La crise du coronavirus a profondément impacté le secteur du cinéma, qui continue, plusieurs mois après la levée du confinement, d'en subir les conséquences. Retour sur l'ampleur d'une catastrophe annoncée.
Des chiffres alarmants...
Si de nombreux secteurs de notre économie pâtissent des conséquences de la pandémie de Covid-19, le secteur du cinéma pourrait servir de cas d'école dans l'étude des effondrements. En effet, tous les rouages du secteur du cinéma semblent touchés, à divers degrés, par la crise.
En France, malgré la levée du confinement le 11 mai 2020, et l'autorisation donnée aux exploitants de salles de rouvrir leurs portes à partir du 22 juin 2020, les taux de fréquentation des salles n'ont jamais été si bas. Dans son dernier rapport mensuel sur la fréquentation des salles, daté au 2 octobre 2020, le CNC livre des chiffres affolants :
Comme vous pouvez le constater, le CNC a noté une baisse de fréquentation des salles de -62.7%, entre les neuf premiers mois de l'année 2020 et de l'année 2019. Plusieurs explications, somme toute assez intuitives, peuvent être donner pour expliquer cette chute de la fréquentation des salles. Tout d'abord, la crainte, compréhensible, des spectateurs d'être contaminés. Ensuite, mis à part Tenet (qui selon le décompte d'Allocine datant du 30 septembre 2020 cumulait 2 019 802 entrées depuis sa sortie le 26 août 2020) et Les Nouveaux Mutants (qui atteignait difficilement les 315 000 entrées en France le 18 septembre, après quatre semaines d'exploitation), la période post-confinement a été vidée de ses blockbusters Hollywoodiens.
Dans son rapport, le CNC commente le rôle qu'a joué Tenet de Christopher Nolan dans le box-office français :
Tenet, sorti le 26 août, a redynamisé la fréquentation mais ce phénomène n’a pas perduré. Le film totalise malgré tout 1,9 million d’entrées sur le mois de septembre (plus de 2,0 millions au total).
L'absence de blockbuster Hollywoodiens s'est fait ressentir... A tel point que le top 20 du box-office français pour l'année 2020 est assez étonnant. Nous vous avons reproduit ci-dessous les chiffres du box-office français 2020 publiés dans le n°511 (Octobre 2020) du magazine Première, corrigé néanmoins avec les chiffres du décompte d'Allocine du 30 septembre 2020 (petit rappel, en France, on compte les entrées, et non les euros engendrés) :
- 1917 : 2 203 194 (8 semaines d'exploitation)
- Sonic le film : 2 113 220 (8 semaines d'exploitation)
- Tenet : 2 019 802 (6 semaines d'exploitation, en cours)
- Bad Boys For Life : 1 722 746 (7 semaines d'exploitation)
- Ducobu 3 : 1 497 326 (5 semaines d'exploitation)
- Le Voyage du Dr. Dolittle : 1 291 350 (5 semaines d'exploitation)
- L'Appel de la Forêt : 1 257 959 (8 semaines d'exploitation)
- 10 jours sans maman : 1 177 404 (7 semaines d'exploitation)
- Birds of Prey : 1 047 402 (5 semaines d'exploitation)
- Les Blagues de Toto : 957 996 (8 semaines d'exploitation, en cours)
- Le Prince oublié : 920 394 (4 semaines d'exploitation)
- En avant : 906 042 (11 semaines d'exploitation)
- De Gaulle : 855 087 (9 semaines d'exploitation)
- Le Cas Richard Jewell : 795 294 (4 semaines d'exploitation)
- Les Filles du Docteur March : 786 466 (6 semaines d'exploitation)
- Invisible Man : 776 391 (11 semaines d'exploitation)
- Scooby ! : 715 230 (7 semaines d'exploitation)
- Tout simplement noir : 712 281 (7 semaines d'exploitation)
- Les Vétos : 641 544 (5 semaines d'exploitation)
- The Gentlemen : 629 012 (5 semaines d'exploitation)
N.B : en gras, vous trouverez les films sortis après le confinement.
On remarque avec ce classement que les films sortis post-confinement peinent à se démarquer au box-office français, par rapport aux films pré-confinement.. A deux exceptions près, les dix premiers films du classement sont des films sortis en salles avant le confinement, annoncé le 16 mars 2020.
Un avenir inquiétant
Malheureusement, l'avenir ne s'annonce pas plus glorieux, pour nos salles de cinéma. En effet, refroidis par les chiffres peu rassurants de Tenet produit par la Warner, qui devait pourtant ramener les spectateurs en salles, toutes les grandes majors ont annoncé qu'ils décalaient, pour la énième fois, leurs blockbusters. Vous trouverez ci-dessous le calendrier des trois plus grandes majors Hollywoodiennes, Disney, Warner et Universal.
- Soul : 25 novembre 2020 (Disney)
- Wonder Woman 1984 : 30 décembre 2020 (Warner)
- Mourir peut attendre : 31 mars 2021 (Universal / MGM)
- Black Widow : 7 mai 2021 (Disney)
- Fast & Furious 9 : 26 mai 2021 (Universal)
- Dune : 21 octobre 2021 (Warner)
- Shang-Chi et la légende des Dix Anneaux : 7 juillet 2021 (Disney)
- The Eternals : 5 novembre 2021 (Disney)
- Matrix 4: : 22 décembre 2021 (Warner)
- The Batman : 4 mars 2022 (Warner)
Comme vous pouvez le constater, l'année 2020 continue d'être vidée de ses grands blockbusters Hollywoodiens. Le problème, c'est que les salles de cinéma françaises sont extrêmement dépendantes du cinéma américain. C'est ce que nous rappelle, avec beaucoup de justesse, le rapport du CNC.
Ce tableau est très instructif, sur le rapport du dépendance des salles françaises envers le cinéma américain. Dans son rapport, le CNC note que malgré une chute des fréquentations de 88% des films américains contre une chute de fréquentation de 13.8% des films français, le cinéma américain représente une part de marché plus élevée (48.6%) que le cinéma français (39.2%).
Les grands gagnants de la crise
Alors que les exploitants de salles, les studios de production et de distribution, les réalisateurs et acteurs, tirent la sonnette d'alarme, certains parviennent cependant à tirer leur épingle du jeu.
Les gagnants les plus évidents de cette crise, ceux qui en profitent le plus, sont bien évidement les SVOD (Netflix, Amazon Prime Video, Disney+, etc). La chute de fréquentation des salles n'étant pas synonyme de baisse de consommation de films, les plateformes ont profité de la crise dès le début du confinement. Un graphique, publié par Netflix, montre le bon spectaculaire du nombre d'abonnés enregistrés par le SVOD durant la période du confinement.
Par ailleurs, les plateformes de streaming ont également profité des assouplissements accordés par le CNC dans la chronologie des médias, ainsi que de la frilosité des grands studios Hollywoodiens. Ainsi, des films tels que Birds of Prey, En avant ou encore Invisible Man ont pu arriver sur les SVOD dès le début du confinement, tandis qu'Amazon Prime Video a pu inclure à son catalogue des films initialement prévus pour la salle, tels que Bloodshot. Sans oublier Disney, qui balancé Mulan directement sur sa plateforme de VOD, Disney+.
Par ailleurs, les plateformes de SVOD s'organisent pour devenir de véritables alternatives aux salles de cinéma, en lançant une fonctionnalité de visionnage à plusieurs, faisant du visionnage d'un film en VOD l'imitation d'une séance de cinéma collective.
L'autre "heureux" gagnant de la crise sanitaire, et cette fois-ci on s'en réjouit !, c'est le cinéma français. Il s'agit bien évidemment d'une victoire relative, puisque comme l'a montré le CNC, le taux de fréquentation des films français est lui aussi en diminution. Et s'il cette diminution est moins forte que pour le cinéma américain, cela résulte avant tout du fait que depuis la réouverture des salles de cinéma, il y a plus de films français que de films américains, qui se font extrêmement rares.
Cependant, il y a de quoi se réjouir : parce que la quasi-absence de blockbusters américains permet au cinéma français d'être mieux distribué. Les films sont présents dans plus de salles de cinéma, et sont présents plus longtemps. Or, cette période, comme nous l'ont maintes fois rappelé certains magazines de cinéma tels que Première ou le podcast Pardon le cinéma (disponible sur iTunes et Spotify), peut être une occasion de redécouvrir le potentiel du cinéma français. Des films tels que Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi (un mockumentaire hilarant sur les questions identitaire) ou Effacez l'historique du duo Kervern et Delépine (satire très actuelle sur les GAFAM) méritent d'être vus. De même, on attend avec impatience Adieu les cons d'Albert Dupontel, qui est très certainement le réalisateur français le plus inventif de sa génération, comme il l'a si souvent démontré, avec des films aussi grinçants que plastiquement sublimes tels que 9 mois ferme ou Au revoir là-haut.
Par Bobby, il y a 4 ans :
Sacrée claque en effet.
Par contre, les "blagues de toto" a battu Invisible Man.
D'accord.
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