Dossier : le renouveau du western
Le western fut, pendant de très longues années, le genre cinématographique le plus populaire. John Ford, Sergio Leone, Ennio Morricone, Clint Eastwood, Le train sifflera trois fois, Pour une poignée de dollars, tant de noms de réalisateurs, d’acteurs, de compositeurs, de films qui ont donné ses lettres de noblesses au western. Pourtant, il semblerait que pendant un temps, le western ait moins attiré les foules. Devenu le "genre à papa", il s’est attiré les foudres d’une jeunesse, qui s’est mise à le décrier, car il vantait avec beaucoup trop d’ardeur le mythe américain. Pourtant, ces dernières années, on remarque que le western est à nouveau à la mode. Pourquoi ? Comment ? Quels sont ses nouveaux enjeux ? Qui sont ses nouveaux héros ? C’est à ces questions que nous allons tâcher de répondre.
Définition et histoire d’un genre
Le western est avant toute chose un genre cinématographique. On le retrouve certes dans des bandes-dessinées (comme Blueberry de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud, Lucky Lucke de Morris et Goscinny ou Les Tuniques Bleues de Lambil et Cauvin) et dans certains jeux-vidéos à succès (comme Red Dead Redemption ou Call of Juarez), mais ces différents médiums sont en fait des dérivés rendant hommage à un genre cinématographique monumental.
L’action du western se déroule généralement en Amérique du Nord. Si la majeure partie des films du genre voit ses intrigues implantées aux Etats-Unis, lors de la Conquête de l’Ouest (d’où le nom de western), dans certains films, l’action prend place au Mexique, au Canada ou en Alaska (oui, on sait que l’Alaska fait partie des Etats-Unis).
La première chose à noter, c’est que le western apparaît dès la création du cinéma muet, avec des films comme Broncho Billy Anderson. Devenu très rapidement un genre très populaire, le western va faire son petit bonhomme de chemin, avant d’avoir un succès plus retentissant encore pendant ce que l’on appelle la période classique de ce genre.
Attardons-nous quelques instants sur cette fameuse période classique du western. Les héros d’alors s’appellent John Ford (La Prisonnière du désert, Les Cheyennes), John Wayne (La Chevauchée fantastique, Le fils du désert), Gary Cooper (Le train sifflera trois fois), John Sturges (Fort Bravo, Règlements de comptes à OK Corral), Howard Hawks (Rio Bravo, La Captive aux yeux clairs). Le western de cette époque, s’il est riche en chefs d’oeuvres (Rio Bravo est très certainement un des plus grands films de l’Histoire), offre des héros très stéréotypés, des histoires très manichéennes. Héros valeureux, indiens sauvages, femmes qu’il faut sauver, bandits dangereux, shérifs honorables, un cahier des charges que ces westerns respecteront souvent à la lettre.
Mais plutôt que de critiquer ces stéréotypes, plutôt que d’abhorrer ces histoires manichéennes, essayons de les comprendre sous un aspect historique et sociologique. Dans son article "Western" pour l’Encyclopédie Universalis, le docteur Jean Gili, professeur à l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, auteur d’ouvrages de référence sur le western et le cinéma italien, écrit :
"Un peuple sans racines lointaines a besoin de se forger une légende, de raconter l’histoire de son installation dans des terres nouvelles."
Autrement dit, le western s’apparente bien plus aux épopées mythologiques tels que L’Enéide de Virgile (épopée latine qui faisait le lien entre Rome et la splendeur de la Grèce Antique) ou les romans de chevalerie commandés par Henri II d’Angleterre, afin de créer une généalogie entre lui et le Roi Arthur. Le western peut dès lors se lire comme la cosmogonie d’une nation, pourtant éclatée si l’on se fie aux origines disparates de sa population, visant à la réunir derrière une mythologie commune. Jean Gili a une interprétation du mythe western bien plus religieuse. Il écrit :
"[les réalisateurs de l’époque] se sont surtout attachés à exalter la conquête américaine, à chanter l’aventure d’un peuple prêt à affronter tous les dangers pour occuper « la terre promise ». La fatigue, le froid, la soif, la faim, le danger, la peur, rien ne pouvait arrêter ces hommes guidés par une volonté farouche."
On comprend que Gili fait une analogie entre la Conquête de l’Ouest et la Terre Promise que cherchaient les Juifs guidés par Moïse dans l’Ancien Testament.
On imagine sans mal à quel point le western a pu "parler" aux spectateurs des années 1930 à 1950. D’abord, en vendant un rêve, un idéal, une mythologie américaine, à une population affaiblie par la crise économique de 1929. Ensuite, en propageant un rêve, un idéal, une mythologie à une Europe affaiblie par la Seconde Guerre mondiale et ses ravages.
Le tournant des années 60
Les choses vont commencer à changer pour les westerns avec l’apparition du western spaghetti, dans les années 60. Ce nouveau type de western, venu d’Europe, et plus particulièrement d’Italie, permet à la fois au western de connaître un second souffle salvateur (car le genre commençait à péricliter), tout en le renouvelant entièrement.
Le western spaghetti se veut plus violent, mais aussi moins manichéen que ce nous avons appelé le western classique. Comment expliquer ce renouveau ? Sans doute parce que les réalisateurs italiens, tels que Sergio Leone, n’ont pas eu à traiter le western comme un outil mythologique. D’où cette torsion du genre, qui a donné de nombreux films cultes, comme Le Bon, la Brute et le Truand ou encore Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone.
Une centaine de westerns spaghettis sont sortis pendant ces années 60. Des films qui sont aujourd’hui au firmament du genre western. Pourtant, une fois encore, le western va s’essouffler, et disparaître progressivement des écrans. Pourquoi cette disparition progressive ? Le simple hasard des tendances. On craint toujours une uniformisation du cinéma. Pourtant, le cinéma a toujours été uniformisé, car il a toujours fonctionné avec des tendances. Un coup ce sont les westerns qui sont à la mode, puis les polars, puis les films de SF, puis les films de Fantasy, puis les films de super-héros. Et puis ce sera une fois encore les westerns, et ainsi de suite.
Dès les années 90, quelques westerns commencent à refaire surface. Mais leurs apparitions son anecdotiques. Pourtant, ils jettent les prémices de ce que deviendra le western actuel.
Le nouveau western
En 1990, Kevin Costner réalise son chef d’oeuvre absolu : Danse avec les loups. Un western humain, véritable ode au peuple amérindien. Avec cette adaptation de plus de trois heures (dans sa version longue) du roman de Michael Blake, et qui gagnera sept Oscars du cinéma, Costner ne crée plus une mythologie américaine basée sur une idéalisation de l’armée. Il cherche plutôt à panser les plaies de la Nation américaine en la confrontant face à ses torts les plus abjects, dont le génocide amérindien. En 1992, c’est l’acteur-réalisateur Clint Eastwood, acteur fétiche de Sergio Leone, star du western spaghetti, qui réalise un de ses meilleurs films. Un western implacable, sombre et violent : Impitoyable. Le film est un franc succès, et gagnera quatre Oscars, dont l’Oscar du Meilleur réalisateur pour Eastwood. On l’ignore encore, mais avec Impitoyable, Kevin Costner et Clint Eastwood redéfinissent les règles du jeu.
Hollywood ne cherche plus à créer une image sublimée des Etats-Unis. Au contraire, une ribambelle de réalisateurs, plutôt ancrés à gauche politiquement, tentent de donner une vision la plus réaliste possible de l’Histoire. Ainsi, pour la première fois de l’Histoire, la série Godless (pépite western produite par Netflix) rend hommage aux Buffalo Soldiers, ces noirs-américains qui ont combattu pendant la Guerre de Sécession, et qui sont trop souvent oubliés. Quoique le personnage de Samuel L. Jackson dans The Hateful Eight de Quentin Tarantino fait également penser aux Buffalo Soldiers.
Le western a toujours été un outil politique. Alors qu’au début, ce genre délivrait un message plutôt conservateur, aujourd’hui, il propose un message à l’opposé. Les deux derniers films de Quentin Tarantino sont symptomatiques de cette nouvelle tendance du western : très violents, ils critiquent ouvertement l’esclavage à une époque où les afro-américains subissent une recrudescence de violences. J’irai plus loin encore dans ma démonstration : la fin de The Hateful Eight montre tout de même un afro-américain (interprété par Samuel Jackson) dans le même lit qu’un shérif (interprété par Walton Goggins). Comment ne pas penser à cette volonté de mettre fin aux bavures policières qui sont devenues monnaie courante aux USA ? De la même façon, la série Godless se veut une série féministe, avant tout emmenée par des femmes, à une époque où la question de l’égalité homme-femme est au centre des préoccupations. On aurait pu également citer The Revenant d’Alejandro Gonzalez Inarritu, avec ces nombreuses scènes qui montrent les minorités amérindiennes opprimées (je pense notamment à la scène du viol et à celle de l’indien pendu sans raison), comme pour montrer que l’Amérique a encore un long chemin à parcourir au niveau du respect des minorités ethniques (rappelons que Inarritu est Mexicain, et que les Mexicains souffrent également du racisme aux Etats-Unis).
"Tu vois Blondin, le monde se divise en deux catégories, ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi tu creuses."