Dossier : comment notre perception du Moyen-Âge a changé au fil des ans
Moyen Âge. L’âge moyen. Age bâtard, pause obscurantiste entre les lumières dorées de l’Antiquité et de la Renaissance. Depuis plusieurs siècles, la période médiévale est jugée arriérée, sombre, violente. Pourtant, entre l’idéalisation, notable notamment dans les œuvres de Fantasy moderne, et la recherche scientifique actuelle, un nouveau Moyen-Âge semble se dessiner, peut être pas si sombre qu’on a bien voulu le laisser paraître.
Avertissement : passionné d’Histoire, je ne suis pas Historien. Cet article est le fruit de mes réflexions. Je me suis beaucoup inspiré d’ouvrages et d’articles d’Histoire. Notamment, La Vie de Château : Le Moyen Âge au Quotidien (magazine Historia spécial n°100, mars-avril 2006), La Vie dans un château médiéval de Frances et Joseph Gies, Actuel Moyen Âge du collectif éponyme et Le vrai visage du Moyen Âge, dirigé par Nicolas Weill-Parot et Véronique Sales. Les vidéos Le Mensonge du Moyen Âge et Riches vs Pauves – Les Loisirs au Moyen Âge du vidéaste Nota Bene m’ont également été d’une grande utilité. Je vous conseille de lire et de regarder chacun des articles, livres et vidéos que j’ai cités. Enfin, je n’aurais jamais pu écrire le présent dossier sans l’aide des historiens Simon Hasdenteufel, Catherine Kikuchi et Tobias Boestad, du collectif Actuel Moyen Âge, qui ont très gentiment accepté de répondre à une longue interview, qui sera publiée dans les prochains jours. Nous les remercions une fois encore, d’avoir accepté de nous accorder du temps pour une interview passionnante. Vous trouverez, dans ce dossier, quelques extraits de l’interview. En attendant, nous vous conseillons vivement d’aller voir leur blog, Actuel Moyen Age, en cliquant ici.
Le Moyen Âge, une création de la Renaissance ?
Dès l’école primaire, on apprend (sans entrer très profondément dans les détails) que l’Histoire est divisée en plusieurs âges : la Préhistoire, l’Antiquité, le Moyen Âge, la Renaissance, l’époque Moderne et l’époque Contemporaine. Ainsi, le Moyen Âge mérite sa place d’âge "moyen" par la place médiane qu’il occupe dans l’ordre des ères de l’Histoire. Néanmoins, il a acquis l’adjectif épithète "moyen" parce qu’il fut jugé obscurantiste et sombre par les Humanistes de la Renaissance. Dans l’introduction de leur livre, Le vrai visage du Moyen Âge, Nicolas Weill-Parot et Véronique Sales écrivent :
"De toutes les périodes de l’histoire, le Moyen Âge est incontestablement celle dont le visage a été le plus souvent déformé par les idées reçues, les distorsions ou les caricatures. C’est un visage souvent hideux, effrayant, parfois étrangement primitif, ou clinquant jusqu’au mauvais goût que véhiculent la plupart des représentations communes. Aucune période historique ne cristallise autant de distorsions ou d’idées reçues."
Mais d’où vient cette image sombre du Moyen Âge, cette image tellement sombre que l’adjectif épithète "moyenâgeux" peut être perçu comme péjoratif ?
Tobias Boestad d’Actuel Moyen Âge nous a donné sa réponse dans l’interview à paraître :
"que l’archaïsme fait partie du concept même de Moyen Âge. Ce concept, il faut le prendre au mot : pour les humanistes renaissants, il y a l’Antiquité ; il y a « nous » ; et entre les deux, il y a l’âge du milieu, peuplé de Vandales et de Goths. C’est évidemment une conception tout à fait exagérée, élaborée à l’origine par des poètes, des humanistes et – déjà – des historiens, brillants par ailleurs, qui partageaient cette volonté un peu « soixante-huitarde » de se démarquer des générations précédentes."
Ainsi donc le Moyen Âge est une construction. Une construction faite par les humanistes de la Renaissance, et dont la recette est celle du miroir déformant. La Renaissance est l’époque de la connaissance, des inventions et de la liberté d’esprit ? Alors le Moyen Âge est l’époque de l’obscurantisme, où les esprits et les intelligences s’étiolent. Pourtant, comme le démontre la recherche historique actuelle, cette image est profondément erronée.
D’un extrême à l’autre
Face à cette vision horrifique du Moyen Âge, que Michelet (l’inventeur, pour certains, de "l’histoire de France") a également propagée, se dresse aujourd’hui un Moyen Âge beaucoup plus attrayant. En février dernier, le récent studio de jeux vidéos War Horse a commercialisé son premier jeu, Kingdom Come : Deliverance. Ce jeu, voulu le plus réaliste possible, propose au joueur d’incarner un jeune forgeron de la Bohème du XVème siècle, pris dans la tourmente d’une guerre civile. Il va sans dire que ce jeu vidéo était très attendu. Pour quelles raisons ? A mon sens, parce qu’à l’instar de jeux vidéo d’Heroic Fantasy tels que The Elder Scolls V : Skyrim ou The Witcher 3 : Wild Hunt, Kingdom Come : Deliverance permet d’assouvir un fantasme, celui de vivre (de manière virtuelle, certes) à l’époque médiévale. Et ce fantasme est bien réel. Les joueurs de jeux de rôles, ou même de jeux de rôles grandeur nature le confirmeront. Certains artistes concrétisent d’ailleurs ce fantasme dans la réalité. Ainsi, le groupe allemand de musique médiévale Corvus Corax a effectué un travail de musicologie extraordinaire, afin de restituer des chants et des musiques médiévales, avec des instruments d’époque. Je vous conseille vivement d’écouter leur best-of Ars Mystica.
Comment expliquer que nous fantasmons cette époque, pourtant si décriée ? Tobias Boestad s’interroge :
"Et si c’était justement parce que le Moyen Âge passe pour « arriéré », brutal, peu civilisé, qu’il nous est si fascinant et exotique ?" Sa collège, Catherine Kikuchi, enchérit : "la fantasy a beaucoup joué sur le Moyen Âge donc les gens s’y intéressent, donc de plus en plus d’œuvres s’en inspirent."
Exotique, le Moyen Âge l’est assurément. Et sans aucun doute, la violence nous le rend à la fois proche et éloigné, et donc fascinant. De même, la Fantasy, et les romantiques avant elle, nous ont appris à idéaliser cette période historique. Le très large lectorat du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, œuvre monumentale qui illustre un Moyen Âge idéal, témoigneront sans doute. Mais peut être finalement notre nostalgie pour cette époque que nous n’avons pas connue vient-elle du fait que notre propre époque nous effraie ? Le Moyen Âge n’est-il finalement pas plus attrayant que notre époque faite de pollution, réchauffement climatique, maladies sexuellement transmissibles, scandales financiers, crises monétaires, dérives médiatiques, politiciens véreux ? Il me semble que combattre à l’épée ou à l’arc, avec le code d’honneur du chevalier, est beaucoup plus porteur de rêves que combattre avec une arme à feu, et ce même si le résultat est le même. De la même façon, idéaliser le Moyen Âge, avec les innombrables quêtes qui accompagnent sa mythologie, est peut-être une façon de fuir l’absurdité de notre existence dans notre monde, cette absurdité qu’ont notée des écrivains comme Beckett ou Sartre. Ainsi, le Moyen Âge entre donc dans la logique du "c’était mieux avant".
Le Moyen Âge comme outil de communication politique
Qu’on le veuille ou non, l’Histoire est inextricablement liée à la politique. C’est d’ailleurs un travers dans lequel l’Histoire ne doit pas tomber. Mais, comme nous l’avons vu plus haut, depuis ses débuts, le Moyen Âge est utilisé (pas exclusivement, bien sûr) à des fins de communication politique. Pas seulement par les humanistes de la Renaissance. Par exemple, dans Notre-Dame de Paris, Victor Hugo utilise la fin du Moyen Âge pour parler de religion. Aujourd’hui encore, l’image du Moyen Âge permet de faire des parallèles avec le présent. Attention, cette attitude n’est en rien répréhensible. Elle est par ailleurs tout à fait naturelle, et peut même s’avérer salvatrice, tant qu’elle n’est pas mensongère. Il n’y a pas longtemps, en écrivant un dossier sur les meilleurs séries britanniques, je me suis posé la question suivante : comment expliquer l’essor fulgurant des films et séries historiques ? Depuis une dizaine d’années, la télévision britannique a donné naissance à une multitude de séries historiques, afin de revisiter son histoire. Vikings (en fait, c’est une série irlandaise), The Last Kingdom, Taboo, Peaky Blinders, Victoria, The Crown, The Tudors, etc. Certaines séries médiévales permettent en vérité de remonter à l’origine des pays, à leur formation. Ainsi, The Last Kingdom a une résonnance particulière à l’époque du Brexit, étant donné que cette série parle de la création de l’Angleterre au IXème siècle. De la même façon, Vikings donne un écho particulier au présent, puisque sont traitées les invasions et migrations vikings, alors que l’Angleterre a refusé d’accueillir des migrants syriens. Ainsi, ces deux séries questionnent l’Histoire comme pour démontrer toute l’absurdité de l’époque actuelle. De la même façon, le film Kingdom of Heaven de Ridley Scott, qui traite des Croisades, a un sous-texte politique, puisqu’il est paru pendant la Guerre en Irak.
The Last Kingdom
Que faut-il retenir du Moyen Âge ?
Si la recherche actuelle ne nie nullement la violence de cette époque de plus de 1000 ans, elle permet néanmoins d’aller au-delà des clichés. Tout d’abord, le Moyen Âge n’est pas qu’affaires de châteaux forts et de chevaliers. Ces deux éléments sont apparus tardivement dans le Moyen Âge, comme l’ont si bien démontré les historiens anglais Joseph et Frances Gies dans La Vie dans un château médiéval. Les premiers châteaux forts sont apparus en Angleterre lorsque Guillaume le Conquérant a été couronné roi d’Angleterre, c’est-à-dire au XIème siècle. Le problème, c’est que nous avons tendance à uniformiser le Moyen Âge, en le résumant par quelques notions, alors que c’est une période immensément complexe, car immensément longue : 1000 ans d’Histoire. D’autant que comme le rappellent les historiens d’Actuel Moyen Âge que nous avons interviewés "le Moyen Âge ne désigne pas la même période partout : en Allemagne, on considère traditionnellement qu’il se termine en 1517, avec la Réforme. En Scandinavie, on le fait commencer après l’ « Age viking », considéré comme une sous-partie de l’ « Age de Fer », et on le fait durer du XIe au XVIe siècle."
Cependant, et il est important de le rappeler, le Moyen Âge ne fut pas aussi sombre : comme nous le rappellent l’équipe d’Actuel Moyen Âge sur leur blog ou dans leur livre, les préoccupations médiévales ne sont pas si éloignées des nôtres. Ainsi, l’écologie était déjà un sujet de discussion, comme le souligne l’un de leurs articles (pages 64-66 de leur livre). De la même manière, un de leurs plus récents articles, intitulé "Ne tirez pas sur les civils", fait un parallèle intéressant sur le traitement des civils en période de guerre à l’époque médiévale et à l’époque actuelle, et démontre (sources à l’appui) à quel point les civils étaient mieux traités au Moyen-Âge qu’aujourd’hui. Le livre Le vrai visage du Moyen Âge permet de démonter un à un les innombrables clichés qui ternissent le Moyen Âge. Nous vous recommandons la lecture de ces ouvrages, et de tous ceux précités, en attendant la publication de l’interview d’Actuel Moyen Âge très prochainement sur Hitek.
Ils faisaient passer les "moyenâgeux" pour des pouilleux, alors que, justement, ils se lavaient réellement beaucoup plus qu'eux! ^^
Ça renforce aussi le parallèle présenté dans l'article entre notre époque et "l'ancienne": ceux qui se croient au-dessus oublient souvent d'avoir le cul propre avant d'ouvrir leur gueule (au premier et second degrés ;) )
En tout cas, sujet intéressant, bien amené et qu'il est toujours sympa de rappeler. Merci pour cet article.
Mais bon... d'un côté, ne vaut il pas (dans son cas) avoir moins de monde qui suit ses articles et du coup moins de trolls qui postent pour troller ou dire de la merde? ;)
apres, pour les dents,il y avait déjà moins de sucre,et j'imagine à comparaison que si on ne se lavait pas les dents en mangeant ce que l'on mange (donc) coca,haribo,Mc gras,Nutella on les perdrait plus vite que eux à l’époque...
Au contraire au Moyen-Âge, notamment dans les villes ayant connu la domination et la culture romaine, on a utilisé les thermes romains plusieurs siècles après la chute de l'empire (bien illustrés dans la série Vikings).
En effet, chaque période historique a commis des atrocités ET des évolutions. Il est indéniable que le moyen âge fut une période d'obscurantisme scientifique et religieuse : en comparaison, les peuples arabes étaient en avance technologique. La pensée dominante religieuse à pendant longtemps restreint l'émancipation sociale humaine. A ce titre, Saint Thomas D'Aquin fut l'un des grands penseurs de ce temps, qui a apporté une évolution de pensée, tout en maintenant le statut de l'homme à un état de servitude religieuse (et je parle même pas du statut de la femme...).
En terme d'atrocités, les guerres entre chrétiens ne furent codifiées que tardivement. Et même si en théorie, le civil travailleur était intouchable, en pratique il pouvait y avoir des écarts... Par ailleurs, l'inquisition et les croisades mêlent à la fois obscurantisme religieux et atrocités : les massacres commis au nom de Dieu furent légion.
Bon j'avoue avoir mélangé les 3 moyen âge (bas - moyen - haut moyen âge), mais c'est juste pour souligner que chaque élément historique doit être relevé Pour donner une image fidèle de la pensée et des pratiques anthropologiques de cette époque
Quand à la condition de la femme je conseille la lecture de "la femme au temps des cathédrales" de Régine Pernoud, qui remet bien dans le contexte la situation des femmes à l'époque et donne de nombreux exemple de femmes puissantes (régentes, chef d’État, abbesses, conseillères de l'ombre, parfois guerrières...).
Quand aux guerres de religions au Moyen-Orient, il ne faut jamais oublier que la religion est toujours un PRETEXTE qui sert à justifier moralement aux yeux des contemporains des actions menées pour d'autres raisons. En l’occurrence les croisades servaient deux motifs :
- limiter les guerres entre les royaumes occidentaux qui étaient un désastres économique et démographique,
- permettre au Vatican de prendre le contrôle des plus importants lieux saints du monde (à une époque où les reliques et les pèlerinages sont un business conséquent). Il y a eu des alliances entres Chrétiens et Sarrasins contre d'autres Chrétiens et Sarrasins...
Et oui, c'est à la renaissance que les gens puaient et qu'on torturait tout le monde.