Le Garçon et le Héron : on a vu le nouveau chef-d'oeuvre de Hayao Miyazaki (critique)
Dix ans après le magnifique Le Vent se lève, le maître de l'animation Hayao Miyazaki revient avec un douzième long-métrage, forcément très attendu. On a vu le film en avant-première, et on vous donne notre avis.
Le Mozart du cinéma d'animation
En septembre 2023, alors qu'il présidait la nouvelle édition du TIFF (Festival du Film Indépendant de Toronto), le réalisateur mexicain Guillermo Del Toro a rappelé que "l'animation, ce sont de vrais films". Le cinéaste, qui avait montré son immense talent l'an passé avec son Pinocchio en stop-motion, ne se faisait pas l'avocat du cinéma d'animation pour la beauté du geste : plus tôt, Le Garçon et le Héron, le douzième film de Hayao Miyazaki, venait d'être diffusé pour la première fois en-dehors du Japon. À propos du maître de l'animation japonaise, Del Toro ne tarissait pas d'éloges : "Nous avons le privilège de vivre à une époque où un Mozart compose des symphonies. Miyazaki-san est un maître de cette envergure. Il a changé l'art dans lequel il a débuté, l'a révolutionné, a prouvé à maintes reprises qu'il s'agissait d'une œuvre artistique à part entière."
Sorti au Japon le 14 juillet dernier sans aucune promotion, Le Garçon et le Héron sortira ce mercredi 1er novembre dans les salles françaises. Le jour de la Toussaint, le jour des morts. Une date qui n'a sans doute pas été choisie au hasard tant la mort habite le film. En 1943, Mahito, un jeune tokyoïte de 12 ans, perd sa mère dans un incendie. Suite à ce drame, il déménage avec son père dans la campagne japonaise, où habite sa nouvelle belle-mère. Mais les journées de Mahito sont perturbées par un étrange héron cendré qui vient lui rendre visite.
Un film magnifique, mais cryptique ?
Le Garçon et le Héron sera sans doute loué pour ses qualités artistiques évidentes. Dans un monde dominé par la 3D, le douzième film du cinéaste japonais apparaît comme un magnifique cadeau du ciel. Chaque plan du film est somptueux, et on regretterait presque de ne pas pouvoir faire pause en plein milieu du film pour capter tous les détails qui se cachent. Le Garçon et le Héron est une oeuvre d'art, et formellement il est l'un des films les plus aboutis du metteur en scène. Ce qui n'est pas peu dire, au regard de sa carrière exemplaire cinématographique. Mention spéciale également à la bande-originale composée par le grand Joe Hisaishi, qui accompagne Hayao Miyazaki depuis Nausicaä de la Vallée du Vent.
Toutefois, le film peut paraître profondément cryptique. Il est fort à parier que de nombreux spectateurs se retrouveront perdus dans ce dédale métaphysique et introspectif. Cela est dû en partie aux techniques d'écriture de Hayao Miyazaki, qui comme le rappelle son producteur Toshio Suzuki dans le livre Studio Ghibli - Travailler en s'amusant, conçoit son histoire en même temps qu'il travaille sur les dessins du story-board. Si la poésie du Garçon et le Héron est manifeste, beaucoup seront déconcertés par son scénario qui ne donne pas facilement ses clés de compréhension. Très, voire trop riche, le voyage initiatique de Mahito nécessitera sans doute plusieurs visionnages pour être pleinement appréhendé.
Le cadeau de Miyazaki à ses fans
Pourtant, Le Garçon et le Héron mérite amplement qu'on se triture les méninges pour découvrir ses multiples niveaux de lecture. Tout d'abord, comme l'avait présenté Toshio Suzuki, Le Garçon et le Héron est une lettre d'amour que Hayao Miyazaki a écrite pour son petit-fils, le préparant à sa mort prochaine. Si la question du deuil est bien évidemment au coeur du film, Hayao Miyazaki semble littéralement s'incarner dans l'un des personnages, confiant à son descendant la mission (délicate) de faire mieux que lui.
Mais au-delà de cette question, importante, de la transmission, Le Garçon et le Héron est le film-somme dans lequel le maître revient sur une grande partie de son travail de cinéaste. Partageant le même contexte que Le Vent se lève, dont une grande partie de l'intrigue se déroulait également pendant la Seconde Guerre Mondiale, le douzième long-métrage de Miyazaki reprend certains thèmes de ses anciens longs-métrages, et en montre la face cachée, sombre et distordue. En ce sens, la course du jeune Mahito dans les rues enflammées de Tokyo, visible dans les bandes-annonces anglophones et francophones, au milieu d'une foule dont les corps semblent se tordre dans l'espace, semble presque une profession de foi.
Ainsi, alors que dans Mon Voisin Totoro, les jeunes Satsuki et Mei se rendaient dans la campagne japonaise pour se rapprocher de leur mère en convalescence, Mahito quitte la ville sans espoir de retrouver la sienne. Certains plans du Garçon et le Héron semble d'ailleurs directement invoquer la filmographie de Hayao Miyazaki. En effet, il est difficile de ne pas penser à la jeune Mei suivant un Totoro lorsque Mahito se penche pour observer un sentier caché par une haie menant non pas à l'émerveillement, mais à un manoir inquiétant. On songe également à un autre plan, où Mahito escalade la façade d'une tour, avec à l'arrière-plan une mer qui semble infinie, et qui dans Le Voyage de Chihiro était traversée par les rails d'un train. Mais là où la jeune Chihiro était accompagnée du courageux Haku, Mahito est accompagné d'un personnage beaucoup plus nuancé et étrange. Les rails apparaissaient d'ailleurs comme une échappatoire, tandis qu'ici, la mer est un enfermement.
Avec Le Garçon et le Héron, Hayao Miyazaki offre au spectateur la clé pour comprendre l'entièreté de son oeuvre. Alors que les exégètes de Hayao Miyazaki n'ont cessé de rappeler que sa filmographie était traversée par des questionnements sur l'environnement, la religion shintoïste, le pacifisme et l'aviation, le cinéaste rappelle que tous sujets cachent une autre question qui l'obsède depuis l'enfance : la mort. Oui, toute l'oeuvre de Hayao Miyazaki, du monde qui dépérit dans Nausicaä de la Vallée du Vent aux poumons de Nahoko dans Le Vent se lève, en passant par le cimetière des aviateurs dans Porco Rosso et le monde de l'au-delà du Voyage de Chihiro, est traversée par le thème de la mort.
Conclusion
Le Garçon et le Héron ne sera pas aussi facilement adopté par le public que Princesse Mononoké ou Le Château ambulant. Il n'est peut-être pas instantanément culte, comme d'autres films du maître. Toutefois, il risque fort de se rappeler à notre mémoire dans les prochains mois et décennies. D'abord comme une oasis revigorante dans un cinéma d'animation de plus en plus formaté par la 3D, ensuite comme un addendum passionnant de l'univers miyazakien. Et on ne doute pas que dans plusieurs années, on se rappellera de lui comme la dernière symphonie du "Mozart de l'animation japonaise". Jusqu'à son prochain film.
J'irai bien le revoir le 1er Novembre du coup !