Les rêves de Neil Gaiman (partie 1) : retour sur des œuvres magistrales
2018 : l’année Neil Gaiman, à n’en pas douter. Le scénariste et romancier est sur tous les fronts. Une de ses nouvelles a été adaptée au cinéma et proposée à Cannes (How to talk to girls at parties, avec Nicole Kidman). Les teaser de la saison 2 d’American Gods (adaptation de son roman culte par Amazon Prime Video) et de la première saison de Good Omens (adaptation de son premier roman, culte également, co-écrit avec le mage Terry Pratchett) ont été présentés à la Comic Con de San Diego. Son recueil de nouvelles Signal d’alerte vient d’être publié en France. Il a signé un contrat d’exclusivité avec Amazon Prime Studio pour de nouvelles séries originales. Sa BD en collaboration avec le chanteur Alice Cooper, La Dernière Tentation, a également été publiée en France. Sans oublier les adaptations par P. Craig Russell en comics de deux de ses plus grands romans : Coraline et American Gods. Et comble du bonheur, il chapeaute les nouvelles aventures de Sandman. Rien de plus normal donc de profiter de cette année prolifique pour rendre hommage à ce génie britannique, pilier de la culture geek !
Dans cette première partie, nous traiterons uniquement de son œuvre en tant que scénariste de bandes-dessinées. Nous traiterons ses romans dans la seconde partie.
1. Violent Cases (1987) / Mr Punch (1994)
Après avoir appris l'art du scénario de bande-dessinée auprès d'Alan Moore (avouez qu'on fait pire comme professeur !), Neil Gaiman est contacté pour écrire une BD de cinq pages, et en livre quarante-huit. Première œuvre bédéistique de Neil Gaiman, première collaboration avec Dave McKeane, première incursion de l’auteur anglais dans le souvenir d’enfance (une de ses obsessions qui l’emmènera à rédiger un de ses plus beaux romans, L’océan du bout du chemin), Violent Cases est l’oeuvre de toutes les premières fois. Une œuvre qui tient à la fois du chef d’oeuvre percutant et de l’OVNI. Le scénariste raconte un souvenir d’enfance (peut-être complètement inventé, on ne sait jamais avec l’auteur de Coraline où se trouve la frontière entre le réel et l’irréel) : son père, lui ayant accidentellement cassé le bras, l’emmène voir un kiné qui lui apprend s’être occupé du légendaire Al Capone. Le récit des violences enfantines et des violences mafieuses se télescopent dans un roman graphique particulièrement prometteur.
Neil Gaiman et Dave McKeane ont, plusieurs années plus tard, écrit la suite spirituelle de Violent Cases : Mr Punch. À la fois plus longue, plus sombre, plus baroque, Mr Punch raconte un autre souvenir d’enfance (peut-être complètement inventé) de Gaiman : envoyé chez ses grands-parents, le jeune Neil Gaiman assiste à une effrayante représentation de Mr Punch, un spectacle de marionnettes. Mr Punch profite de l’extraordinaire travail de narration de son auteur et de l’époustouflant travail d’illustration de Dave McKeane, à son sommet.
Violent Cases et Mr. Punch sont publiés chez Urban Comics (14 euros).
2. Black Orchid (1988-1989)
Black Orchid est le premier travail de Neil Gaiman pour DC Comics. À l’époque, le scénariste anglais n’a pas encore écrit Sandman. Néanmoins, son Violent Cases aura suffisamment impressionné Karen Berger pour qu’elle lui permette de faire ses preuves avec la reprise d’un personnage de l’écurie DC tombé en désuétude : L’Orchidée Noire. Le travail de Gaiman sur Black Orchid a quelque chose de comparable avec son travail sur Sandman : Gaiman ne se contente pas de reprendre un personnage oublié, accompagné de son ami Dave McKeane aux dessins, il transcende complètement le matériel originel, pour en faire une œuvre infiniment personnelle.
Dans ce comics de trois chapitres, Gaiman se montre audacieux, en tuant le personnage dès les premières pages. Une approche que son maître, Alan Moore, a déjà faite quelques années plus tôt, avec Swamp Thing. D’ailleurs, on pourrait considérer Black Orchid comme étant le Swamp Thing de Neil Gaiman. Cette œuvre poétique nous plonge dans l’enquête d’un personnage tentant de comprendre les raisons de sa propre mort. Elle rendra visite à tout un tas de personnages mythiques de l’Univers DC, dont Batman, Le Joker ou Poison Ivy. Pourtant, Black Orchid reste un OVNI. Comme dans Sandman, Gaiman casse les codes de l’écriture du comics, en rejetant la violence. De la même façon que l’Orchidée Noire espère un monde débarrassé de toute violence, on se prend à croire, grâce au magicien Gaiman, qu’un comics débarrassé de violence graphique et exacerbée est possible. Et on ne s’ennuie jamais !
Attention : Black Orchid n’est plus édité en France depuis des années. Avec un peu de chance, vous pourrez peut-être le trouver dans votre bibliothèque de quartier. Sinon il vous faudra le lire en anglais !
3. Sandman (1989-1996 ; 2015 ; 2018-...)
Difficile de résumer en quelques lignes une œuvre aussi ample, aussi complexe que Sandman de Neil Gaiman. À partir d’un personnage créé dans les années 70 par Joe Simon et Michael Fleisher, et dessiné par Jack Kirby, Gaiman tisse une mythologie nouvelle, splendide et poétique, complètement détachée du personnage original. Sandman raconte l’Histoire de Dream (ou Rêve en français), un des sept Eternels, de sa libération de sa prison mystique à ses obsèques. Sandman, c’est aussi l’histoire magnifique d’une famille dysfonctionnelle : celle des Eternels (ou Infinis, suivant la traduction), des frères et sœurs qui remplissent chacun et chacune une fonction dans l’Univers, depuis leur domaine. Ils ont pour nom : Dream, Death, Delirium, Despair, Desire, Destiny et Destruction. Sandman, c’est aussi, enfin, l’histoire de la fiction, puisque s’entrecroisent des récits modernes, dans lesquels on rencontre aussi bien Batman que John Constantine (le personnage créé par Alan Moore dans Swamp Thing), mais aussi la mythologie et la poésie chrétiennes (Lucifer, Caïn et Abel), grecques (Orphée), romaines (Auguste), russes (Baba Yaga), mais aussi japonaises et orientales. Sandman profite également du talent d’une ribambelle de dessinateurs extraordinairement talentueux, dont Dave McKeane (qui signe toutes les couvertures) ou J.H. Howards III (le compère de Moore sur Promethea).
Sandman est sans hésiter le chef d’oeuvre absolu de Neil Gaiman. L’oeuvre dans laquelle le scénariste anglais a jeté toutes ses obsessions, comme dans un gigantesque chaudron. Mais Neil Gaiman est un très grand alchimiste : tout ce qu’il met dans son chaudron se transforme en or brut. Par sa poésie omniprésente, sa mélancolie, sa structure complexe, Sandman est plus que le chef d’oeuvre de Neil Gaiman. Il est aussi un des meilleurs comics jamais paru, un des seuls pouvant jouer dans la même cour que les plus grandes œuvres d’Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta, From Hell ou Providence). Alors que la série est complète en sept tomes, Neil Gaiman est revenu par deux fois. En 2015 d’abord, avec Sandman Ouverture, magnifique prequel racontant les raisons qui ont conduit Dream à être enfermé dans sa prison mystique. Et plus récemment, en août, avec Sandman Universe, un univers partagé que Gaiman chapeaute, sans toutefois occuper la fonction de scénariste (hormis sur le one-shot introductif).
Sandman est publié en France sous la forme de sept intégrales, chez Urban Comics (prix 35 euros par intégrale). Sandman Ouverture, également publié chez Urban Comics, coûte 22,5 euros.
4. Le Premier meurtre (1992)
Adaptation d’une pièce radiophonique de Neil Gaiman par le grand P. Craig Russell (qui a également adapté en BD Coraline, L’étrange vie de Nobody Owens et American Gods), Le Premier meurtre contient tout l’art de Gaiman. Un vieil homme (qui est en fait un ange) raconte à un homme l’histoire du tout premier meurtre de l’Histoire : l’assassinat d’un ange au Paradis. Un récit policier spirituel et intelligent, dans lequel Gaiman s’amuse à enchâsser les histoires comme dans des poupées russes. On retrouve dans Le Premier meurtre toutes les obsessions du magicien Gaiman : le rapport homme / divin, la transmission des histoires, le souvenir, la mélancolie. Le dessin de P. Craig Russell est toujours aussi beau, et met merveilleusement en lumière la beauté de l’ensemble.
Le Premier Meurtre est disponible chez Delcourt pour la modique somme de 15,95 euros.
5. La Dernière Tentation (1994)
Avant de devenir l’un des plus grands scénaristes de comics de l’Histoire, Neil Gaiman était journaliste. Et plus particulièrement journaliste spécialisé dans le rock. Ce métier (purement alimentaire) lui permettra par ailleurs de se faire connaître dans le milieu avec un livre (qu’il préfère oublier) sur le groupe Duran Duran. Toujours est-il que Neil Gaiman est un fan de musique, et de rock de manière générale. Rien d’étonnant donc que Gaiman collabore avec Alice Cooper.
Dans cette BD Marvel (eh oui!), inspirée d'un album d'Alice Cooper, et publiée pour la première fois en France il y a seize ans dans une édition très insatisfaisante, avant d'être rééditée cette année dans une édition magnifique, Gaiman et Cooper racontent l’histoire de Steven, jeune garçon effrayé par tout ce qui bouge, et qui va devoir affronter ses peurs dans le Théâtre des Mystères, suite à sa rencontre avec un étrange forain. Un chef d’oeuvre macabre et méconnu de Gaiman.
La Dernière Tentation est disponible chez Wetta, pour la somme de 30 euros.
6. 1602 (2003)
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un des travaux majeurs de Neil Gaiman (on est loin de l’uppercut Sandman), 1602 reste néanmoins bien plus audacieux et palpitant que la majeure partie de la production de comics de ces dernières années. Dans cette série pour Marvel, Neil Gaiman, profondément choqué par le 11 septembre 2001, transpose l’univers de la Maison des Idées dans l’Angleterre et l’Amérique du XVIIème siècle, afin de chasser gratte-ciels et avions. Ainsi Nick Fury devient-il l’espion sir Nicholas Fury, Stephen Strange le médecin de la Reine Elisabeth Ière et le Professeur Xavier devient le directeur espagnol d’une Ecole pour Gentilshommes.
Le lecteur s’amuse alors à trouver toutes les correspondances entre ces super-gentilshommes et les super-héros modernes, entre les événements relatés et ceux de la continuité Marvel. 1602 est une œuvre terriblement efficace, servie par un Andy Kubert au top de sa forme. Cependant, on se désole de fait que Gaiman ait mis aussi peu de lui-même dans cette série.
Attention : 1602 a enfin été réédité en France le 7 novembre 2018, dans une édition à 75 euros par Panini Comics, regroupant la série originale de Neil Gaiman ainsi que ses deux suites.
Vous avez oublié de dire que la série Lucifer est inspirée du personnage de Lucifer qu'on voir dans le comics SANDMAN.
Il est d'ailleurs crédité au générique et recoit des droits sur la série :)