Dossier : BD franco-belge et cinéma, pourquoi est-ce si compliqué ? (partie 1)
C’est là un paradoxe particulièrement troublant. La France accueille chaque année le Festival International de la bande-dessinée d’Angoulême. Sans doute l’un des plus grands festivals de bande-dessinée au monde. Pourtant, lorsqu’une bande-dessinée franco-belge est adaptée, le public comme la critique crient souvent au scandale, d’une même voix. Bien sûr, il y a eu des succès critiques, comme Astérix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat. Mais quand on regarde le succès des adaptations de comics en France, et qu’on le compare à celui des adaptations de BD franco-belges, il y a de quoi se poser des questions. Alors, posons-nous la question : les bandes-dessinées franco-belges sont-elles véritablement inadaptables au cinéma ? D’abord, quelques chiffres !
Les adaptations de BD en chiffres
Dans cette partie, nous vous proposons de comparer les recettes au box-office de quelques adaptations de bandes-dessinées franco-belges en France, et les comparer aux recettes au box-office français d’adaptations de comics. Pour éviter que vous ne pensiez que pour servir nos propos, nous ayons sélectionné des films choisis sur le volet, nous avons utilisé les douze films tirés du top d’AlloCiné intitulé : "12 films français adaptés de bandes-dessinées cultes". A noter que le site AlloCiné ayant fait une erreur avec Le Petit Nicolas (qui n’est pas une bande-dessinée à proprement parler, mais une série de romans écrits par Goscinny et illustrés par Sempé), nous avons néanmoins pris le parti de garder ce film dans notre sélection. Nous avons également choisi de rajouter un film : Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, d’Alain Chabat, non présent dans la sélection, alors qu’il reste un des films les plus rentables du box-office français, et Valérian de Luc Besson, qui avait été annoncé comme étant l’un des films les plus importants de l’année 2017.
- Benoit Brisefer : Les Taxis Rouges, de Manuel Pradal, avec Gérard Jugnot, Jean Réno et Thierry Lhermitte (2014) : 73 750 entrées.
- Le Petit Nicolas, de Laurent Tirard, avec Kad Merad et Valérie Lemercier (2009) : 5 435 865 entrées (12 semaines en salles).
- Les Profs, de Pierre-François Martin-Laval, avec Kev Adams et Christian Clavier (2013) : 3 908 972 entrées (13 semaines en salles).
- L’élève Ducobu, de Philippe de Chauveron, avec Elie Semoun (2011) : 1 454 731 entrées (8 semaines en salles).
- Boule & Bill, d’Alexandre Charlot et Frank Magnier, avec Franck Dubosc et Marina Foïs (2013) : 1 928 135 entrées (5 semaines en salles).
- Sur la Piste du Marsupilami, d’Alain Chabat, avec Alain Chabat et Jamel Debbouze (2012) : 5 206 535 entrées (9 semaines en salles).
- Lucky Luke, de James Huth, avec Jean Dujardin et Michaël Youn (2009) : 1 850 546 entrées (5 semaines en salles).
- Largo Winch, de Jérôme Salle, avec Tomer Sisley et Kristin Scott Thomas (2008) : 1 705 144 entrées (6 semaines en salles).
- Iznogoud, de Patrick Braoudé, avec Michaël Youn et Jacques Villeret (2005) : 2 477 041 entrées (5 semaines en salles).
- Astérix et Obélix contre César, de Claude Zidi, avec Christian Clavier et Gérard Depardieu (1999) : à peu près 9 000 000 d’entrées (chiffres approximatifs trouvés sur la fiche Wikipédia du film, à défaut de pouvoir les trouver dans l’onglet box-office de la fiche AlloCiné).
- Joséphine, d’Agnès Obadia, avec Marilou Berry (2013) : 575 277 entrées (5 semaines en salles).
- Michel Vaillant, de Louis-Pascal Couvelaire, avec Jean-Pierre Cassel (2003) : 801 126 entrées (3 semaines en salles).
- Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, d’Alain Chabat, avec Christian Clavier, Gérard Depardieu, Jamel Debbouze, Alain Chabat (2002) : 14 194 816 entrées (13 semaines en salles).
- Valérian : La Cité des mille planètes, de Luc Besson, avec Dane DeHaan, Cara Delevingne et Clive Owen (2017) : 3 952 538 entrées (7 semaines en salles).
Donc les adaptations de bandes-dessinées franco-belges ont une moyenne de 3 081 849 entrées et restent en moyenne 8 semaines en salles. Ces chiffres restent néanmoins faussés par l’extraordinaire réussite d’Astérix et Obélix contre César et Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre. Sans ces deux films, les films ont une moyenne de 2 447 472 entrées.
Toujours avec le souci de l’honnêteté intellectuelle, nous avons décidé pour notre démonstration de ne pas cibler nous-mêmes les films adaptés de comics, qui nous serviront d’éléments de comparaison. Nous nous sommes inspirés d’un top publié par ComicsBlog.fr, intitulé "Les meilleures et les pires adaptations de comics au cinéma". Car, dans les comics, on trouve le meilleur comme le pire. Et nous il nous a semblé qu’un article qui tentait de montrer de manière équivalente ces deux extrémités pourrait être intéressant. On y trouve Spider-Man 3 (6 329 254 entrées), Green Lantern (767 699 entrées ), Batman & Robin (1 370 818 entrées), Elektra (425 337 entrées), Catwoman (731 333 entrées), Watchmen (735 968 entrées), Kick-Ass (744 611 entrées), Batman de 1989 (2 362 087 entrées), Man of Steel (2 296 500 entrées)et Avengers (4 377 648 entrées). Soit une moyenne de 2 014 126 entrées.
Commentaires de ces chiffres
Tout d’abord, on remarque que le nombre moyen des entrées des adaptations de BD franco-belges est à peine supérieur à celui des adaptations de comics. Plusieurs explications sont néanmoins à prendre en compte. Pour commencer, le nombre d’entrées d’un film ne reflète pas nécessairement sa qualité. Par exemple, Watchmen est communément admis comme étant l’une des meilleures adaptations de comics, et pourtant, il fait presque moitié moins d’entrées en France que Batman & Robin, qui est réputé comme étant un mauvais film. Comment expliquer ce phénomène ? L’effet de suite. Batman & Robin est un film qui clôture une tétralogie, dont les premiers volets étaient bons (Batman et Batman, le défi de Tim Burton), tandis que Watchmen est un film dont l’histoire est indépendante. Ensuite, il est important de rappeler que les entrées en France ne font pas tout le succès d’un film américain. Avengers a fait certes 4 377 648 entrées dans l’hexagone (ce qui est bien peu comparé au 14 194 816 entrées de Astérix et Obélix : Mission Cléôpatre), pourtant, il est l’un des plus gros succès au box-office mondial de l’Histoire du cinéma. Les adaptations de BD franco-belge s’adressent avant tout à un public francophone, tandis que les adaptations de comics s’adressent à un public international. Ainsi, quand une adaptation de comics fait à peu près 700 000 entrées en France, c’est bien moins grave économiquement qu’une adaptation de BD franco-belge qui fait un nombre d’entrées équivalent. Enfin, les chiffres auraient été bien plus déséquilibrés.
Penchons-nous maintenant uniquement sur les chiffres des entrées des adaptations franco-belges. On remarque d’abord que les films les plus rentables ont été Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, Astérix et Obélix contre César, Le Petit Nicolas, Sur la piste du Marsupilami et Valérian. Sans rien enlever à la qualité de ces films, leur succès peut éventuellement s’expliquer par plusieurs facteurs qui me semblent importants. Tout d’abord, on a, pour trois d’entre eux, le fantôme de René Goscinny qui flotte au-dessus (les deux films Astérix et Le Petit Nicolas). Goscinny est aujourd’hui encore considéré comme étant l’un des plus grands génies de la BD franco-belge, presque aussi grand que Franquin, bien qu’il ait un rayonnement à l’international plus important encore que le scénariste belge. Concernant Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre et Sur la Piste du Marsupilami, la patte de l’ex-Nuls Alain Chabat est sans doute responsable d’une grande partie du succès de ces films. Enfin, la communication qui a été faite autour de Valérian, et le fait qu’il s’agit du dernier film du réalisateur français le plus bankable, explique sans doute la réussite relative de ce film au box-office français. Peut-être également que Le Petit Nicolas a su surfer sur la vague Bienvenue chez les Ch’tis, plus grand succès du cinéma français en 2008, en reprenant l’acteur principal, Kad Merad.
Toutes les BD sont-elles véritablement adaptables ?
Finalement, c’est là toute la question au centre de notre dossier ! Toutes les BD sont-elles adaptables ? Lorsque nous nous penchons sur les chiffres que nous vous avons donnés plus haut, on remarque que les films les plus rentables ont été ceux qui présentaient des histoires complètes. Autrement dit, de manière très caricaturale, on pourrait dire que les films qui adaptent des BD à gag, comme Les Profs, Iznogoud ou L’élève Ducobu ont tendance à moins plaire au public. Cela se ressent particulièrement lorsqu’on prête attention aux notes de la critique et des spectateurs. Il faut dire qu’il est très risqué d’adapter une BD dont le format est un gag par page, en un film d’une moyenne d’une heure et demi. Parce que cela change radicalement l’esprit de la BD. Si le but de la BD et du film sont les mêmes (faire rire), les moyens divergent nécessairement. Autre chose que nous observons, c’est la présence quasi-systématique, dans ce type d’adaptations, de comédiens spécialisés dans le registre comique, quand ils ne sont pas tout bonnement humoriste de métier. Bien sûr, dans certains cas, il s’agit d’un atout particulièrement efficace dans la communication du film. Les Profs aurait-il eu le même nombre de spectateurs, si l’humoriste préféré des jeunes, Kev Adams, n’avait eu le rôle principal ? Il n’empêche que cette propension à choisir des humoristes pour les rôles principaux nous semble symptomatique d’un problème lié aux adaptations de BD. Dans les bandes-dessinées humoristiques, le dessin est l’un des principaux outils du gag. Problème : les films perdent cet aspect-là, l’aspect caricatural du dessin. Malgré l’absence de dessins, les réalisateurs et scénaristes prennent le parti de continuer à l’extrême la carricature. Les personnages semblent alors bien plus des caricatures d’eux-mêmes que de ce qu’ils sont censés caricaturer dans la BD. D’autant que la caricature fonctionne dans les BD humoristiques parce qu’il y a une véritable distanciation entre le lecteur et ses personnages préférés (dans la mesure où le personnage de BD ne ressemble jamais à son lecteur). Alors que cette distanciation, qui permet toutes les entorses, qui autorise toutes les caricatures, n’est pas possible dans un film avec des prises de vue réelles, car le personnage ressemble au spectateur.
Plus dérangeant encore, certains films passent à côté de la BD. Nous vous parlions, il n'y a pas longtemps, de l’accueil très froid que la fille d’André Franquin a laissé au film Gaston Lagaffe. A cette heure, l’auteur de ces lignes n’a pas encore vu le film, bien qu’il soit un très grand fan de l’œuvre de Franquin. Il est inutile de réfléchir longtemps à ce qui ne va pas avec ce film. Certes, les BD Gaston Lagaffe font rire, et c’est là leur première finalité. Problème : le film semble prendre en compte uniquement cette dimension de l’œuvre de Franquin, alors que Gaston est une œuvre immensément complexe. Complexe par le rapport exigu qu’elle tisse entre fiction et réalité, et qui en fait toute son originalité, tout son génie. Gaston est né dans les pages de Spirou, et plus particulièrement dans les attractions du journal, et ce personnage détruisait le journal de l’intérieur. Gaston est également une œuvre au fort caractère politique, symbolisant les préoccupations d’anarchiste de gauche d’un auteur lié à vie à un journal de BD traditionnellement à droite. Enfin, Gaston propose un personnage aussi proche politiquement de son auteur qu’il est éloigné par leur rapport au travail. Surchargé, Franquin a symbolisé au travers du personnage de Gaston son envie de ne rien faire. Comment un film peut-il englober tout ça ?
IMPORTANT : Si vous avez aimé ce dossier, sachez qu’il sera vite suivi d’un autre dossier, qui vous présentera les meilleurs auteurs de la BD franco-belge, afin de réconcilier à ce grand Art ceux que le cinéma a rebutés.
Il semble qu'au vu du prix exorbitant des places de ciné et du ras le bol d'être pris pour des imbéciles, le public décide quelques fois de ne plus se laisser berner par une certaine presse très conciliante et par une quantité grandissante de critiques fake sponsorisées
Le plus important est, comme nous l'a montré Astérix et Obélix vs Cléopâtre, c'est qu'il comprendre l'esprit de la BD et non pas reproduire ce qui est visible (le Lucky Luke avec Dujardin est dans le même esprit aussi). Certes le jeu d'acteur est important aussi, mais le plaisir de jouer les rôles doit pouvoir être ressentit au travers de l'écran. J'ai l'impression que la majorité des film tiré de BD sont là pour sortir un film et voir si ca marche. Il n'y a pas de volonté derrière, un désir de transmettre une émotion, non simplement utiliser un nom connu du grand publique avec des acteurs ou humoriste connu et tenter de se faire de l'argent.
Mais qui sait, les comics aussi on eu leur bête noir, peut être que dans 10 ans voir plus ou moins, ce sera la BD franco-belge qui brillera au sommet du box-office européen.
D'autre part c'est un peu rude de ne se focaliser que sur les "live-action" car Persépolis est magnifique, l'Astérix d'Astier vaut celui de Chabat, le Tintin de Spielberg était très bien et dernièrement Zombillénium a gratté son succès critique...
Bref, les adaptation de BD ce ne sont pas que des comédie pouet-pouet, on y trouve aussi des histoire profonde.
HS : Pourquoi les articles rédigés par les lecteurs sont systématiquement bien meilleurs que ceux des "pro" ?
Pour Valérian, si seulement le casting avait été meilleur, le film aurai certainement eu plus de succès. Ce ratage m'a tellement déçu ...