Japon : 3 fois où la sexualité a marqué l'histoire

28 mai 2021 à 9h18 dans Histoire

Le Japon est un pays dont les us et coutumes singuliers peuvent surprendre. Un des aspects les plus marquants est celui de la sexualité. En effet, les plaisirs charnels ont occupé une place importante dans l'histoire du pays, dont certaines pratiques sont désormais bien connues. Nous pensons notamment au wakashudo, qui permettait aux samouraïs et moines d'entretenir une relation intime avec de jeunes hommes adolescents - une pratique expliquée en détail dans notre dossier consacré aux samouraïs. Dans cet article, nous vous proposons d'explorer la sexualité au Japon à travers trois prismes différents : la religion, le mariage et les concubines de l'empereur.

sexe et religion : les préceptes de l'école tachikawa-ryu

Fondée par le prêtre Ninkan, l'école de Tachikawa émane du Bouddhisme Shingon, qui constituait l'une des écoles bouddhistes majeures du Japon au XIIème siècle. Ce dernier fut exilé dans la ville de Tachikawa qui lui donna son nom. Dans son approche, Ninkan se base sur les principes du Bouddhisme Shingon : utiliser l’énergie pour contrôler les forces cosmiques et surnaturelles, puis atteindre l’éveil spirituel à travers des rites. L’école de Tachikawa s’y conforme, à l’exception qu’elle choisit d’accorder une grande importance à l’énergie sexuelle, la rattachant de ce fait aux préceptes du Tantrisme, et plus spécifiquement le tantrisme de la main droite. 

Le sexe était à ce titre une composante importante de la vie spirituelle et religieuse, au-delà de la simple fonction procréatrice. Le Tantrisme perçoit le monde dans une approche dualistique : il aurait été créé par l’union d’un homme (le yang) et d’une femme (le yin). Cette dualité est donc matérialisée concrètement par la pratique physique des rites sexuels. L’un des textes phares de l’école de Tachikawa est connu sous le nom de Sutra of Secret Bliss – le Sutra (précepte) du Bonheur Secret – qui contient des enseignements généraux concernant les pratiques sexuelles. Un fait intéressant est la manière dont celles-ci y sont décrites au moyen d’un vocabulaire poétique, voire métaphorique. En voici quelques exemples :

  • L’Assemblée des Fleurs du Dragon : l’éjaculation masculine
  • La Laque de Diamant : l’éjaculation féminine
  • L’Accomplissement de tous les serments : l’une des 48 positions rituelles
  • Le Bijou Magique du Dharma : le clitoris
  • Le Cri du Lion : les orgasmes

Un passage du texte exprime clairement l’importance des relations sexuelles :

Pour expérimenter le Grand Bonheur, un homme et une femme doivent s’unir. La libération ne peut être réalisée que par l’acte d’amour sexuel. La relation sexuelle entre un homme et une femme est l’activité suprême de Buddha. Le sexe est la source du plaisir intense, la racine de la création, nécessaire pour n’importe quel être vivant, et un acte de vénération naturel.

Cet extrait résume le principe fondamental des enseignements de l'école de Tachikawa : le Buddhatva (stade "pleinement éveillé" correspondant à l'infinie compassion, la sagesse et à la libération) peut être atteint grâce à des actes sexuels entre deux partenaires motivés et expérimentés. Ses adeptes considèrent que l'oubli de soi et de son égo qui intervient pendant l'acte mène à l'éveil spirituel, puis la révélation au moment de l'orgasme. Faites l'amour, pas la guerre.

polygamie, consanguinité : des mariages pas comme les autres

A l’époque de l’établissement du pouvoir impérial – période Asuka du VI au VIIème siècle – polygamie et mariages consanguins étaient tout à fait communs dans les familles princières et impériales. Il était également possible de se marier entre frères et sœurs, tant qu’ils ne partageaient pas une mère commune. A titre d’exemple, l’empereur Tenmu s’est marié avec les filles de son frère aîné (Tenji). L’une de ses filles a fini par lui succéder, devenant ainsi l’impératrice Jitô. Son propre fils, le prince Kusakabe, a quant à lui épousé une des filles de Tenji : en d’autres termes, sa propre tante. Un joyeux bordel !

Un autre type de mariage était également pratiqué dans les hautes familles jusqu’à la période Heian (XIIème siècle) : le tsumadoi-kon, qui désigne un mariage dans lequel l’épouse continuait de vivre chez ses parents. C’était alors au mari de la visiter, et la famille maternelle élevait l’enfant. S’il était polygame, il répétait l’opération dans la maison de chacune de ses femmes. Ce n’est qu’une fois un haut statut social et financier atteint qu’il pouvait établir sa maison personnelle, et y inviter sa ou ses différentes familles pour y vivre. Sacrée colocation !

les concubines : la folle histoire des maîtresses de l'empereur

Les concubines font partie intégrante de la monarchie japonaise. Maîtresses de prime abord, on les appelait également metake : un surnom évocateur de leur rôle, puisque cela signifie "utérus d'emprunt". On comprend aisément que le féminisme était encore un concept étranger ! Les concubines étaient sélectionnées parmi les nobles, et rassemblées dans l'ooku - le domaine privé du palais, dans lequel elles vivaient réunies. Au-delà même de la notion de plaisir charnel, elles étaient garantes de la continuité de la lignée de l'empereur. Kenneth Ruoff, historien, indique dans son ouvrage The People's Emperor que près de la moitié des souverains nippons seraient nés d'une concubine. 

Un tel phénomène s'explique par plusieurs facteurs. Premièrement, une forte mortalité chez les enfants parmi les membres du clan impérial, doublée d'une fertilité déficiente. En effet, parmi les 15 enfants de l'empereur Meiji (de 1852 à 1912), seulement 5 ont atteint l'âge adulte. Et on comprend pourquoi : entre le très jeune âge des génitrices - entre 13 et 15 ans ! - le côté "sacré" du nouveau-né (les médecins n'étaient pas autorisés à les opérer) et les dégâts provoqués par la consanguinité, les futurs héritiers au trône avaient peu de chances de survivre.

la vie douloureuse des sokushitsu

Les sokushitsu - signifiant "épouses secondaires" , un autre nom donné aux concubines - ne menaient pas une vie des plus faciles. Véritables assistantes du quotidien, leur existence était dévouée à celle de l'empereur, allant jusqu'à participer à sa toilette ou encore l'aider à se vêtir. Cette "carrière" n'était pas sans danger : les accouchements pouvaient s'avérer fatals pour ces travailleuses précoces, engagées dès leur puberté. Une fausse couche, ou encore la stérilité se traduisait pour ces femmes par une humiliation. Parmi les 9 concubines de l'empereur Meiji, 2 sont mortes en couche et 4 n'ont jamais pu concevoir. Celles qui avaient la chance d'atteindre l'âge adulte étaient remerciées à 30 ans.

Un contrôle total était exercé sur la vie des concubines : tout naturellement, il appartenait à la première dame de la cour de décider laquelle serait de service, réglementant de ce fait l'accès au lit de l'empereur. Aussi, elles devaient se contraindre à abandonner leurs droits maternels. Mères porteuses avant toute chose, leur rôle était de pérenniser la descendance impériale. Une décision que l'on imagine particulièrement douloureuse. 

sono sachiko, la dernière des concubines

Sono Sachiko donna à l'empereur Meiji 8 enfants, dont la moitié mourut. Elle s'est notamment illustrée en parcourant près de 800 kilomètres en train afin de le rejoindre au quartier général d'Hiroshima, où il était en pleines négociations de paix avec la Chine. Même l'impératrice Shoken - l'épouse officielle de l'empereur - la voyait d'un bon œil ! Elle était considérée comme une personne éclairée et brillante : un fait rare pour une "simple" concubine. La tradition fut finalement interdite en 1898, et Sono Sachiko mourut en 1947 à l'âge de 80 ans. Pour en savoir plus sur la fascinante existence des geishas, n'hésitez pas à découvrir ces 8 faits surprenants !

Olivier, 26 ans, originaire de Nice. Après deux années passées en Angleterre, je suis actuellement étudiant en Master 2 Information-Communication, spécialisation rédaction journalistique. Passionné depuis toujours par l’univers du manga et de l’animation japonaise, j’ai également une grande appétence pour la musique électronique et la culture rave qui en découle. Mon plat favori : le ramen, évidemment !

Articles de Olivier Ghezal
count
Commentaires (7)
Le Sutra of Secret Bliss : ma prochaine lecture.
photo de profil de Mugiwara Par Mugiwara, il y a 3 ans Répondre
On remarquera que sur la 6e image, les personnes sont dessinées de manière si réaliste que l'algo de floutage s'est actionné pour garantir leur droit à l'image, par contre sur la 7e ou la 9e c'est fait de manière tellement abstraite que là... ^^
photo de profil de NoFutur2077 Par NoFutur2077, il y a 3 ans Répondre
""utérus d'emprunt". On comprend aisément que le féminisme était encore un concept étranger"

Bah, c'est ce qu'on veut faire aujourd'hui avec la pma...
photo de profil de Carl Par Carl, il y a 3 ans Répondre
Tu parles de ce feminisme qui vante l'utilisation d'esclaves du tiers monde comme mere porteuse ?
photo de profil de Boarf Par Boarf, il y a 3 ans (en réponse à Carl) Répondre
Je pense qu'ici le lien fait entre "utérus d'emprunt" et féminisme est que les concubines n'avait pas vraiment le choix. Cette vie leur était imposé tout comme porter les descendants de l'empereur.

Attention à ne confondre aussi la PMA (Procréation médicale assistée) qui consiste à aider des couples n'arrivant pas à avoir un enfant (problèmes liés à la fécondation in-utero) et la GPA (Gestation pour autrui) qui serait plus proche de "l'utérus d'emprunt" à la différence que pour une GPA, les mères porteuses sont consentantes et peuvent choisir le couple demandant la gestation.
photo de profil de Omnbre Par Omnbre, il y a 3 ans (en réponse à Carl) Répondre
Pas mal le fait d'avoir mit Ruri en miniature même si Kirino aurait été plus adapté ><
photo de profil de Yozora Par Yozora, il y a 3 ans Répondre
Au Japon, terre de contraste où la tradition tranche avec la modernité, la sexualité est sans tabou.
photo de profil de Plaisir féminin Par Plaisir féminin, il y a 3 ans Répondre
Laisser un commentaire

Vous répondez à . Annuler