Avec le film 1917, Sam Mendes entre dans la bataille aux Oscars
Entre Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino, The Irishman de Martin Scorsese, Joker de Todd Philipps, Marriage Story de Noah Baumbach et Parasite de Bong Joon-ho, la course aux Oscars est très serrée. 2019 aura été une année cinématographique terriblement riche, à tel point que le suspense est à son comble. Et avec la sortie cette semaine de 1917, le dernier film de Sam Mendes (American Beauty, Skyfall), lui aussi nominé à l'Oscar du Meilleur Film (ainsi qu'à neuf autres récompenses, dont meilleur réalisateur), le suspense continue à grossir. On a vu le film mercredi soir, et on vous dit ce qu'on en a pensé.
Un film très attendu
Bien avant sa sortie, 1917 attirait déjà l'attention. Tout d'abord, le réalisateur britannique Sam Mendes est un grand nom du cinéma hollywoodien. Outre son entrée fracassante dans le monde du cinéma avec son premier film, American Beauty, qui a gagné pas moins de cinq Oscars (dont ceux du Meilleur film, du Meilleur réalisateur et du Meilleur acteur pour Kevin Spacey), c'est aussi un réalisateur à la fois polymorphe et bankable. Comme son compatriote Ridley Scott avant lui, Sam Mendes a montré qu'il était capable d'une large palette de tons, s'amusant à visiter les genres les uns après les autres. Après la comédie dramatique (American Beauty), le drame familial (Les Noces Rebelles), le film de gangsters (Les Sentiers de la Perdition), le road movie (Away We Go) et le pur blockbuster hollywoodien (Skyfall et Spectre), le réalisateur anglais revisite le film de guerre en signant son second film du genre (depuis Jarhead).
Mais si le film attirait tant les regards, c'est avant tout pour son parti pris artistique. Pour 1917, Sam Mendes a opté pour une technique de mise en scène que tous les cinéphiles apprécient : le fameux-plan séquence. Pour ceux qui ignorent ce qu'est un plan-séquence, il s'agit d'un plan unique sur une durée plus ou moins longue. Un plan-séquence assez célèbre, par exemple, c'est ce plan exceptionnel de huit minutes clôturant l'épisode 4 de la saison 1 de True Detective. Comme vous pouvez vous en douter, un plan séquence, ce n'est pas facile à tourner. C'est un véritable défi technique. Alors quand un réalisateur choisit de faire un film en un seul plan-séquence, forcément, ça attire l'oeil. Alejandro Gonzalez Inarritu avait déjà tenté (avec succès) avec Birdman en 2015 (film qui lui a permis de remporter son premier Oscar du Meilleur Réalisateur). Mais un film de guerre en un seul plan, voilà qui semble encore plus difficile à faire techniquement. En effet, le genre du film de guerre nécessite un vrai sens du rythme, d'où des films avec beaucoup de cuts. Souvenez-vous, en guise d'exemple, de la gestion du rythme de la Bataille de Winterfell, dans la saison 8 de Game of Thrones. Si on peut effectivement trouver des plans un peu plus longs que la moyenne, comme le tout premier plan de l'épisode ou le massacre des Dothrakis par l'Armée des Morts, tous les autres plans sont très courts. Bref, un film de guerre avec un seul plan, cela peut laisser perplexe. D'où l'engouement pour le film bien avant sa sortie.
Un film de guerre efficace
Une fois n'est pas coutume, mais pour parler de la qualité du film, nous vous proposons de le comparer avec un autre film de guerre qui a fait beaucoup de bruit à sa sortie (le bruit d'un pétard mouillé, diront certains déçus) : Dunkirk de Christopher Nolan. (Avant toute chose, l'auteur de ces lignes, même s'il considère que le film de Nolan possède certains défauts, et qu'il ne s'agit très certainement pas de son meilleur, le film est loin de mériter toutes les mauvaises critiques qu'il a reçues.)
Contrairement au film de Nolan, qui suivait trois lignes temporelles (une heure, une journée, une semaine) de soldats et civils anglais pendant la Seconde Guerre Mondiale, 1917 de Sam Mendes nous fait suivre la mission-suicide de deux soldats anglais pendant la Seconde Guerre Mondiale. Vous l'aurez compris, étant donné que le film est un plan-séquence, le temps vécu par les deux personnages est égal au temps perçu par les spectateurs. De même, tandis que Nolan nous racontait (en s'arrangeant parfois avec l'Histoire, selon plusieurs historiens) comment le destin de ses personnages a permis de renverser le cours de la Seconde Guerre Mondiale, Sam Mendes traite d'une mission-suicide qui, si elle aurait un impact considérable pour sauver des vies, n'aurait aucune influence sur le cours de la Première Guerre Mondiale. Car le vrai but de Mendes, c'est de montrer ce que signifie être un soldat pendant la Grande Guerre. Tout d'abord, les deux réalisateurs ont choisi de confier les premiers rôles à des acteurs pas forcément connus. Dans 1917, on redécouvre George MacKay (révélé par le magnifique film Captain Fantastic de Matt Ross) et Dean-Charles Chapman (Tommen Lannister, dans Game of Thrones). Pour ce qui est acteurs de renom, ils n'ont que des caméos. Après Cillian Murphy (Peaky Blinders, Le Vent se lève, Batman Begins) et Tom Hardy (Taboo, Peaky Blinders, The Revenant) dans Dunkirk, on a le plaisir de retrouver dans 1917 Colin Firth (Le Discours d'un Roi, Kingsman), Mark Strong (Imitation Game, Kingsman), Andrew Scott (Sherlock, His Dark Materials) et Benedict Cumberbatch (Doctor Strange, Sherlock). De même, les deux films se retrouvent pour ce qui est de la photographie.
La gestion du rythme dans 1917 est exceptionnelle. Sans être continuellement survitaminé (le film s'autorisant des pauses dans l'action), le film sait nous surprendre dans des séquences qui sont d'ors et déjà d'anthologie (comme la scène de la tranchée allemande). Mais la plus grande qualité du film, c'est qu'il s'agit d'un des films de guerre les plus immersifs qui soit. Deux aspects y contribuent : tout d'abord le fait que le film soit intégralement tourné en caméra-épaule (on avance en même temps que les personnages, et notre champ de vision n'est pas plus grand que le-leur), et le travail prodigieux accompli sur le son. Lors de certaines scènes de fusillades ou d'explosion, on se croit en plein milieu du chaos. Enfin, nous tenons à féliciter le jeu des acteurs, en particulier celui de George MacKay qui, si effectivement il n'aurait pas pu prétendre à l'Oscar du Meilleur Acteur, prouve avec ce film que les espoirs que nous avions fondé sur lui depuis Captain Fantastic n'étaient pas vains. On espère le voir plus souvent à l'avenir.
Un film à Oscars
Certains n'apprécieront sans doute pas 1917. Et si nous avons véritablement passé un excellent moment, nous tenons néanmoins à faire une nuance. L'une des très grandes qualités de ce film est bien évidemment, entre autres, son parti pris artistique. Encore une fois, filmer un film de guerre (un bon, qui plus est !) en un plan-séquence, voilà qui relève de l'exploit ! Cela, nul ne le contredira, si ce n'est armé d'une grande mauvaise foi. Toutefois, il est vrai qu'il nous ait arrivé, à certains moments du film, notamment lorsque l'action ralentissait (sans jamais devenir ennuyante), de chercher le truc, l'astuce. Car, vous vous en doutez, un film en plan-séquence ne peut être fait en une seule prise. Chaque scène demande plusieurs prises, et c'est au monteur de donner l'illusion qu'il s'agit d'un film tourné d'un coup. Du coup, on peut parfois être tenté de chercher l'endroit où se cache un faux cut. Voilà le seul reproche que nous pourrions faire au film.
On est persuadé du fait que si le film ne remporte pas toutes les récompenses pour lesquelles il a été nominé aux Oscars, on doute du fait que Sam Mendes et son équipe reparte les mains vides. L'Académie des Oscars a ses petits plaisirs coupables, et on sait pertinemment que 1917 possède de nombreux atouts pour remporter quelques statuettes. Tout d'abord, il s'agit d'une reconstitution historique. Et on sait tous que c'est un genre que l'Académie apprécie tout particulièrement. Un film de guerre, qui plus est. Enfin, le fait que le film soit tourné en un seul plan-séquence ne devrait pas laisser l'Académie insensible. Si nous doutons du fait que 1917 puisse remporter l'Oscar du Meilleur Film ou celui du Meilleur Réalisateur (on espère vraiment que ces récompenses seront attribuées à des films comme Joker, The Irishman, Parasite ou Once Upon a Time... in Hollywood), on estime toutefois que le film aurait mérité d'être nommé à l'Oscar du Meilleur Montage (ce qui malheureusement n'a pas été le cas). On pense cependant que le film devrait aisément remporter les Oscars des Meilleurs Costumes, Meilleur Montage de Son, Meilleur Mixage de Son et Meilleurs Effets Visuels. Réponse le 13 janvier.