Il y en a à qui le confinement dû à la pandémie de Coronavirus profite. On vous expliquait déjà dans un précédent article comment l'action Netflix s'était envolée en bourse. Avouons par ailleurs qu'en ces temps de distanciation sociale, on est bien content de vivre l'âge d'or des SVOD, nous permettant de nous divertir entre deux séances de télétravail. Alors quand un film Netflix semble devenir un véritable phénomène de société, forcément, cela attire notre attention. Depuis la sortie de La Plateforme, film d'horreur espagnol réalisé par Galder Gaztelu-Urrutia, on ne compte plus le nombre d'articles sur le sujet. On l'a vu, et on vous donne notre avis sur ce film, et sur sa fin controversée.
Avertissement : cette critique est profondément subjective, et reflète uniquement l'avis et les impressions de son auteur. Si vous êtes en désaccord avec les propos émis ici, nous vous invitons à donner votre avis et à donner votre analyse dans l'espace commentaires, avec respect, cela va sans dire.
Une autopsie sanglante de la nature humaine
La Plateforme est un film qui, bien que court (on parle d'un film d'à peu près 1h30), est profondément complexe. De ce fait, comprenez qu'il est difficile de faire une critique qui satisfera tout le monde, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, La Plateforme est un film d'horreur, et s'il est tout à fait possible de faire une critique objective d'un film d'horreur, sur sa mise en scène comme pour sa construction scénaristique, le genre fait appel à des émotions primaires, la peur, la crainte, la surprise, et de ce fait, toute critique de film d'horreur aura sa part de subjectivité, peut-être plus prononcée que dans d'autres genres cinématographiques. Interviendra nécessairement dans notre avis sur le film notre capacité de résistance face au gore. Ensuite, et surtout, parce que La Plateforme est un film hybride, empruntant aussi bien au genre horrifique qu'au genre, plus hétérodoxe, de la fable sociale.
Mais La Plateforme, ça raconte quoi ? Tout se déroule dans une prison verticale, appelée La Fosse. Le principe est assez simple. Une plateforme, garnie de nourriture, descend une fois par jour tous les étages de la prison, afin de nourrir les prisonniers. On comprend dès lors que les détenus des étages supérieurs se gavent, et ne laissent rien aux détenus des étages inférieurs.
On comprend dès lors l'intention scénaristique qui fait tout le sel du film : faire une critique du capitalisme et de la société de consommation. La Plateforme rappelle par ailleurs Snowpiercer de Bong Joon-ho, l'adaptation ô combien réussie de la bande-dessinée française de Lob et Rochette par le réalisateur de Parasite. Forcément, ce parti pris politique interpelle, et a tendance à me plaire. Particulièrement amateur des fables sociales, des films de Chabrol à ceux de Costa-Gravas, en passant par les films de Ken Loach et de Bong Joon-ho, La Plateforme me parle par son propos initial. Cependant, lorsqu'on analyse plus profondément le film, on se rend compte que le film semble nous signifier que critiquer la société, c'est se tromper de cible, qu'il faut avant tout condamner la nature humaine. D'où, me concernant, une divergence philosophique. Ayant lu et digéré les ouvrages de Bernard Friot et Frédéric Lordon, synthèse de la philosophie de Marx et de Spinoza, ce regard profondément nihiliste et désespéré du film ne me satisfait pas philosophiquement, du moins, pas entièrement.
Une mise en scène au service de l'histoire
Ensuite, je tiens à saluer la mise en scène, aussi soignée que crade, du film. L'aspect cradingue de la Fosse participe grandement à renforcer l'aspect profondément claustrophobique de ce huis-clos radical, une Fosse rendue plus oppressante encore par la photographie baveuse, les effets de lumières et la musique, presque distordante. Les choix de mise en scène de Galder Gaztelu-Urrutia servent complètement son univers.
Mais le film sombre rapidement dans une violence psychologique et graphique véritablement insoutenable. Et là se trouve ma principale réserve concernant ce film. Je suis un client très exigeant, quand il s'agit d'horreur. Il y a des choses que j'aime beaucoup dans ce genre, et d'autres que je ne supporte pas. Je suis généralement client d'un genre horrifique, lorgnant vers l'épouvante (j'affectionne tout particulièrement les films de la Hammer, et les films qui s'en inspirent), soit vers le post-horreur (de Jordan Peele à Robbert Eggers). Mais si je suis très loin d'être réticent à la violence au cinéma et à la télévision, je suis assez sensible au gore, et ne le tolère qu'à petites doses. En gros, Game of Thrones, ça va ; La Plateforme, ça va beaucoup moins.
On comprend dès lors que ma principale réserve relativement à La Plateforme dépend avant tout de ma propre capacité à supporter un certain niveau de violence. Le film est très, très, très violent. Par ailleurs, au-delà même du fait qu'il s'agisse d'un film profondément gore, son rapport à la violence me dérange. Quelques mots d'explication. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire plus haut, La Plateforme est un film profondément nihiliste et misanthrope, ne laissant aucune place à l'espoir (on en reparlera quand on traitera de la fin controversée du film). Or, pour beaucoup de spectateurs, le degré d'acceptation de la violence dépend grandement de sa motivation. Un film peut être profondément violent, mais dès lors où il y a une percée de lumière, la violence devient tout de suite beaucoup plus acceptable. Si dans Game of Thrones la mort d'Oberyn Martell, très gore, a bien évidemment marqué les esprits, le spectateur avait néanmoins conscience que sa mort allait, à un moment donné, être vengée, d'une manière ou d'une autre, rendant ainsi sa mort peut être plus acceptable. Or, dans La Plateforme, la violence apparaît comme une gigantesque machine qui tourne à vide, n'ayant nul autre but que de se reproduire, indéfiniment. Ajoutez à cela un huis-clos à la lumière baveuse et cradingue, une bande-son dérangeante, et un propos philosophique désespérant sur la nature humaine, et vous obtenez un film qui déprime autant qu'il choque.
Explication d'un phénomène
La Plateforme fait véritablement sensation, et n'est pas passé inaperçu. On peut s'interroger sur les raisons qui font que ce film parle autant aux abonnés de Netflix. La première raison, la plus évidente, est que nombre de spectateurs ont été interpellés par ses qualités intrinsèques. C'est un film jusqu'au-boutiste, bien éloigné tant par son approche graphique que par son propos des productions espagnoles que propose habituellement Netflix, de La Casa de Papel à Elite. Avec La Plateforme, Netflix a pris des risques, et c'est tout à son honneur. Ensuite, La Plateforme est un film sorti au bon moment. Sortir un huis-clos politique terriblement angoissant, voilà qui a une résonance particulière en cette période de confinement anxiogène. On peut parier que, sorti dans d'autres circonstances, malgré ses qualités que nous ne nions pas, le film n'aurait peut-être pas eu le même écho. S'il était sorti en même temps une adaptation du Fléau de Stephen King, excellent roman sur une pandémie particulièrement mortelle, gageons du fait que Le Fléau aurait été propulsé en phénomène sociétal.
Autre raison qui peut expliquer le succès retentissant de La Plateforme, c'est sa fin controversée. Une fin ouverte qui fait débat : la jeune fille existe-elle vraiment ? Le message a-t-il pu être livré à la surface, pour les avertir de ce qu'il se passe en bas ? Etant donné l'aspect profondément sombre, macabre et désespéré, je suis partisan de l'hypothèse la plus sombre et désespérée, que nombre d'indices relayés par cet article de nos confrères de Premiere viennent étayer : l'enfant n'existe pas, le message n'est jamais parvenu à la surface. Cette hypothèse semble en totale adéquation avec l'ambiance générale du film, sa philosophie nihiliste, renforçant son côté jusqu'au-boutiste.
Conclusion
Je peux difficilement dire que j'ai aimé La Plateforme. Voir ce film fut une véritable épreuve. Sombre et gore, il ne laisse aucun espoir, se contentant de tout ravager. Cependant, il faut lui reconnaître son intérêt : La Plateforme est un film audacieux, à l'intention intéressante, avec une mise en scène saisissante. Interdit aux moins de 18 ans, La Plateforme est un film-monstre, oeuvre noire dont la motivation cachée est dantesque : montrer que si le monstrueux naît dans une prison, c'est celle de la nature humaine. Lautréamont n'aurait pas dit mieux.
Par jeanLucasec, il y a 4 ans :
Distrayant, mais bon pas plus
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