Dix grands réalisateurs et leurs acteurs fétiches
Depuis que Martin Scorsese a annoncé qu'il était en train de tourner un nouveau film avec Robert De Niro et Leonardo DiCaprio (Killers of the Flower Moon, adaptation du remarquable livre historique La Note américaine du journaliste David Grann), les cinéphiles ne tiennent plus en place ! Cette nouvelle d'une dixième réunion entre Scorsese et De Niro nous a donné envie de rendre hommage à ces grands réalisateurs qui ont un acteur fétiche.
1 - Sergio Leone & Clint Eastwood
Aujourd'hui auréolé de succès divers en tant que réalisateur (Million Dollar Baby, Gran Torino, Invictus, Impitoyable, La Mule, American Sniper, L'échange, Lettres d'Iwo Jima), on a tendance à oublier quel acteur formidable est Clint Eastwood. Tellement formidable, qu'il est devenu l'acteur fétiches de réalisateurs talentueux. A commencer par lui-même, bien sûr (puisqu'il s'est tout de même mis vingt-cinq fois en scène). Mais aussi de Sergio Leone, avec qui il a réalisé les trois films de La Trilogie du Dollar : Pour une poignée de dollars, Pour quelques dollars de plus et Le Bon, la Brute et le Truand. Trois films qui sont au firmament du western-spaghetti, et qui ont consacré à la fois la carrière de Sergio Leone et celle de Clint Eastwood. Ne serait-ce que pour Clint, lançant : "Tu vois, le monde se divise en deux catégories. Ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses." Si ce duo réalisateur-acteur n'est pas l'un des plus productifs du Septième Art, il n'en demeure pas moins un des plus mythiques, un des plus admirés.
2 - Bong Joon-ho & Song Kang-ho
Quand on est le plus grand réalisateur sud-coréen (avec Park Chan-wook), il faut savoir bien s'entourer. Et Bong Joon-ho a bien su le faire, avec son ami de longue date, Song Kang-ho, qui est aussi (comme quoi le hasard fait bien les choses) l'acteur fétiche de Park Chan-wook. Présent dès le premier film de Bong Joon-ho, Memories of Murder, sorti en 2003, dans lequel il campe un flic lancé à la poursuite d'un serial-killer, Song Kang-ho rivalisera de charisme et d'espièglerie dans ses films suivants, The Host et Snowpiercer, avant le miracle Parasite. Parce que Bong Joon-ho sait tout réaliser (du moment qu'il y a une critique sociale), et que Song Kang-ho sait absolument tout jouer, les deux compères forment un des plus grands duos de l'Histoire du Cinéma.
3 - Martin Scorsese & Robert De Niro
Leurs retrouvailles dans The Irishman avait été un des grands événements de l'année 2019 au cinéma. Il faut dire que le duo Martin Scorsese / Robert De Niro est sans aucun doute le duo le plus mythique du cinéma hollywoodien. Jalon essentiel du cinéma scorsesien, Robert De Niro a su offrir ce qu'il fallait de charme impertinent à Scorsese, dès son apparition dans Mean Streets. Par la suite, De Niro a su épouser à la perfection les différentes aspérités et complexités du riche cinéma de Martin Scorsese, du vétéran psychotique de Taxi Driver au gangster quasi-divin de Casino, en passant l'amoureux jaloux de la comédie musicale New York, New York et le clown raté de La Valse des Pantins. Avec Killers of the Flower Moon, Martin Scorsese et Robert De Niro signeront leur dixième collaboration. Et seront accompagné, cette fois, de l'autre muse de Martin Scorsese : Leonardo DiCaprio.
4 - Tim Burton & Johnny Depp
Avant de devenir un réalisateur adulé pour son univers gothique au charme aussi inquiétant qu'envoûtant, Tim Burton était un réalisateur apprécié pour son ton unique. En trois films seulement, Pee-Wee Big Adventure, Beetlejuice et Batman, Tim Burton avait affirmé son style, à la croisée des nouvelles d'Edgar Allan Poe et du cinéma expressionniste allemand, de l'animation en stop-motion de Don Chaffey (Jason et les Argonautes) et du meilleur du cinéma d'horreur de la Hammer. Un style soluble qui plus est dans des blockbusters à gros budget. On a d'abord cru, avec Beetlejuice et Batman, que son cinéma s'incarnerait en la personne de Michael Keaton, mais il ne retrouvera l'acteur de ses premiers succès que pour Batman, le défi en 1992 et Dumbo en 2019. Non pas par désamour, mais parce que Burton a rencontré celui qui incarnerait avec le plus de corps la folie fiévreuse et fragile de son univers poético-gothique : Johnny Depp. Dès Edward aux mains d'argent en 1990, c'est le coup de foudre, entre le réalisateur et son acteur. Le début d'une bromance et d'une collaboration longue de huit films, Depp accompagnant Burton dans ses meilleurs films (Edward aux mains d'argent, Ed Wood, Sleepy Hollow, Les Noces funèbres). On remarquera cependant que depuis Dark Shadows en 2012, les chemins du réalisateur génial et de son acteur fétiche se sont séparés. Quelle peut en être la raison ? Plusieurs hypothèses. Tout d'abord, il est vrai qu'à force, Johnny Depp faisait du Johnny Depp, et Burton se contentait de faire du Burton, rendant quasi-caricaturaux leurs travaux communs, comme ce fut le cas avec Alice au Pays des Merveilles et Dark Shadows (qu'on apprécie cependant pour d'autres qualités inhérentes à ces deux oeuvres). Comme si leur collaboration était devenue une machine, qui tournait à vide. Un système qu'il suffisait de copier et de coller, aussi simplement qu'un Ctrl-C, Ctrl V. Peut-être également que les frasques personnelles et judiciaires de Johnny Depp ont pu refroidir les producteurs de Tim Burton, empêchant ainsi leur collaboration de perdurer. On peut supposer enfin que Burton a trouvé une nouvelle muse, en la personne d'Eva Green, qu'il a fait tourner dans Dark Shadows, Miss Peregrine & les Enfants Particuliers et Dumbo. A moins, bien évidemment, que la collaboration entre Burton et Depp soit appelée à perdurer, après une pause de quelques années, le temps de se ressourcer, et de revenir à l'assaut avec la même pertinence et la même ambition artistique qui les avaient touchés dans les années 90.
5 - Ridley Scott & Russell Crowe
Le cas de Ridley Scott et de Russell Crowe est peut-être le plus complexe de cette sélection. Parce que si l'auteur de ces lignes considère Ridley Scott comme un des plus grands réalisateurs de l'Histoire, malgré le fait qu'il ne sache pas toujours reconnaître un bon scénario d'un mauvais, son cas diffère des autres réalisateurs sur deux points. Tout d'abord, Ridley Scott a toujours, majoritairement, réalisé des oeuvres de commande. Ensuite, contrairement à Scorsese, à Tarantino, aux frères Coen, à Burton ou alors à Nolan, il ne s'est pas véritablement forgé de famille artistique, qu'il retrouve à chaque projet ou presque. Rares sont les acteurs qui ont tourné plusieurs fois devant sa caméra. Il y a bien eu Michael Fassbender (Prometheus, Cartel, Alien : Covenant), Matt Damon (Seul sur Mars, The Last Duel, qui est le prochain film de Ridley Scott) et Brad Pitt (Thelma et Louise, Cartel). Mais on peut difficilement parler d'acteurs fétiches... Ridley Scott est un réalisateur particulièrement misanthrope, comme l'a expliqué brillamment notre confrère Simon Riaux, le rédacteur en chef d'Ecran Large. Peut-être que sa misanthropie l'empêche de créer une famille artistique. A moins que réalisant presque exclusivement des oeuvres de commandes l'empêche de trouver un acteur pouvant incarner son oeuvre. Pourtant, il y en a eu un, d'acteur. Un très grand, qui plus est. Russell Crowe. Avec Gladiator, leur première collaboration, l'un et l'autre signent leur plus grand film. Mais une question demeure : pourquoi Russell Crowe ? Qu'ont en commun le général romain devenu gladiateur, l'amoureux transi de Marion Cotillard dans Une grande année, le flic honnête luttant contre Frank Lucas dans American Gangster, le chef de la CIA de Body of Lies et Robin des Bois ? Une certaine force, qu'on retrouve autant dans la carrure de Russell Crowe que dans sa voix grave et caverneuse. Une certaine force qui lui donne autorité. Mais que trahit la tristesse lucide de son regard. Et c'est peut-être ces deux pôles supposément opposés, mais pourtant parfaitement complémentaires, qui ont su attirer Ridley Scott. Après Robin des Bois, les deux compères n'ont plus tourné ensemble. Peut-être par peur d'être condamné à toujours faire la même chose.
6 - Christopher Nolan & Michael Caine
Comme Martin Scorsese, Quentin Tarantino, Tim Burton ou encore les frères Coen, Christopher Nolan est de ces réalisateurs qui se sont forgé une famille au cinéma. Ce qui n'est pas anodin, venant de quelqu'un qui a souvent collaboré avec son propre frère, Jonathan Nolan (futur créateur de Westworld, le chef d'oeuvre de la chaîne HBO). Côté acting, on retrouve régulièrement Christian Bale (la trilogie The Dark Knight, Le Prestige), Cillian Murphy (trilogie The Dark Knight, Inception, Dunkerque) ou encore Tom Hardy (The Dark Knight Rises, Inception, Dunkerque). Mais s'il y a bien un nom devenu quasi-indissociable de celui de Nolan, c'est celui de l'acteur Michael Caine. Apparu dans la galaxie Nolan dans la trilogie The Dark Knight, dans laquelle il interprète le rôle d'Alfred, on le retrouvera ensuite dans Le Prestige (il y joue l'ingénieur de Hugh Jackman), Inception, Interstellar, et on le retrouvera prochainement dans le nouveau film de Christopher Nolan : Tenet. S'il n'a jamais le rôle principal, et peut même être réduit au simple caméo (comme dans Dunkerque, dans lequel il est réduit à l'état de caméo vocal), Michael Caine nous apparaît pourtant comme la colonne vertébrale du cinéma de Christopher Nolan. Avec ses rôles de vieux sage, il permet au cinéma de Nolan d'être toujours solidement accroché à sa dimension didactique, que vient menacer une dimension SF à grand spectacle.
7 - Les frères Coen & John Goodman
On aurait pu tout aussi parler de John Turturro (Miller's Crossing, Barton Fink, The Big Lebowski, O'Brother), Steve Buscemi (Fargo, Barton Fink, Miller's Crossing, Le Grand Saut, The Big Lebowski) ou George Clooney (O'Brother, Intolérable Cruauté, Burn After Reading, Ave César !) pour évoquer le cinéma des frères Coen. Pourtant, il nous a semblé que John Goodman (Arizona Junior, Barton Fink, Le Grand Saut, The Big Lebowski, O'Brother, Inside Llewyn Davis) était un meilleur candidat. Présent dès le second film des deux frères, il semble, avec sa voix grave et caverneuse, et sa corpulence (c'est un géant !), tout sorti de l'imagination des frères Coen. D'ailleurs, jamais les dialogues des deux frères n'ont eu autant de goût que dans sa bouche ! Il suffit, pour s'en convaincre, de se souvenir de son petit rôle dans Inside Llewyn Davis, où l'acteur apparaît à peine trois minutes à l'écran, mais sans aucun doute les trois meilleures minutes d'un des plus grands chefs d'oeuvre des frères Coen. L'acteur, et les personnages qu'il a interprétés, sont tellement ancrés dans la tête des fans des frères Coen, que dans la saison 2 de Fargo, un personnage semble profondément inspiré par John Goodman, pourtant absent du film original.
8 - Quentin Tarantino & Samuel L. Jackson
Habitué aux collaborations au long-cours, Quentin Tarantino prend un malin plaisir à rappeler ses acteurs fétiches d'un film à l'autre (Michael Madsen, Tim Roth, Bruce Dern, Kurt Russell, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Brad Pitt, Uma Thurman, Harvey Keitel, Walton Goggins, etc). Appeler les mêmes acteurs est pour Tarantino à la fois un plaisir de réalisateur, qui apprécie tourner avec des personnes qu'il affectionne, mais aussi une intention artistique, créant plus de liens entre les différents films de sa filmographie. Mais s'il fallait désigner un acteur fétiche pour Quentin Tarantino, ce serait sans aucun doute Samuel L. Jackson. Déjà, parce qu'il est celui qui est apparu le plus de fois au générique des films de Tarantino : Pulp Fiction, Jackie Brown, Kill Bill vol. 2 (il y joue Rufus), Inglourious Basterds (il fait la voix off), Django Unchained, The Hateful Eight. Ensuite, parce que plus qu'aucun autre acteur, il est celui qui parvient à saisir avec le plus d'efficacité toute la musicalité des dialogues écrits par Quentin Tarantino. Un duo légendaire, assurément !
9 - Wes Anderson & Bill Murray
Présent dans tous les films de Wes Anderson depuis Rushmore, le second long-métrage du réalisateur américain sorti en 1998, Bill Murray est indissociable du travail du travail d'Anderson. On l'a successivement retrouvé dans Rushmore, La famille Tenenbaum, La Vie Aquatique, A bord du Darjeeling Limited, Fantastic Mr. Fox, Moonrise Kingdom, The Grand Budapest Hotel et L'Île aux Chiens. Et, sans surprise, il sera également présent dans le prochain métrage de Wes Anderson, le très attendu The French Dispatch. (Pour information, il sera accompagné, entre autres, de Frances McDormand, Jeffrey Wright, Tilda Swinton, Adrien Brody, Benicio Del Toro, Owen Wilson, Léa Seydoux, Timothée Chalamet, Saoirse Ronan, Mathieu Amalric, Liev Schreiber, Elisabeth Moss, Edward Norton, Willem Dafoe, Christoph Waltz, Cécile De France, Guillaume Gallienne. Rien que ça !) On peut comprend l'importance que revêt Bill Murray dans la vision artistique de Wes Anderson. Tout d'abord, Bill Murray est un acteur de comédies. Un des plus grands, qui plus est ! Ensuite, et surtout, il colle à la perfection avec le style rêveur, lunaire et poétique du réalisateur.
10 - David Cronenberg & Viggo Mortensen
La filmographie de David Cronenberg est difficile à percer à jour. On dirait un organe vivant, avec sa propre logique, son propre fonctionnement. Ses films sont, au mieux dérangeants, au pire terrifiants (ou l'inverse, selon les sensibilités de chacun). Pendant toute la première partie de sa filmographie, qui va de Stereo et à Spider, on aurait du mal à trouver un acteur fétiche de David Cronenberg... Peut-être Jeremy Irons, qui est apparu dans Le Festin nu et M. Butterfly, mais peut-on parler d'acteur fétiche avec seulement deux films à son actif ? Mais avec A History of Violence, Cronenberg semble opérer un changement dans sa filmographie. Plus ancré dans le réel, son cinéma n'en est pas moins brutal. Il est seulement moins organique. A History of Violence est un véritable chef d'oeuvre, qui signe la première collaboration entre Cronenberg et Viggo Mortensen, dont l'interprétation hypnotique révèle toute l'étendue de son talent magistral. Le miracle fonctionne à nouveau dès le film suivant, Les Promesses de l'Ombre, un des meilleurs films de gangsters de l'Histoire, scénarisé par Steven Knight (futur créateur de la géniale série Peaky Blinders). Là encore, Viggo Mortensen fait des merveilles, avec une scène de baston dans les vestiaires parmi les plus physiques des vingt dernières années. Plus calme, A Dangerous Method voit s'affronter Viggo Mortensen à Michael Fassbender. Mais ici pas d'hémoglobine. Seulement une bataille idéologique, entre les deux pères de la psychanalyse. On comprend dès lors tout l'intérêt que revêtait la collaboration de ces deux monstres sacrés du cinéma : David Cronenberg utilisait l'énorme talent de Mortensen pour ancrer son cinéma dans le réel, et montrer que la monstruosité ne dépendait pas seulement de l'aliénation des corps par les machines, mais plutôt dans la psyché humaine, l'interprète d'Aragorn dans la trilogie Le Seigneur des Anneaux étant un acteur à la fois physique et aux silences quasi-mystiques. Quant à Viggo Mortensen, il a pu voir en David Cronenberg une porte de sortie, afin de ne pas être enfermé dans une cage, celle de l'acteur abonné aux rôles de gentils chevaliers.