Fortnite, Cyberpunk 2077 : entre pression et directives insoutenables, les développeurs n'en peuvent plus
Avec un succès sans cesse grandissant, les jeux vidéo sont devenus incontournables, et une véritable clé de voute de la Pop Culture contemporaine. Mais l'immense succès des univers vidéo-ludiques a son revers de la médaille, parfois regrettable. Explications.
Attention : cet article n'a pas pour vocation de dénigrer l'importance des mises à jour. Nous traitons seulement de la politique des studios les concernant, et les conséquences de cette politique.
Des produits évolutifs
Grand Theft Auto. The Legend of Zelda. The Elder Scrolls. Red Dead Redemption. God of War. Que l'on soit friand de jeux vidéo ou complètement éloigné, on connait forcément le nom d'un jeu ou d'une licence. Le jeu vidéo est si profondément installé dans notre culture collective, que même vos grands-parents ont sans doute entendu, au moins une fois dans leur vie, parler de Fortnite, soit par l'un de leurs petits enfants soit par le journal parlé.
De plus en plus immersifs, les jeux vidéo touchent de plus en plus de monde, dont l'exigence est sans cesse rehaussée par les succès successifs. Une émulsion propice, en somme, à une continuelle amélioration des standards vidéoludiques, comme le démontrent certains jeux de la nouvelle génération de consoles, dont le dernier Ratchet & Clank ou Kena : Bridge of Spirits, qu'on attend avec impatience.
Cependant, cette "émulsion" a son revers, négatif. Mais avant de le nommer, revenons sur l'aspect profondément singulier du jeu vidéo. Comme le cinéma et la musique aujourd'hui, le jeu vidéo est à la croisée de l'oeuvre d'art et du produit commercial. Mais chaque jeu est un produit évolutif. Contrairement aux films, séries et musiques, les changements dans les jeux vidéo sont non seulement facilités, mais également désirés.
Lorsqu'un studio distribue un film, il est difficile pour lui de le modifier. Il peut bien évidemment exister de nombreuses versions d'un même film (récemment Zack Snyder a proposé sa propre vision du film Justice League), mais ces changements font qu'il existe plusieurs produits, distincts. La version de Justice League par Joss Whedon est un produit, la version de Justice League par Zack Snyder en est un second.
Il en va de même avec les musiques : il existe des versions explicite de grands titres de rap et des versions épurées des mêmes chansons, mais chaque version est un produit, et il est impossible pour le distributeur de changer un produit une fois celui-ci commercialisé : il peut le retirer s'il en a envie, mais s'il veut apporter des changements, il est obligé d'ajouter la nouvelle version à la version déjà existante, les deux versions cohabitant désormais.
Pour ce qui est des jeux vidéo, c'est différent. Du fait qu'ils fonctionnent à la manière des applications d'ordinateur et de téléphone mobile, les jeux vidéo peuvent être modifiés en temps réel, grâce à des mises à jour ou des patch correctifs. Autrement dit, un jeu vidéo n'est jamais totalement fini à sa sortie, puisqu'il peut être modifié ad vitam eternam, tant que les développeurs travailleront sur des mises à jour. En ce sens, le fait que l'économie du jeu vidéo soit inextricablement liée à celle d'internet a permis aux studios de bouleverser leurs méthodes, pour sortir des jeux constamment évolutifs.
Cette particularité du jeu vidéo en fait donc un genre artistique pour le moins étonnant. Il y a bien évidemment de quoi se réjouir de cette dimension évolutive des jeux vidéo. Rajouter des skin (comme sur Fortnite), créer des événements (comme sur Assassin's Creed Valhalla ou Animal Crossing : New Horizons) ou apporter des modifications pour corriger certains bugs (comme sur Cyberpunk 2077) permet à la fois de renouveler l'intérêt du joueur, mais également de rassurer le client, en cas de bugs beaucoup trop importants.
Mais aussi positive soit la possibilité de toujours mettre à jour un jeu vidéo, cela pose pour autant deux problèmes majeurs.
La porte ouverte à tous les excès
Le premier problème de cette possibilité de toujours mettre à jour un contenu vidéo-ludique est qu'il ouvre la porte à une nouvelle manière de distribuer les jeux vidéo. D'autres spécialistes ont eu la même analyse avant nous, notamment à l'époque des polémiques autour de Cyberpunk 2077, devenu un véritable cas d'école en matière de jeu complètement bugué à sa sortie. Face à l'attente des joueurs et la pression des investisseurs, les studios ont tendance à sortir leurs jeux prématurément.
La stratégie commerciale des développeurs est assez simple à résumer : chaque jeu profite d'un gros patch le jour de sa sortie, afin de corriger les bugs les plus visibles, puis de mises à jour ultérieures permettant de lisser le tout. Ces mises à jour ont également un autre intérêt, dans la communication du studio : montrer que les studios sont à l'écoute des revendications des joueurs.
L'analyse du discours de CD Projekt Red, le studio derrière Cyberpunk 2077, à l'époque des polémiques concernant la jouabilité du jeu, est riche d'enseignements. Alors que la pression augmentait suite à de nombreuses demandes de remboursements (acceptés sur console), le studio de production a assuré, pour calmer les joueurs déçus, plusieurs patchs correctifs, en janvier et février 2021. Encore aujourd'hui, CD Projekt communique sur ses prochaines mises à jour, visant à corriger les nombreux bugs recensés par les joueurs.
Bien évidemment, on peut se dire que le cas Cyberpunk 2077 pourra servir d'électro-choc, pour démotiver les studios à reproduire l'erreur de CD Projekt Red. Mais il est important de souligner deux choses : tout d'abord, c'est la possibilité de mettre à jour continuellement leur jeu vidéo après sa sortie qui a entre autres motivé CD Projekt Red à sortir un jeu non-fini ; ensuite, avec moins de bugs, mais une communication plus maîtrisée, les studios parviennent très bien sortir un produit non-fini, sans pour autant s'attirer des foudres de la même intensité que celles qui sont tombées sur le studio polonais. Car, quand on y réfléchit, ce qui a surtout été mis en cause dans l'affaire Cyberpunk 2077, c'est avant tout la communication agressive de CD Projekt Red avant la sortie du jeu, et l'impression persistante par de nombreux joueurs que le produit sorti n'avait finalement que peu à voir avec le produit annoncé.
Autrement dit, contrairement à ce que l'on peut penser, on ne peut malheureusement pas garantir que l'affaire Cyberpunk 2077 empêchera toute sortie de jeu non-fini : c'est une méthode commerciale bien installée, et l'affaire Cyberpunk n'est que l'une de ses formes les plus extrêmes. Il n'est pas impossible, au contraire, que l'on ait affaire, dans les années à venir, à une systématisation du processus.
Des développeurs sous pression
L'autre problème que cette possibilité engendre est moins visible par les joueurs, et concerne en tout premier lieu les développeurs. Dans une récente (et passionnante) enquête, nos confrères américains de PC Gamer ont mis en évidence le fait que les développeurs vivaient continuellement sous pression, à cause notamment des mises à jour continuellement requises par les studios et les joueurs.
Dans son enquête, le journaliste explique qu'auparavant, les développeurs travaillaient sans relâche sur leur jeu, avant de prendre des vacances bien méritées à sa sortie. Malheureusement, la nécessité de continuellement mettre à jour un jeu vidéo, et ce dès sa sortie (avec notamment des patchs correctifs), a pour conséquence que la sortie d'un jeu marque le début d'une nouvelle carrière pour les développeurs, qui vivent désormais sous la pression de toujours renouveler le contenu afin de s'assurer un succès sur le long terme.
Pour bien comprendre l'étendue de la pression que subissent les développeurs pour les mises à jour, PC Gamer fait une comparaison pour le moins intéressante : selon eux, on peut comparer la vie d'un jeu (tel que Fortnite ou League of Legends) à une chaîne Twitch. Si les développeurs s'arrêtent de proposer des mises à jour récurrentes et des contenus événementiels, alors l'intérêt des joueurs s'érodera, à la manière du public d'une chaîne Twitch qui ne livrerait aucun contenu pendant quatre mois.
Cette comparaison est pour le moins intéressante, en ce qu'elle désigne où réside l'intérêt du public. Comment expliquer l'immense succès de Fortnite ? Si l'on peut difficilement arguer du fait que le jeu révolutionne les codes des Battle Royale, convenons toutefois que ses développeurs savent faire évoluer leur contenu, et ce manière continuelle. D'ailleurs, sur Hitek, nous vous faisons régulièrement la chronique des différents événements de Fortnite, nés de partenariats tissés entre Epic Games Store et d'autres entreprises, comme des studios de cinéma.
C'est que derrière ces mises à jour et l'importance de renouveler sans cesse l'intérêt du joueur, se cache un impératif économique. Certains éditeurs, comme Epic Games, ont bien compris que plus les joueurs restent intéressés par leurs jeux, plus ils seront tentés de dépenser. Par exemple, pour Fifa, les gains engendrés grâce aux packs FUT sont plus importants que les gains remportés par la vente des jeux en eux-mêmes. Si donc les contenus additionnels (les différents packs) permettent d'empocher plus d'argent, les studios ont besoin que leurs développeurs travaillent encore plus, pour toujours réactualiser l'intérêt du public.
Il existe, bien évidemment, un continuum entre les deux problèmes que nous avons mentionnés dans cet article. Chacun de ces deux problèmes est la conséquence extrême née d'une même possibilité : celle offerte par la possibilité de continuellement mettre à jour les jeux vidéo.
Multiple developers at Insomniac say they didn't crunch at all on the studio's new game, Ratchet and Clank for PS5 https://t.co/kJmsrIy7Sr
— Jason Schreier (@jasonschreier) June 8, 2021
De nombreux débeloppeurs d'Insomniac disent qu'ils n'ont pas cruch durant toute la production du nouveau jeu du studio, Ratchet & Clank sur PS5.
Les choses vont néanmoins commencer à s'améliorer pour les développeurs. Conséquemment aux dénonciations des joueurs de Cyberpunk 2077, de nombreux développeurs avaient dénoncé leurs conditions de travail. Déjà, avec Red Dead Redemption 2, ce qui était alors un tabou a été révélé avec fracas, si bien que de nombreux éditeurs essayent, notamment sur Twitter, de rassurer les joueurs sur les conditions de travail de leurs employés, à l'instar d'Insomniac Games.
Le cinéma subit fréquemment des crunchs de part les traitements de post-production et d'effets spéciaux, créant depuis peu des MAJ de film comme l'on a pu voir avec le film "Cats", et que l'on risque de revoir dans d'autres productions.
De même, le secteur du développement informatique hors JV, le crunch est une pratique commune qui à été pendant longtemps banalisé aux travers des "piscines".
Et puis ce n'est pas un phénomène nouveaux, avant les années 2000 on observait des périodes de crunch pour respecter des délais de sorties, ce qui a donné lieux a des catastrophes comme Gran Turismo 3 impossible à 100% (US et Jap), ou la version Euro de Tomb Raider l'ange des Tenebres (Euro), distribué dans une première version avec un bug empêchant énormément de joueur de finir le jeu, et qui était très difficilement contournable, bloquant la progression du titre.
Mais oui avec la multiplication des films dispos sur les plateformes de streaming, les "patchs" pour les films se feront de plus en plus fréquents je pense, avec des films en "alpha" disponibles pour les plus impatients ^^