Depuis octobre 2017, et l’explosion dans les médias et les réseaux sociaux de l’affaire Weinstein, puis l’apparition du mouvement #MeToo qui a suivi ce scandale, la lutte féministe n’a jamais été aussi visible, aussi palpable. Il semblerait que dans la conscience collective, les apparitions successives de ce scandale et de ce mouvement soit gravées dans l’Histoire du féminisme. Comme tout mouvement de grande ampleur, comme toute prise de conscience collective, ces deux événements ont engendré une flopée de conséquences : accusations, aveux, prises de positions d’artistes et d’inconnus, mesures, débats. Face à ce gigantesque remue-ménage, je m’interroge. Non pas sur la légitimité du mouvement et de cette prise de conscience collective (que je trouve indéniablement louables), mais sur les conséquences qu’ils ont sur notre culture. Avant d’aller plus loin dans ce dossier, je tiens néanmoins à faire quelques précisions. Tout d’abord, j’essaierai d’être le plus objectif possible, sans jamais juger une affaire en cours : je ne suis pas juge, je suis rédacteur. Et cela desservirait sans doute mes propos que de parler de choses que je ne connais pas. Ensuite, il est possible que vous soyez en désaccord avec moi. Sachez cependant que cet article reflète mes réflexions personnelles, et non pas celles de l’ensemble de l’équipe d’Hitek.
Hollywood et le droit des femmes
Outre le nombre d’accusations incroyablement élevé d’agressions, violences ou harcèlements sexuels qui ont déferlé dans les journaux (Harvey Weinstein, Woody Allen, Kevin Spacey, et plus récemment Morgan Freeman), il semblerait que Hollywood cherche à changer son image, grâce à certaines mesures.
Depuis le mois de janvier 2018 (et plus précisément depuis le 23 janvier, si l’on en croit les informations relayées par le site Les Inrockuptibles), un document anonyme invite les travailleurs du cinéma à partager ouvertement certaines informations : leur sexe, leur religion, leur nationalité et… leur salaire. Ce document, que se partagent ces acteurs de la culture hollywoodienne, visait à démontrer que les inégalités salariales étaient discriminatoires. Deux tendances ont donc été remarquées : les hommes gagnent plus que les femmes ; les travailleurs à la peau blanche gagnent plus que les afro-américains.
Les hommes et les femmes gagnent-ils des salaires différents à Hollywood ? Loin de douter de ces informations, j’ai néanmoins voulu les vérifier, car des chiffres me semblent bien plus parlants. Voici les informations que j’ai trouvées, relayées par le célèbre magazine Forbes, sur les dix acteurs et les dix actrices les mieux payées de l’année 2017.
Quelques remarques, pour commencer. D’après ces chiffres, il est évident que les acteurs sont mieux payés que les actrices. L’acteur le mieux payé du monde est 2,6 fois mieux payé que l’actrice la mieux rémunérée du monde. Plus édifiant encore, le dernier du classement est payé 1,6 fois plus que l’actrice la mieux payée au monde.
Bien. Mais que faire maintenant de ces chiffres ? Comment expliquer que les hommes soient toujours mieux payés que les femmes, même à Hollywood, capitale culturelle mondiale ? Comment interpréter ces chiffres ? Attention, je ne cherche aucune justification à ces inégalités, que je trouve rétrogrades. J’essaie uniquement de les comprendre. Parce que je considère que les désigner n’est pas suffisant, si nous ne faisons pas l’effort d’y réfléchir.
Donc, comment expliquer ces différences salariales ? Pour répondre à cette question, j’ai essayé de compter les blockbusters et films à très grand public de chacun de ces acteurs, afin de voir si cela pouvait jouer sur cette inégalité des salaires entre les genres. Car, vous conviendrez que plus un acteur ou une actrice joue un rôle principal dans des blockbusters, plus grandes sont les chances que son cachet annuel soit élevé. Dans le tableau suivant, pour chaque acteur et actrice de la sélection relayée par Forbes, hormis les trois derniers acteurs (par manque de données : ce sont des acteurs boolywoodiens, et mes connaissances dans ce domaine sont proches de zéro), j’ai essayé d’énumérer les films dans lesquels ils ont joué en 2017, les gains qu’ont rapportés ces films au box-office mondial et le nombre de blockbusters dans lesquels ils tenaient un rôle majeur, pour voir si ces éléments sont déterminants dans ces inégalités.
Si on prend en compte les gains engendrés par les films des acteurs les mieux payés du monde (hormis ceux d’Adam Sandler, puisqu’on ne peut les calculer, étant donné qu’il travaille aujourd’hui exclusivement pour un service de VOD), on obtient une moyenne de 1 387 084 753 dollars, pour un salaire moyen de 55 700 000 dollars. Si nous faisons les mêmes calculs pour les actrices les mieux payées du monde, alors on obtient une moyenne de gains de 581 955 206,8 dollars pour un salaire moyen de 17 200 000 dollars.
Maintenant, nous pouvons faire (je pense) quelques conclusions et hypothèses. Tout d’abord, on pourrait aisément imaginer la logique des studios : les films dans lesquels les hommes tiennent le rôle principal semblent engendrer plus d’argent. Donc, les salaires des hommes sont plus élevés. Ensuite, cela montre en vérité où se trouve le véritable problème. Les femmes sont sous-représentées dans les blockbusters. Ils sont rares les blockbusters où les femmes tiennent le rôle principal. Ils existent, bien sûr (Wonder Woman, Hunger Games, Red Sparrow, Prometheus, etc), mais ils restent trop peu nombreux. Ce n’est pas qu’une question d’inégalité salariale (qui, au vu de ma démonstration, est une conséquence, un symptôme), mais au contraire, un problème de confiance. Pendant des décennies, le système hollywoodien a reposé sur le succès de films où l’acteur tenait le rôle du héros. Et cette frilosité dans le don de rôles majeurs aux femmes dans les blockbusters en est une conséquence. Mais les choses ne sont-elles pas en train de changer ?
Woman Strikes Again
Depuis quelques années, il semblerait que les femmes occupent une place de plus en plus prépondérante dans les fictions de genre. Alors qu’ils s’agissait avant de cas isolés, il semblerait que cela se transforme en tendance. Bien sûr, le chemin à faire pour avoir une juste représentation de la femme au cinéma et au petit écran est encore long. Mais les choses avancent, quoiqu’on en pense.
Pour commencer, plusieurs séries semblent mettre en avant des femmes fortes, et ancrer leur intrigue autour de ces personnages. Game of Thrones et son florilège de femmes devenues puissantes au terme d’innombrables souffrances (Daenerys Targaryen, Cersei Lannister, Arya et Sansa Stark) n’est qu’une série parmi tant d’autres. On pourrait tout aussi bien citer Westworld, l’autre série phare de HBO (avec ses androïdes rebels, menés d’une main de fer par Dolorès, ou encore Maeve). Ou encore The Handmaid’s Tale, série qui a fait trembler l’Amérique de Trump, et dont l’anticipation visionnaire porte en elle les germes d’une révolution (une série profondément féministe qui racontre les prémices de la révolution des esclaves sexuelles contre les représentants de la République de Gilead).
The Handmaid’s Tale
J’observe que, plus qu’au cinéma, c’est au petit écran que les actrices trouvent des rôles de premier plan. Je ne nie absolument pas leur présence dans les films à grand spectacle ; néanmoins, il me semble que cette présence est avant tout notable dans les séries TV. Depuis quelques années, la chaine HBO semble en avoir fait un de ses principaux chevaux de bataille : Game of Thrones, Westworld, Big Little Lies, Veep, The Deuce, etc.
Plus important, la télévision semble donner les rênes de séries de genre (western, fantasy, SF) à des personnages féminins, alors que traditionnellement, ces genres étaient presque exclusivement représentés par des personnages masculins. Résultat, plusieurs chefs d’oeuvre, comme Godless (western féministe produit par Netflix), Jessica Jones (série super-héroïque) ou Game of Thrones (fantasy violente dont la septième saison mettait en exergue la confrontation entre deux femmes puissantes) sont de parfaits exemples à mes propos.
Comme nous le disions plus haut, si ces percées féminines se font en priorité dans des séries TV, cela n’empêche pas le cinéma de genre de tenter, lui aussi (peut-être à un rythme moins régulier), de redorer la place de la femme au sein des intrigues.
Ainsi, le studio Disney, qui a longtemps été critiqué par la vision qu’il donnait des femmes à travers ses princesses stéréotypées, offre aujourd’hui une vision plus en accord avec son temps. Finies les princesses attendant le Prince Charmant pour les délivrer de leur profond sommeil ! Dans leurs films d’animation, elles sont fortes, elles agissent, et restent maîtresses de leur destin. Si cette transformation était déjà notable à l’époque d’Aladdin (Jasmine refusant systématiquement ses prétendants) ou Pocahontas (on se souvient des paroles de la chanson Au détour de la rivière), elle l’est encore plus depuis La Princesse et la Grenouille. Le nouveau standard de la princesse Disney est une femme libérée, délivrée. Mais cela se ressent également dans les autres productions du studio. Alors que les films Star Wars racontaient avant tout, et ce malgré la présence de la charismatique Princesse Leia, les aventures de personnages masculins puissants (Anakin et Luke Skywalker), Disney / LucasFilms ont choisi de raconter le destin d’héroïnes (Rey pour Le Réveil de la Force, Les Derniers Jedi et le futur épisode IX, et Jyn Erso dans Rogue One : a Star Wars story). Si Solo : a Star Wars story racontait les aventures du célèbre contrebandier, là encore, la licence reprise par Disney montrait à voir des personnages féminins puissants et hauts en couleur : Qi’ra (interprêtée par Emilia Clarke), Val et Enfys Nest. Même chose chez Marvel (autre licence Disney). Alors que les femmes semblaient un peu en retrait, depuis Avengers : L’ère d’Ultron, les voilà au premier plan. On ne parle pas du personnage de la Veuve Noire, que joue Scarlett Johanson, mais de personnages comme la Sorcière Rouge, qui fait partie des Avengers les plus puissants. Cette nouvelle dynamique semble même pousser le studio à faire du personnage de Captain Marvel le personnage clé de la lutte contre Thanos, le principal antagoniste du Marvel Cinematic Universe, comme le dévoile la scène post-générique d’Avengers : Infinity War. Est-ce dû au franc succès de Wonder Woman et du personnage d’Harley Quinn dans Suicide Squad de la Warner ? Je pense qu’il s’agit d’une dynamique beaucoup plus ancienne, concernant Disney.
Ainsi, le studio tente de changer son image grâce à de nouveaux personnages féminins puissants. Peut-être même que le studio essaie d’être avant-gardiste dans cette lutte de représentation de la femme – véritable nœud du problème du cinéma hollywoodien. Mais n’y a-t-il pas des moments où cette envie de bien faire donne naissance à des choix regrettables ?
Quelques choix regrettables
Comme nous venons de le voir, les choses évoluent, et vont souvent dans le bon sens. Néanmoins, il arrive parfois que ces efforts, pourtant louables, donnent quelque chose de regrettable, de contre-productif.
Il y a quelques jours, le studio Disney a sorti la deuxième bande-annonce de son prochain grand film d’animation : Ralph 2.0, suite des Mondes de Ralph. À la fin de la bande-annonce, Vanellope rencontre la totalité des Princesses Disney, de Blanche-Neige à Elsa, qui l’interrogent : "Est-ce qu’on t’a empoisonnée ? Ensorcellée ? Enlevée et séquestrée ? Est-ce que les gens pensent que tous tes problèmes se sont réglés parce qu’un homme fort et puissant a surgi dans ta vie ?" S’il est vrai que cet extrait est aussi hilarant qu’intéressant (car il témoigne de cette prise de conscience de Disney sur ses personnages féminins), il n’en demeure pas moins qu’il me dérange sur un point : je ne peux m’empêcher de penser (mais peut-être ai-je tort?) que Disney renie ses classiques pour coller aux idéaux de notre époque. Or je trouve dommageable qu’un studio renie ses anciens chefs d’oeuvre pour ces raisons. Parce que c’est, je trouve, sous-estimer l’intelligence des jeunes filles, que de leur donner une critique pré-mâchée de l’image de la femme. Ne vaut-il pas mieux les laisser s’en rendre compte par elles-mêmes ? Disney est-il obligé de casser la magie de ses films enfantins par un sous-texte métatextuel aussi éditorialiste ? On peut débattre.
Il existe une autre tendance, que je trouve est dommageable. Il s’agit de la féminisation de personnages masculins. Cela s’est profondément ressenti à une époque, notamment avec les personnages de comics. Ainsi a-t-on pu voir naître des personnages tels que She Hulk ou Lady Deadpool, entre autres. Ces personnages, qui ont pour conséquence de décridibiliser les univers auxquels ils appartiennent, ont été créés afin de satisfaire un public féminin de plus en plus fréquent, mais aussi afin de conquérir de nouvelles lectrices. Pourtant, il me semble que c'est un trait assez symptomatique d’une certaine paresse créative. Plutôt que de féminiser des personnages, que ce soit dans des comics ou dans des films (comme le remake féminin SOS Fantôme), il est primordial de créer de nouveaux personnages féminins. Faire de James Bond une femme (comme le stipule régulièrement certaines rumeurs) aura un impact beaucoup moins appréciable que la création d’un agent-secret original, nouveau et féminin.
Par jeanLucasec, il y a 6 ans :
Très très intéressant !
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