Quand les créateurs du web prennent les rênes : Fakemon, Pokémon Uranium, Voldemort : Origins of the Heir...
"Et si on écrivait un film sur Voldemort ?". Voilà le genre de questions types qui pourraient être lancées en plein milieu d’une soirée plutôt alcoolisée, pour déconner entre potes. Pourtant, en dépit de quelques verres, avec un minimum de talent et en jouant le coup à fond, cette simple idée peut donner naissance à de véritables œuvres à part entière. Longtemps, elles ont émergé avant d’être aussitôt rangées au fond du triste placard de la démotivation. Mais les choses ont changé sous l’impulsion d’une innovation géniale : internet.
Grace à lui, une flopée de créateurs ont su s’illustrer dans leurs domaines de prédilection de manière délicieusement officieuse. D’une idée balancée avec un sourire au coin des lèvres, ils ont réussi à devenir acteur de franchises qui ont bercé leur enfance. Qu’ils s’improvisent alors mangakas, développeurs ou réalisateurs, ces artistes inédits ont choisi de se la jouer autodidacte, sans lésiner pour autant sur la qualité. Placés sous les projecteurs du web, ils n’ont rien à envier à des professionnels accomplis qui leur sont parfois (souvent ?) hostiles.
Pokémon, une véritable philosophie
Les petites créatures imaginées par Satoshi Tajiri ont bouleversé la culture populaire. Et c’est peu dire. Tout le monde a déjà entendu parler d'un certain Pikachu, alors que le succès des nouvelles générations ne cesse de bluffer l’industrie des jeux vidéo. Dernièrement, la possibilité d’attraper, dans la vie quotidienne, les monstres a rendu dingue les utilisateurs mobiles qui sont descendus dans les rues par millions.
C’est ainsi que, par sa grande influence, Pokémon s’est avéré être une source d’inspiration incontournable sur le web. Des communautés entières se sont regroupées autour d’un même principe, les Fakemon. L’idée est simplissime : les artistes imaginent leurs propre créatures, les dessinent, puis les partagent sur des forums dédiés. En la matière, certains ont même assis une sacrée popularité, comme c’est le cas avec Random 1500 ou Smiley Fakemon’s. Leurs créations ont connu un succès tel que beaucoup ont souhaité les voir intégrer les nouvelles générations. Cependant, Game Freak’s l’éditeur de la franchise, est incorrigible sur le sujet et renonce catégoriquement à voir des artistes indépendants toucher officiellement à ses petits bébés. Et ce, malgré l’immense talent de certains.
Nintendo fronce les sourcils
Si, cependant (et fort heureusement), ces fan-arts sont tolérés sur le net, Nintendo, éditeur omnipotent de la série tape du poing sur la table quand il considère que les fans vont trop loin. Le récent et tout aussi excellent Pokémon Uranium en est l’exemple le plus cinglant.
Le 6 août 2016, ce fan-game est dévoilé après un développement de plusieurs années. Le résultat est plus que convaincant : interface repensée, graphisme rétro et épuré, 150 nouveaux Pokémons et scénario terriblement novateur… Bref, en toute humilité, Uranium se glisse avec assurance au milieu des dernières versions de la saga. L’équipe va même jusqu’à créer un nouveau type, "Nuclear", inspiré de l’histoire (ils ont même offert à Evoli son évolution, Nucleon !). Propulsé très vite sur le net, la néo-notoriété du jeu balaye l’actualité pendant plusieurs jours. La version est tellement réaliste qu’elle parvient à tromper de nombreux joueurs, persuadés qu’il s’agit là d’une nouvelle exclusivité Nintendo.
Et, malheureusement, non, parce que la firme japonaise n’est pas tout à fait de cet avis. Une armée d’avocats se dresse alors face aux développeurs du jeu qui, soucieux d’éviter tout potentiel problème, préfèrent se plier aux exigences de la Pokemon Company. Aussitôt sorti, et malgré son succès colossal (1.5 million de joueurs en quelques jours), Pokémon Uranium est supprimé des plateformes de téléchargement et son site internet est, lui aussi, rayé de la carte. Une éradication prématurée qui a pour conséquence de très sérieusement dissuader d’autres développements indépendants.
Car, évidemment, Nintendo n’en est pas à son coup d’essai en la matière. Un an auparavant, deux fans de la série Zelda, Scott Lininger et Mike Magee, ont offert un lifting complet à The Legend of Zelda, pour les 30 ans de la série. Pourtant, la nouvelle modélisation 3D du jeu n’était, une nouvelle fois, pas au goût des dirigeants japonais qui ont mis dans la foulée la pression aux développeurs pour se plier à leurs exigences. Malgré les 500 000 utilisateurs réunis en quelques jours, le jeu a donc été supprimé en attendant que les deux compères retirent toutes les ressources appartenant à Nintendo… Autant dire, l’intégralité du jeu.
Le septième art n’est pas en reste
Outre les jeux vidéo, la saga Zelda a eu droit à tout un tas d’adaptations plus ou moins illicites. En 2009, c’est le cinéma qui est mis à l’honneur avec le très correct The Legend of Zelda : The Hero of Time. Une fois n’est pas coutume, le studio BMB Finishes, producteur du film, a dû faire avec les restrictions de Nintendo, l’entreprise n’autorisant plus la distribution de l’œuvre à partir du 1er janvier 2010. Résultat : quatre ans de travail pour 6 petits mois de diffusion. Un film, d’ailleurs, très respectable (sûrement meilleur que certaines adaptations de Nintendo !) qui aura connu sa mince heure de gloire avant de se retrouver dans les tréfonds du web.
Dernièrement, c’est toutefois une saga tout aussi prestigieuse qui s’est prêtée à un fan-movie : Harry Potter. Tryangle Film, un studio indépendant s’est attaqué aux origines de Voldemort dans un trailer éblouissant. La bande-annonce Voldemort : Origins of the Heir cumule ainsi, en peu de temps, l’intérêt de millions d’internautes et fait très vite parler d’elle. Plus d’un spectateur est berné par le travail monstrueux des quelques minutes présentées qui n’ont décidément rien à envier aux grosses productions hollywoodiennes. Contrairement à l’ogre Nintendo, la Warner et J.K. Rowling se montrent plus clémentes et laissent, pour l’instant, la production se dérouler.
Tout le monde veut être mangaka
Changement de décor et rendez-vous dans l’Hexagone. Avec la gastronomie, le manga est sûrement l’invention la plus populaire importée du Japon. Mais parce que les occidentaux n’ont toujours pas percé le secret pour réaliser des sushis, ils ont jugé bon de s’essayer aux mangas. Avec réussite.
Et dans l’immense paysage de la bande-dessinée nippone, une semble asseoir une popularité toute particulière : Dragon Ball. L’histoire de ce petit garçon à la queue de singe, qui grandit au fil des épisodes et des sagas, a été exportée dans à peu près tout ce qui été foncièrement exportable. Animés, jeux vidéo, jouets : plusieurs générations ont été bordées au rythme des transformations de San Goku. Et parce que la fin de Dragon Ball Z a laissé un vide immense et que Dragon Ball GT s’est avéré être (pour beaucoup) une déception, certains ont décidé de régler l’injustice avec leurs propres moyens. C’est le cas, par exemple, de Dragon Ball Multiverse.
Traduit dans une vingtaine de langues et comptant une communauté en croissance constante, cette initiative de deux fans français est devenu l’une des extensions d’univers les plus populaires. "Avant de scénariser et créer avec Gogeta Jr, Dragon Ball Multiverse, Salagir tenait un blog sur Dragon Ball et réalisait sa propre fan-fiction : Hanasia, reine des Sayen. Quand Gogeta Jr lui a proposé de collaborer, Salagir au scénario, Gogeta Jr au dessin, il accepta et ce fut le début de l’aventure" explique l’un des collaborateurs du projet.
Mais malgré l’amplitude importante de l’ébauche, aucun lien n’est établi avec l’équipe de Toryama, l’indétrônable auteur de la saga. "Il n’y en aura pas, poursuit-il. Pour un non-japonais, c’est quasi mission impossible. Encore plus pour un non-japonais ne vivant pas au Japon. Après est-ce qu’ils en ont déjà entendu parler ? Peut-être, peut-être pas. Mais nous ne le saurons pas, et ce n’est pas grave."
De l’extension à l’inspiration
Cependant, il y a quelques années, alors que Dragon Ball Multiverse s’était déjà implanté sur la toile, Toryama a décidé de reprendre son crayon pour offrir une suite à DBZ : Dragon Ball Super. Si les premiers épisodes ont repris l’histoire des deux films sortis précédemment, le scénario de Super a très vite interpellé les fans de Multiverse. En effet, Toryama a choisi d’incorporer dans son histoire l’idée d’un tournoi multi-univers. Interrogé à ce sujet, le collaborateur du projet explique cependant que la coïncidence les a "amusé", mais qu’ils n’ont pas souhaité y "accorder de crédit". Toutefois, personne ne saura jamais si DMB a inspiré, ou non, Toryama.
Quoiqu’il en soit, l’univers Dragon Ball se montre non seulement clément envers ses fans, mais n’hésite pas à leur souscrire une véritable importance. C’est ainsi que l’éditeur Shûeisha a récemment fait appel à DragonGarrowLee, un auteur de fan-arts, pour monter le projet Dragon Ball Gaiden – Tensei Shitara Yamcha Datta Ken. Spin-off de la série, ce court manga d’une trentaine de pages place en son centre Yamcha, l’un des personnages moqués de la série.
S’inscrit alors la double perception de ces œuvres nées de l’imagination des fans. Les garants des droits d’auteurs ont deux manières, strictement opposées, d’appréhender le problème. Soit, ils considèrent que ces réalisations font de l’ombre à la matière originale, auquel cas, ils n’hésiteront pas à mettre la pression sur les créateurs. Soit, au contraire, ils se décident à leur accorder du crédit, en les intégrant officiellement dans leur univers, ou alors, en s’en inspirant.
Dans tous les cas, ces fan-projects ne peuvent apporter que du positif. Puisque même si les détenteurs originaux venaient à renier les œuvres de fans, ils prendront forcément conscience qu’il y a sûrement un espace dans lequel s’engouffrer. Qui sait, peut-être que dans quelques années, Nintendo donnera vie à Link et Zelda dans les salles obscures tandis que J.K. Rowling se penchera sur le préquel tant attendu des origines de Voldemort.