang de Park Chan-wook en 2009).
Pourquoi cette longue démonstration ? Suis-je en train d'essayer de vous démontrer que si la Corée du Sud a été si peu récompensée, c'est parce que le Festival de Cannes est foncièrement raciste ? Non. Loin de là. Nous remercions le Festival d'avoir récompensé des films coréens et des films japonais, et surtout d'avoir récompensé de très bons films. Seulement voilà : alors que le Festival de Cannes existe depuis 1939, le premier film sud-coréen à avoir participé à la Compétition date de 2000 : Le chant de la fidèle Chunyang de Im Kwon-taek. En comparaison, les premiers film japonais à avoir participé à la Compétition datent de 1952, et il s'agissait du Roman de Genji de Kenzaburo Yoshimura et de Vagues de Noboru Nakamura. Depuis Le Chant de la fidèle Chunyang de Im Kwon-taek, seulement seize films coréens ont rejoint la Compétition.
Ces chiffres peuvent en fait être aisément expliqués. Alors que le Premier Âge d'Or du cinéma coréen date de la période 1953-1962, le cinéma sud-coréen décline suite au coup d'état miliaire de Park Chung-hee. Ce dictateur particulièrement autoritaire minimise la taille des sociétés de production, qui doivent respecter des quotas (pas plus de 15 films par an). Par ailleurs, dès le début des années 70, au nom de l'état d'urgence, le régime interdit toute production de film politique. Fort heureusement, lorsque la dictature instaurée par Park Chung-hee, éclatera en 1988, de nouvelles sociétés de production naitront en Corée du Sud.
Des réalisateurs tels que Park Chan-wook, Bong Joon-ho, Kim Ki-duk font partie de la Nouvelle Vague de réalisateurs qui ont émergé en cette nouvelle période de prospérité artistique. Certains experts du cinéma coréen expliquent que le public sud-coréen était, à la fin de dictature, plutôt réticent à voir des oeuvres engagées socialement et politiquement, du fait de certains traumatismes issus de la dictature. C'est pourquoi ces réalisateurs ont dû s'adapter, et glisser leurs critiques sociales au sein de films de genre. Car, qu'on se le dise, cette nouvelle vague coréenne est un cinéma foncièrement politique, comme l'illustre si bien Parasite de Bong Joon-ho. Mais on aurait pu prendre d'autres exemples, tels que Sympathy for Mister Vengeance de Park Chan-wook ou encore L'Ivresse de l'argent d'Im Sang-soo.
Le cinéma coréen connait aujourd'hui un véritable essor, servi par des réalisateurs surdoués. Je ne dirais jamais assez tout le bien que je pense de Park Chan-wook, qui non content d'avoir un don pour la réalisation (ce mec est un génie des cadres), est également un conteur hors-pair.
et autant j'aime les films nippons, leur ambiance, leur rythme autant le style coréen me "déçoit" toujours un peu, il t'emmène haut, il te bouscule, il tient et, et, et, et, et pi pffffff retombé de soufflé jusqu'à la fin qui donne l'impression d'arriver laborieusement parce qu'il faut faire au moins 1h30.
vu la semaine dernière. La réalisation est très réussie, avec des jeux sur les couleurs intéressants, des cadrages vraiment dingues et une mise en scène maîtrisée. Mais le propos est finalement assez creux, une fois qu'on a compris qu'il s'agissait d'une satire sociale.
En fait j'ai beaucoup aimé ce film... jusqu'aux dernières 20 minutes environ. Parce qu'il faut quand même dire que la fin est ratée. Ce subtil mélange de comédie / drame / propos politique vire finalement au drame pur et dur. Alors que de mon point de vue il aurait dû assumer le côté farce burlesque jusqu'à la fin. En résulte un film qui rate finalement sa cible.
Je me console en me disant que c'est une bonne chose que ce réalisateur ait eu une palme d'or. En réalité d'après moi il la méritait 10 fois plus pour Okja qui avait un propos plus universel et parvenait à évoluer sur le fil entre comédie et drame jusqu'au bout. Mais bon, à l'époque Cannes a préféré le retoquer parce qu'il s'agissait d'une production Netflix. Je me dis que Bong Joon-Ho aura eu sa palme d'or avec un an de retard.