Pourquoi Hollywood n'arrive pas à reproduire le succès de Game of Thrones

25 mai 2025 à 19h32 dans Séries TV

Hier, nous avons appris qu'Amazon Prime Video a annulé la série La Roue du Temps à l'issue de sa troisième saison. Bien que la série ne manque pas d'ambition, elle n'a pas réussi à convaincre le public. Malheureusement, ce n'est pas un cas isolé ; la série Willow a non seulement été supprimée par Disney+, mais elle a également été supprimée du catalogue. Quant à la série The Witcher, si Netflix n'y a pas renoncée, ses trois saisons ont été vivement critiquées par les fans ainsi que par l'acteur Henry Cavill qui a quitté le show pour désaccords sur la direction de la série. Comment se fait-il que Hollywood peine autant à reproduire le succès colossal de Game of Thrones ? Voici quelques pistes de réflexion. 

Pourquoi Hollywood n

La fantasy est un genre difficile à adapter

Tandis que la trilogie littéraire Le Seigneur des Anneaux est devenue un objet iconique de la contre-culture dans les années 1960 grâce à son adoption par les universités américaines, la fantasy a mis beaucoup de temps avant de se démocratiser à Hollywood. Quelques tentatives ont été faites dans les années 1980, mais les gains n'étaient pas à la hauteur des efforts effectués. En 1982, Conan le Barbare de John Milius connait un succès modéré et frôle les 80 millions de recettes, tandis que Dark Crystal atteint péniblement les 40 millions de dollars. Bien que les deux films soient devenus cultes par la suite, nous sommes loin des succès colossaux d'E.T. l'extra-terrestre de Steven Spielberg (797 millions de dollars) et de Rocky III de Sylvester Stalone (297 millions de dollars)

Conan le Barbare

D'autres films - également devenus cultes par la suite - ont été de vrais échecs à leur sortie dans les salles de cinéma américaines. On songe notamment au Dragon du Lac de Feu de Matthew Robbins (1981), un échec commercial malgré ses effets spéciaux novateurs pour l'époque, mais aussi à Legend de Ridley Scott (1985), Labyrinth de Jim Henson (1986) ou encore Taram et le Chaudron Magique (1985) du studio Disney. Aucun de ces longs-métrages n'a réussi à rembourser son budget, et le cas de Taram est aujourd'hui un cas d'école de film ayant failli plonger son studio dans la faillite financière. Aussi, le triomphe de la trilogie Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson au début des années 2000 tient du miracle. 

Pour rappel, le réalisateur néo-zélandais Peter Jackson a rencontré de grosses difficultés pour financer son projet ; Miramax avait donné son accord pour une adaption en deux longs-métrages, et seul New Line Cinema s'est montré suffisamment audacieux pour valider le projet. La perspective de trois films tournés et montés en même temps en Nouvelle-Zélande a été l'un des éléments qui a convaincu le studio américain de donner son feu vert et d'accorder un budget de 283 millions de dollars pour l'ensemble de la trilogie - des chiffres qui semblent aujourd'hui absolument ridicules pour des films de cette ampleur et de cette ambition. Résultat, la trilogie a remporté 2,9 milliards de dollars au box-office et dix-sept Oscars. Un pari gagnant !

Le Seigneur des Anneaux

À n'en pas douter, la trilogie Le Seigneur des Anneaux a eu un impact culturel monumental ; non seulement elle a été louée pour ses qualités artistiques, au point d'être considérée encore aujourd'hui comme la plus grande trilogie de tous les temps par de nombreux cinéphiles, mais en plus elle est parvenue à démocratiser un genre qui était soutenu jusqu'alors que par une niche. On ne dira jamais suffisamment à quel point la trilogie de Peter Jackson a rendu populaire le genre de la fantasy durant les années 2000. La réussite de la saga Harry Potter et de la trilogie Pirates des Caraïbes ont sans doute donné l'impression que la fantasy est enfin devenue un genre bankable. Pourtant, c'est oublier bien vite les nombreux échecs cinématographiques qui ont émaillé la première décennie du XXIème siècle. 

Si la trilogie Le Monde de Narnia produite par le studio Disney a connu un certain succès en salles, ses recettes n'ont fait que diminuer au fil des films, la principale cause étant bien entendu le manque de clarté du studio quant à sa relation avec l'oeuvre de C.S. Lewis (Disney ayant adapté trois livres sur sept). D'autres projets ont soit été des succès modérés (comme l'adaptation de Stardust de Neil Gaiman par Matthew Vaughn, l'adaptation catastrophique d'Eragon de Christopher Paolini), soit des échecs monumentaux (la trilogie Donjons et Dragons). Le succès très relatif réservé au film À la Croisée des Mondes: La Boussole d'Or (2007), d'après le premier roman de la trilogie de Philip Pullman, semble tout à fait représentatif des nombreuses tentatives des années 2000. Déçu des recettes (372 millions de dollars pour un budget estimé à 180 millions), New Line Cinema a d'ailleurs abandonné son projet d'adapter toute la trilogie. 

Ce que nous apprend le triomphe de Game of Thrones

Dès lors, le triomphe de la série Game of Thrones par la chaîne HBO, devenue la série-phénomène de la décennie 2010-2019, apparaît comme un deuxième miracle. Comme pour Le Seigneur des Anneaux, le public et la critique ont acclamé à la fois l'ambition artistique du projet ; la série s'est distinguée par une mise en scène particulièrement soignée, un casting habité, des effets spéciaux exceptionnels qui ont rehaussé les standards attendus à la télévision et un récit choral passionnant ne lésinant ni sur la violence la plus brutale ni sur la nudité la plus explicite. Des choix qui collaient bien à l'oeuvre originale de George R.R. Martin !

Bien évidemment, il y aurait beaucoup à dire sur Game of Thrones ; à l'instar du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, la série a un goût de "jamais vu jusqu'alors à la télévision". Les décors et les batailles continuent de nous impressionner. De plus, le travail d'adaptation de David Benioff et de D.B. Weiss sur les quatre premières saisons est presque irréprochable aux yeux des fans

Ned Stark

Suite à la conclusion de Game of Thrones, Hollywood s'est lancé dans une recherche frénétique afin de débusquer la nouvelle série en mesure de reproduire le succès phénoménal de la succès HBO. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette entreprise semble plutôt ratée... Pour quelles raisons ? Bien évidemment, on pourrait faire de nombreux reproches aux différents projets post-Game of Thrones

Bien évidemment, on pourra longtemps s'appesantir sur le fait que la série The Witcher de Netflix a parfois des airs de Xena la Guerrière et qu'elle souffre de problèmes évidents de rythme et de narration ; qu'en dépit de sa direction artistique sublime, la série Les Anneaux de Pouvoir condense beaucoup trop pour son bien la chronologie des oeuvres de J.R.R. Tolkien, au point de se mettre à dos une grande partie de ses fans ; que La Roue du Temps avait dans sa première saison un côté cheap malheureux. Toutefois, tous ces reproches nous paraissent insuffisants pour expliquer totalement leurs échecs

Rings of Power

Après tout, le film Donjons et Dragons: L'Honneur des Voleurs était non seulement fidèle au matériau de base, mais en plus se risquait à avoir une vraie réflexion dans sa mise en scène ; la série His Dark Materials de la BBC et HBO est parvenue à adapter aussi fidèlement que possible la trilogie de Philip Pullman (même si on peut lui reprocher de poser trop rapidement certaines cartes sur la table). Pourtant, ces deux oeuvres sont loin d'avoir eu le succès escompté. 

Dès lors, nous nous permettons de formuler une petite hypothèse... Si Game of Thrones a indéniablement participé à populariser davantage le genre de la fantasy - comme l'a fait avant lui Le Seigneur des Anneaux -, le public semble avoir conscientisé les limites du genre au cinéma et à la télévision. Pendant longtemps, Le Seigneur des Anneaux et Le Trône de Fer ont eu cette réputation d'oeuvres inadaptables ; bien que Peter Jackson et HBO aient réussi à donner tort à ces pressentiments, cela ne veut pas dire que toutes les oeuvres de fantasy peuvent être adaptées

Le succès de la trilogie Le Seigneur des Anneaux et de la série Game of Thrones s'explique peut-être parce que ces deux oeuvres font appel à des inconscients culturels collectifs qui nous permettent davantage d'oublier que nous sommes dans des oeuvres de fantasy. En effet, la trilogie de J.R.R. Tolkien (et a fortiori son adaptation cinématographique) illustre un Moyen-Âge idéalisé par plusieurs siècles de littérature médiévale, classique et romantique. Un Moyen-Âge merveilleux conçu pour apaiser les coeurs, reprenant ainsi le but même du genre à sa création en pleine Révolution Industrielle. La fantasy de J.R.R. Tolkien sublimée par la caméra de Peter Jackson incarne pleinement cette vertu du merveilleux que le professeur d'Oxford avait formulée dans son essai Du conte de fée : le fantasy a un immense pouvoir consolateur. 

Frodo

Malgré sa violence et ses morts en pagaille, la série Game of Thrones bénéficie sans doute du pouvoir consolateur de la fantasy. Mais son charme repose sur une autre dimension importante de l'oeuvre ; en nous plongeant dans un Moyen-Âge extrêmement âpre, sombre, rude, violent, sanglant, Game of Thrones nous confronte à une image collective de la période médiévale (bien qu'elle soit de plus en plus contredite par les médiévistes). De nombreux détails de la série tendent à rendre crédible cette incarnation du Moyen-Âge. 

À ce titre, les inspirations historiques de l'oeuvre de George R.R. Martin contribuent largement à ce sentiment. On se souvient que l'écrivain américain s'est inspiré notamment de la Guerre des Deux-Roses, qui a ensanglanté l'Angleterre au XVème siècle et qui a influencé la Guerre des Cinq-Rois, tandis que le Black Dinner de 1440 - un événement important de l'histoire écossaise - a inspiré les Noces Pourpres. Du côté de la Danse des Dragons, au centre de l'excellente série House of the Dragon, Martin s'est inspiré de la guerre civile et dynastique anglaise connue sous le nom The Anarchy (1138-1153), qui a opposé Mathilde L'Emperesse à son cousin Étienne de Blois. 

La Bataille des Bâtards

C'est parce qu'ils adaptent des oeuvres de fantasy qui ne parviennent ni à proposer totalement un Moyen-Âge idéalisé incarnant la vertu consolatrice de la fantasy développée par le professeur J.R.R. Tolkien, ni un Moyen-Âge violent et rude conforme à nos représentations collectives, que les studios hollywoodiens cumulent les échecs en la matière. Bien évidemment, de nombreuses oeuvres de fantasy correspondent à ces différents critèresLes Récits du Vieux Royaume de Jean-Philippe Jaworski (Gagner la Guerre et Le Chevalier aux Épines) et Le Livre des Martyrs de Steven Erikson sont de parfaits exemples.

Et vous, que pensez-vous de ces pistes de réflexion ? N'hésitez pas à nous donner votre sentiment dans l'espace commentaires. Et pour découvrir cette saga de fantasy française qui a enfin obtenu la reconnaissance qu'elle mérite, c'est par ici.

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Salut, c'est Gaëtan. Diplômé d'un Master en Langues Modernes, je suis un grand passionné de Culture Pop. J'ai une affection toute particulière pour la culture des années 80/90. Grand lecteur, je suis aussi cinéphage et sérivore (un régime alimentaire des plus équilibrés !). Passionné par le Moyen-Âge, je suis un grand fan de Fantasy. Sinon, j'adore le cinéma coréen, la littérature japonaise, les séries et les comics britanniques. Ah, j'oubliais : pour savoir s'il y a du vent, faut mettre son doigt dans le cul du coq.

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Commentaires (0)
Article très intéressant, merci beaucoup !
photo de profil de Nagato Par Nagato, il y a 2 heures Répondre
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