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Interview de Jean-Philippe Jaworski : la fantasy révolutionnée

De Gaetan Desrois - Posté le 9 mai 2018 à 16h30 dans Art

Depuis quelques années, la Fantasy est devenue un genre très attractif. En témoignent le succès de films comme Le Seigneur des Anneaux ou les records battus par la série Game of Thrones. Néanmoins, on aurait tort de penser que la Fantasy est affaire d'écrivains anglophones. De nombreux écrivains talentueux francophones ont su démontrer que l'hexagone pouvait être un vivier puissant dans les littératures de l'imaginaire, et plus particulièrement, de fantasy. Pierre Bottero en est un exemple parmi tant d'autres. Nous avons eu le privilège d'interviewer un de ces auteurs à l'imagination remarquable, et pas n'importe lequel. Jean-Philippe Jaworski est plus qu'un bon écrivain : c'est un très bon écrivain. Avec une écriture sublime, Jaworski a su révolutionner l'écriture de la Fantasy. Lauréat de deux prix Imaginales (notamment pour son roman Gagner la Guerre), il nous a accordé un entretien exclusif.

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1) Bonjour Monsieur Jaworski, et merci au nom de toute la communauté Hitek d’avoir eu l’extrême gentillesse de répondre à toutes nos questions. Vous êtes écrivain de fantasy, créateur de jeu de rôle, mais également professeur de français, à Nancy. Pourriez-vous nous définir ce genre littéraire, que beaucoup confondent avec le Fantastique ou la Science-Fiction ?

Jean-Philippe Jaworski : La fantasy est un genre qui prend pour sujet des mondes imaginaires, ce que Tolkien appelle des "mondes secondaires" dans son essai Faërie. A l'origine, c'est un courant anglo-saxon apparu en Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle, puis aux Etats-Unis au début du XXe siècle, avant de se développer mondialement. Pour les amateurs du genre, elle se subdivise en de nombreuses branches qui définissent en fait différents sujets et différents registres : heroic fantasy, low fantasy, dark fantasy, urban fantasy, steampunk…

2) Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire de la Fantasy ?

JPJ : La synthèse possible entre histoire, légende et mythologie. C'est l'œuvre de Tolkien qui a été pour moi le révélateur de ce syncrétisme littéraire.

3) Votre carrière littéraire commence avec le recueil de nouvelles Janua Vera, dans lequel nous découvrons le Vieux Royaume. Quel était votre objectif avec ce recueil de nouvelles ?

JPJ : Mon objectif était double. D'une part, un certain nombre de ces nouvelles ont été écrites pour répondre à des appels à texte ; elles ont d'ailleurs été systématiquement refusées. D'autre part, j'avais dans l'esprit, dès la composition de la première de ces nouvelles, de les rassembler en recueil. L'univers des récits fournirait le lien ; en revanche, sur la forme, je voulais cultiver la variété en déclinant différents thèmes, personnages et registres. Enfin, je comptais jouer sur les clichés : je récupérais  les archétypes les plus usés en me permettant çà et là un infléchissement ou un détournement.

4) Si George R.R. Martin, le papa de Game of Thrones, s’est majoritairement inspiré de l’Histoire de l’Angleterre et de l’Ecosse médiévales pour écrire les innombrables intrigues politiques de sa saga, vous vous inspirez de la Renaissance italienne. Pourquoi ?

JPJ : Je m'inspire entre autres de la Renaissance italienne, mais pas seulement. Avant d'être un univers romanesque, le Vieux Royaume a été un univers de jeu. Je voulais qu'il soit varié mais familier pour mes joueurs, raison pour laquelle ses contrées sont inspirées de diverses inspirations médiévales : le duché de Bromael est un état féodal, la Marche Franche est une commune (au sens médiéval du terme), la Principauté du Sacre est une marche gouvernée par un ordre militaire sur le modèle de l'État teutonique et Ciudalia est une république sur le modèle des cités italiennes. Quand j'ai créé l'univers de jeu, il me fallait un pôle économique et culturel dont l'influence était susceptible de déstabiliser ses voisins : voilà la raison d'être première de Ciudalia. Ce fut donc moins un choix esthétique qu'une nécessité géopolitique et actantielle. Par la suite, quand j'ai commencé à écrire, Ciudalia était un cadre idéal pour la peinture de personnages corrompus. La ville Renaissance m'a donc été inspirée par l'équilibre (ou plutôt les déséquilibres) que demandait un univers dynamique, et elle s'est ensuite imposée quand il s'est agi de raconter des grenouillages machiavéliens.

J'ajoute que l'opposition que l'on fait entre Moyen-Âge et Renaissance est un cliché discutable, de plus en plus remis en question. Il y a eu en fait plusieurs renaissances au Moyen-Âge (renaissance carolingienne, renaissance romane du XIIe siècle et "beau Moyen-Âge" du XIIIe siècle) alors que le XVIe siècle conserve des caractéristiques très médiévales. Vous citez G.R.R. Martin : quand il s'inspire de la Guerre des deux Roses pour écrire Game of Thrones, il va chercher des sources historiques rigoureusement contemporaines du Quattrocento italien dont je m'inspire pour Ciudalia. L'Europe de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance était formidablement variée. Alimenter la fantasy à cette source permet de brosser un univers d'une grande diversité que nos clichés scolaires ont segmenté de façon erronée.

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5) La Renaissance italienne me semble de plus en plus à la mode, dans la Fantasy. Elle me semble très présente en effet dans votre Vieux Royaume. Mais on la retrouve également dans Les Salauds Gentilshommes de Scott Lynch ou encore dans Les Lames du Cardinal, de Pierre Pevel. Comment expliquer ce regain d’intérêt pour la Renaissance dans la Fantasy, un genre qui semblait plus attaché à la période médiévale ?

JPJ : Les Salauds Gentilshommes possède un vernis Renaissance mais se révèle être en fait un énorme pot-pourri qui mélange différentes époques, du Moyen-Âge au XXe siècle. Les Lames du Cardinal, en plus d'être un hommage au roman de cape et d'épée du XIXe siècle, prend davantage pour sujet la période moderne que la Renaissance. Reste que la fantasy s'intéresse de plus en plus à ce que l'on pourrait appeler la modernité, c'est-à-dire à la période historique qui succède au Moyen-Âge. Le genre paraissait attaché à la période médiévale en raison de certains de ses fondateurs britanniques, William Morris ou J.R.R. Tolkien qui, en tant que médiévistes, avaient imaginé des univers médiévaux. Compte tenu de l'influence de Tolkien, une grande partie de la production qui a suivi son œuvre a repris ses codes. Toutefois, la fantasy n'est pas spécifiquement médiévale. Si l'on va chercher du côté de ses origines américaines, elle prend des sujets antiques ou Renaissance. En attestent les deux personnages emblématiques créés par Robert E. Howard, Conan et Solomon Kane.

6) Faites-vous beaucoup de recherches historiques pour écrire vos livres ?

JPJ : Oui.

7) Pourriez-vous nous donner quelques titres de livres d’Histoire qui vous ont inspiré pour écrire les Récits du Vieux Royaume (Janua Vera et Gagner la Guerre) et votre trilogie Rois du Monde ?

JPJ : Cela risque d'être long et fastidieux, car j'ai recours à une bibliographie très abondante.

Voilà par exemple les sources que j'évoquais dans une autre interview à propos du cycle Rois du Monde :

Sur le plan linguistique, je m’appuie sur des ouvrages assez récents comme le Dictionnaire de la langue gauloise de Xavier Delamarre (Errance), La langue gauloise de Pierre-Yves Lambert (Errance), des compilations raisonnées de toponymes, théonymes et noms de personnes : Noms de personnes celtiques, Xavier Delamarre (Errance), Noms de lieux celtiques de l’Europe ancienne , Xavier Delamarre (Errance), les différents volumes des Noms d’origine gauloise de Jacques Lacroix (Errance).

Sur le plan archéologique, je suis l’actualité dans des revues spécialisées et je lis quantité d’historiens et archéologues : Stefan Fichtl, Jean-Louis Brunaux, Christian Goudineau, Olivier Buchsenschutz, Vencesclas Kruta, Marie-Yvane Daire, Patrice Méniel, Petr Drda, Alena Rybova, Isabelle Fauduet et j’en passe… Les éditions Errance publient, sous la plume de ces auteurs, des monographies très précises sur des sujets très spécialisés : la ville celtique, le sel des gaulois, les paysans gaulois, guerre et armement chez les gaulois, les temples de tradition celtique…

Je lis aussi des comparatistes et des historiens des religions, qui produisent une œuvre plus spéculative sur la culture celte : Bernard Sergent, Claude Sterckx, Anne Lombard Jourdan, Philippe Walter. L’œuvre de Christian Guyonvarc’h, malgré sa désorganisation et ses prises de parti, reste incontournable.

Je puise également dans les traductions de la littérature irlandaise et brittonique (La razzia des vaches de Cooley, Les mabinogion, Le dialogue des deux sages), sans négliger la matière de Bretagne de la littérature romane, car quantité de survivances affleurent dans les textes médiévaux.

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8) Vous êtes également créateur de deux jeux de rôles : Tiers Âge et Te Deum pour un massacre. Pouvez-vous nous en parler ?

JPJ : Tiers Âge est un jeu amateur qui permet de jouer dans la Terre du Milieu avec un système de simulation dédié, cherchant à restituer l'esprit de l'œuvre de Tolkien. Te Deum pour un massacre est un gros jeu de rôle historique permettant de jouer pendant les guerres de religion du second XVIe siècle. Il est assez révélateur de mes penchants que le premier ait pour cadre un univers fantasy canonique et que le second permette de s'immerger dans les troubles sanglants de la Renaissance. 

9) Quelle différence voyez-vous dans l’écriture d’un roman de fantasy et la création d’un jeu de rôle ?

JPJ : Il y a plusieurs différences, bien que la composition de l'univers et des personnages présente des similitudes. L'écriture du jeu de rôle doit être claire et explicite pour fournir les informations dont auront besoin maître de jeu et joueurs. La narration romanesque me semble plus efficace quand elle a recours à l'implicite et à la suggestion. L'univers du jeu de rôle doit être ouvert : il repose, à mon sens, sur une création arborescente où les joueurs sont libres de choisir les embranchements narratifs, voire de les créer à partir du canevas originel. À l'inverse, l'écriture romanesque procède par élimination : parmi les multiples horizons d'attente possibles, elle opère un choix. En d'autres termes, la clarté et l'ouverture me semblent être des principes essentiels de l'écriture pour le jeu de rôle tandis que la construction de l'intrigue romanesque nécessite un art de la composition qui réduit les possibles. L'avantage du roman, c'est que n'ayant pas de fonction didactique, il peut cultiver un style autre qu'une écriture classique ou blanche.

10) J’ai l’impression que la grande force de la Fantasy – et c’est peut-être l’une des explications de son succès, c’est qu’elle réalise un fantasme : celui de vivre à une époque médiévale, que nous idéalisons. D’ailleurs, à ce sujet, Arthur C. Clarke, l’auteur de L’Odyssée de l’Espace, a écrit : « La Science-Fiction est quelque chose qui pourrait se produire – et la plupart du temps, vous n’en auriez pas envie. La Fantasy est quelque chose qui ne pourrait pas se produire – alors que vous aimeriez souvent que cela arrive. » Êtes-vous d’accord avec Arthur C. Clarke ?

JPJ : La formule est jolie et contient une grande part de vérité mais, comme la plupart des sentences, elle est un peu réductrice. Il est vrai que la SF propose souvent des futurs dystopiques ou déplace simplement sur le futur des problèmes d'actualité ; il est tout aussi vrai que la fantasy est une littérature d'évasion qui répond à un authentique désir de réenchantement du monde. Mais il serait inexact de s'en tenir à cette antithèse un brin binaire. La SF a cultivé un « sense of wonder » qui a souvent répondu aux fantasmes du public, dans des thématiques parfois proches de la fantasy comme le space opera ; la fantasy a aussi cultivé des sujets très sombres que les lecteurs n'ont pas forcément envie de voir se réaliser – je pense aux royaumes nécromants de Clark Ashton Smith ou aux bourbiers sanglants des Monarchies divines, de Paul Kearney. La différence entre les deux genres me semble plutôt reposer sur la différence de perspective dans le contrat de lecture passé avec le lecteur : la SF repose sur la projection tandis que la fantasy use de la transposition. Mais les frontières restent très poreuses entre les genres.

11) Comment faites-vous pour que vos mondes soient attractifs ?

JPJ : Pour le dire en deux mots, j'adopte une stratégie immersive. J'essaie de me plonger dans l'univers de la fiction et d'y entraîner le lecteur. (Ou le joueur, puisque pour le coup je suis une démarche très semblable en jeu de rôle et dans la composition romanesque, malgré des moyens différents.)

12) On vous rapproche très souvent d’Alexandre Dumas. On pourrait même aller jusqu’à dire que vous êtes le Alexandre Dumas de la Fantasy. Votre écriture est resplendissante, et ce que vous faites de l’Histoire me conforte personnellement dans cette idée. Alexandre Dumas ou d’autres auteurs « classiques » vous ont-ils inspiré ?

JPJ : L'analogie avec Dumas est aussi flatteuse qu'exagérée. J'ai lu effectivement ses classiques avec beaucoup de plaisir : Le comte de Monte-Cristo, Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, Le vicomte de Bragelonne, La Reine Margot… Quantité d'autres classiques m'ont marqué : le théâtre de Shakespeare (Benvenuto est un personnage de drame élisabéthain), l'œuvre romanesque de Joris-Karl Huysmans, Jean Giono, Marguerite Yourcenar, Julien Gracq : les nouvelles de Guy de Maupassant, Villiers de l'Isle-Adam et Jorge-Luis Borges. Sans oublier Le Prince et le Discours sur la première Décade de Tite-Live de mon douteux ami Nicolas Machiavel, qui ont contribué à l'âme de Ciudalia.

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Alexandre Dumas

13) La Fantasy a toujours été critiquée, malgré son immense succès auprès du public. Certaines personnes semblent considérer que la Fantasy n’est pas de la littérature. Que leur répondez-vous ?

JPJ : Que ce n'est pas le genre qui détermine la qualité littéraire, mais la poétique de l'œuvre. Ce débat est vieux comme le roman. Jusqu'au XVIIIe siècle, le roman était considéré comme un genre un peu honteux, certainement pas à la hauteur de ces genres nobles qu'étaient la poésie, le théâtre ou les maximes. De nos jours, c'est le roman qui est le genre roi, et ce malgré les assauts portés contre lui par le surréalisme au début du XXe siècle. Alexandre Dumas, Honoré de Balzac ou Guy de Maupassant étaient des auteurs de romans populaires ; Balzac est même l'inventeur du roman feuilleton. On les considère de nos jours comme des classiques. Le policier a longtemps été considéré comme de la sous-littérature ; il a acquis par la suite des lettres de noblesse, et le roman noir est finalement perçu comme un roman social parfois plus incisif que nombre de fictions de littérature générale. La fantasy elle-même est en train de conquérir l'université et s'affirme progressivement comme un genre aussi valable que les autres.

14) Tolkien s’est inspiré de la littérature médiévale anglo-saxonne et scandinave, George R.R. Martin s’est inspiré de l’œuvre de William Shakespeare et de Maurice Druon. On dirait que la Fantasy doit impérativement s’ouvrir vers d’autres champs littéraires si elle veut survivre. Est-ce aussi votre avis ?

JPJ : Bien sûr : en fait, c'est le propre de toute littérature. L'intertextualité est une des caractéristiques permettant de conférer sa qualité artistique à un texte.

15) Votre personnage le plus emblématique est Benvenuto, l’assassin de Mauvaise donne et de Gagner la Guerre. Pouvez-vous nous parler de lui ? 

JPJ : Que vous dire qui n'ait pas déjà été dit ? C'est un importun qui a pris ses aises avec beaucoup de sans-gêne. Je lui ai prêté ma plume pour un millier de pages, et le ruffian me fatigue. Je vous renvoie à la préface du premier album de l'adaptation BD de Gagner la Guerre, scénarisée et dessinée par Frédéric Genêt, aux éditions du Lombard. J'y raconte comment le méchant drôle s'est imposé dans mon existence.

16) Benvenuto fait partie des anti-héros, à la moralité extrêmement trouble. Entre Benvenuto, les personnages de Game of Thrones, Locke Lamora des Salauds Gentishommes ou encore Geralt de Riv (le personnage principal de la série Le Sorceleur d’Andrzej Sapkowski, adaptée en une trilogie de jeux vidéos à succès, The Witcher), il semblerait que les personnages violents et amoraux connaissent un succès retentissant. Comment l’expliquez-vous ?

JPJ : Nous vivons dans une société désenchantée où les chevaliers blancs et les héros sans tache ont été démystifiés. Pour une partie du public, le cynisme et l'immoralité semblent plus crédibles que la droiture morale chez les hommes d'action. J'y vois aussi bien une influence du roman noir que le fruit d'une certaine désillusion sur les idéaux qui ont fondé nos démocraties.

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17) Vous avez un véritable talent pour l’écriture, et votre imagination est débordante. Pensez-vous que tout le monde puisse écrire de la Fantasy ?

JPJ : Non, pour une raison très simple : la fantasy n'intéresse pas tout le monde.

18) Est-il facile d’être auteur de Fantasy en France ? 

JPJ : Non, pour une autre raison très simple : il n'est pas facile d'être auteur tout court. Malgré l'image prestigieuse qui leur est associée, les écrivains sont en fait les prolétaires du circuit éditorial. Dans la chaîne du livre, ce sont les acteurs les moins bien rétribués. Pour reprendre le concept posé par Pierre Bourdieu dans Les Règles de l'Art, les écrivains sont des « dominants dominés ». Dominants parce qu'on les perçoit comme des gens influents, dominés parce qu'ils sont économiquement dépendants du système éditorial et des diffuseurs. L'immense majorité des écrivains publiés sont forcés d'avoir un autre métier pour vivre alors que l'écriture en soi est déjà un métier exigeant. Le paradoxe est parlant.

19) Votre nouvelle Mauvaise donne (première aventure de don Benvenuto, parue dans le recueil Janua Vera) a été adaptée en bande-dessinée par Frédéric Genêt. Comment s’est déroulée cette collaboration ?

JPJ : Frédéric Genêt m'a contacté pour me proposer cette adaptation. Comme j'ai été convaincu par son travail et ses arguments, je lui ai donné mon feu vert. C'est Frédéric qui a rempli la double tâche de scénariste et de dessinateur. Il m'a consulté dans toutes les étapes de son travail, depuis le story-board jusqu'aux planches qu'il me montrait au fur et à mesure qu'il les dessinait. Je lui ai suggéré quelques sources d'inspiration graphiques, je répondais aux questions qu'il soulevait et je lui donnais mon sentiment sur l'album à mesure qu'il avançait.

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20) Vous avez déjà écrit des nouvelles, des romans, des jeux de rôles. Pensez-vous vous tourner vers d’autres médiums pour raconter vos histoires ?

JPJ : J'ai aussi un peu touché au théâtre. En tant qu'écrivain, je me sens avant tout nouvelliste et romancier. J'aimerais beaucoup revenir à l'écriture du jeu de rôle, qui apporte des gratifications très différentes – et en un sens plus reposantes. Malheureusement, il m'est impossible de tout mener de front.

21) Allons-nous nous aventurer à nouveau dans le Vieux Royaume ?

JPJ : Oui. J'ai en particulier en projet un roman qui s'intitulera Le Chevalier aux Épines et qui se déroulera dans le duché de Bromael, environ deux ans après l'action de Gagner la Guerre.

22) Après nous avoir émerveillés avec le Vieux Royaume, vous écrivez actuellement une trilogie de Fantasy historique, intitulée Rois du Monde, dont l’action prend place chez les celtes gaulois. Votre objectif était-il de faire, avec cette trilogie, de la fantasy, ou était-ce d’écrire une trilogie historique, mais le sujet vous a poussé à y glisser de la magie ? 

JPJ : Mon projet était bien d'écrire de la fantasy historique ou, pour être pédant, de la fantasy anthropologique. Le choix d'un narrateur personnage appartenant à une époque archaïque impliquait forcément l'intervention du surnaturel dans le récit. C'est vraiment le cœur de mon sujet, bien que le cycle traite aussi une matière légendaire et historique.

23) Nous parlions tout à l’heure de votre rapport à l’Histoire. Dans une mini-série récente pour Arte Creative, le vidéaste Benjamin Brillaud, de la chaine YouTube Nota Bene, a étudié le rapport entre jeux vidéos et Histoire. Le dernier épisode de cette mini-série posait la question : pouvons-nous utiliser les jeux vidéos comme outil pédagogique pour enseigner l’Histoire. Vous, qui enseignez en lycée le français, pensez-vous que la Fantasy (par son rapport particulier avec l’Histoire et les autres genres littéraires) puisse être utilisée comme outil pédagogique ? Parlez-vous de fantasy avec vos élèves ? Vos élèves vous lisent-ils ?

JPJ : À vrai dire, je n'aime pas l'idée de la fantasy réduite à la fonction d'outil pédagogique. C'est un courant culturel, non un média. Comme la plupart des genres et des courants, je trouve qu'elle a plus sa place en tant qu'objet d'étude. Du reste, je traite peu de la fantasy en cours. J'en parle volontiers quand les élèves abordent le genre, mais je ne la place pas dans ma progression d'année. Plusieurs raisons motivent ce choix, en particulier le fait que j'enseigne au lycée. Quand j'enseignais au collège, j'ai étudié avec mes élèves Bilbo le Hobbit ou, dans un registre plus fantastique, L'Affaire Charles Dexter Ward et Malpertuis. Au lycée, toutefois, les choses sont différentes. Tout d'abord, l'enseignement des lettres a, entre autres, une vocation patrimoniale. Il est sain de s'intéresser aux littératures actuelles, mais pour bien les comprendre, il faut aussi connaître notre héritage littéraire. Les élèves qui aiment la fantasy en lisent par eux-mêmes, mais rares sont ceux qui lisent spontanément des classiques. Il me paraît nécessaire de les initier à cette littérature qui fonde notre société et nos valeurs, car nous sommes les héritiers des écrivains des siècles passés. Par ailleurs, dans une optique beaucoup plus pragmatique, je prépare mes élèves aux épreuves du baccalauréat. Je crains que ceux qui s'appuieront sur la fantasy ne soient pénalisés par un certain nombre de jurys. À l'oral, les examinateurs qui ne connaîtront pas les œuvres étudiées interrogeront sur d'autres parties du programme et restreindront donc le champ de leur évaluation. Toutes ces raisons m'incitent à recourir à une bibliographie plus classique ; et malgré tout, je me désole parce que cela reste insuffisant à brosser un panorama complet de notre patrimoine culturel. Enfin, étant moi-même auteur de fantasy, je trouverais assez équivoque d'étudier la fantasy. Je serai de parti pris. De plus, j'entends ne nourrir aucune ambiguïté et ne pas faire de mes classes un public captif, même de façon oblique en étudiant d'autres œuvres du courant. Ce serait incompatible avec un des objectifs essentiels du programme scolaire qui est la formation de l'esprit critique. Dans un souci d'objectivité et de transparence, je ne traite donc que des œuvres sans rapport direct avec mon propre travail. Par ailleurs, je n'en trouve pas moins intéressant que la fantasy soit abordée au collège et au lycée. J'ai déjà collaboré avec plusieurs enseignants qui faisaient étudier mes livres – mais avec d'autres classes que les miennes. 

24) Quand vous n’écrivez pas des nouvelles et des romans, que faites-vous ? Lisez-vous des bandes dessinées (franco-belges, mangas, comics) ? Jouez-vous à des jeux vidéos ? Regardez-vous des séries TV ? Allez-vous au cinéma ?

JPJ : Pour tout vous dire, avec deux métiers, j'ai très peu de temps libre. Jadis, j'ai été un gros lecteur de bandes dessinées, mais ce n'est plus le cas parce que j'ai dû opérer des choix. Je continue à lire beaucoup, mais la documentation et les différentes littératures captent tout mon loisir de lecteur. Je pratique quand même un peu de jeu vidéo pour me détendre, surtout des MMORPG. Je regarde aussi des séries.

25) Quels sont, selon vous, les cinq romans de Fantasy à lire absolument ?

JPJ : C'est toujours délicat d'établir des palmarès car ils n'ont jamais de valeur définitive. Le Seigneur des Anneaux est à mes yeux incontournable. Les trois premiers volumes du cycle de Terremer, de la regrettée Ursula K. Le Guin, sont également des classiques du genre. Bien qu'il soit parfois considéré (à tort) comme un récit de SF, La Forêt des Mythagos de Robert Holdstock est à mes yeux un roman vertigineux. Dans une veine quasi mythologique, j'avais été impressionné par Un visage pour l'éternité de C.S. Lewis. Et dans un registre plus comique mais aussi érudit, Les Petits Dieux de Terry Pratchett est un vrai régal ! Mais reposez-moi la question demain et je vous dresserai probablement une liste différente.

Merci encore de nous avoir accordé ces réponses précieuses.

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Mots-Clés : fantasyJean-Philippe JaworskiInterview

Salut, c'est Gaëtan. Diplômé d'un Master en Langues Modernes, je suis un grand passionné de Culture Pop. J'ai une affection toute particulière pour la culture des années 80/90. Grand lecteur, je suis aussi cinéphage et sérivore (un régime alimentaire des plus équilibrés !). Passionné par le Moyen-Âge, je suis un grand fan de Fantasy. Sinon, j'adore le cinéma coréen, la littérature japonaise, les séries et les comics britanniques. Ah, j'oubliais : pour savoir s'il y a du vent, faut mettre son doigt dans le cul du coq.

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Commentaires (6)

Par jeanLucasec, il y a 6 ans :

Bavard le monsieur, mais diablement intéressant

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Par Aqrave, il y a 6 ans :

dans la miniature de l'article vous vous êtes trompé, vous avez mit christophe willem

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Par pergame, il y a 6 ans :

ses livres sont fantastiques !

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Par Oui, il y a 6 ans :

Par contre le tiers age dont il est question dans l'interview n'est pas celui présent sur l'image qui lui n'est clairement pas amateur. Voilou

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Par Goka, il y a 6 ans :

Bravo pour cet article !
Super qualité :)

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Par le chatel, il y a 4 ans :

Jean-Philippe Jaworski : Rois du monde

J’ai lu et relu les cinq volumes des Rois du monde de Jean-Philippe Jaworski et j’ai adoré.

Pour suivre les 190 personnages, les 44 tribus celtes, les 57 villes et villages et les 25 fleuves et rivières, j’ai réalisé un glossaire et une carte. Contactez moi à l’adresse lechatelierj@gmail.com, je vous enverrai les fichiers.

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