Focus sur… Frank Miller et ses chefs d'oeuvres de Daredevil à la saga Dark Knight
Il est l’un des meilleurs scénaristes de comics du monde, mais il est aussi l’un des auteurs les plus polémiques. Sa venue au Comic Con Paris, avec Brian Azzarello et Louis Leterrier, a fait sensation (et m’a comblé au-delà des mots) ! À l’occasion de la sortie de son Dark Knight : The Master Race, retour sur l’oeuvre d’un auteur légendaire !
1- 1982-1984 : Daredevil
Daredevil est le comic qui a révélé le jeune Frank Miller. Inventé par le grand Stan Lee, le personnage de Matt Murdock connaissait un certain vide scénaristique. Le personnage de Daredevil semblait destiné à demeurer un héros de seconde zone à l’intérêt minime. Pourtant, la carrière du justicier changera en 1982, et avec elle celle de Miller. Le scénariste et dessinateur prend le parti de rendre le justicier masqué plus sombre, et donc plus humain. Il le confronte ainsi à son passé, en créant Elektra, l’amour de jeunesse de Daredevil, et assassine redoutable. C’est Miller également qui attribue au héros son plus grand ennemi : le Caïd. Le personnage créé en 1964 combattait jusqu’ici des ennemis qui ne lui étaient pas propres : Killgrave, Elektro, etc. Avec le Caïd, Daredevil rencontre sa Némésis. D’ailleurs, les créations de Miller étaient si évidentes qu’elles font désormais entièrement partie de l’Univers Marvel. Par exemple, Elektra a fait l’objet d’une série qu’il a lui-même scénarisée.
Le travail de Miller sur Daredevil est saisissant, intelligent ! À tel point que c’est sur son run que s’est basée la série Netflix. Rien d’étonnant à cela ! Parmi les grands clichés sur les différences qui opposent Marvel à DC Comics, on dit que l’univers Marvel est plus lumineux, moins torturé. La lecture du run de Daredevil par Frank Miller vous prouvera le contraire. M’est avis que ces épisodes de Daredevil sont à la base même du tournant sombre connus par de nombreux héros de l’univers Marvel : parmi eux, Luke Cage, Iron Fist, Jessica Jones. D’ailleurs, ce sont ces mêmes héros qui ont fait, ou qui feront, l’objet de séries produites par Netflix. Le travail de Frank Miller sur Daredevil a atteint son point culminant sur les chefs d’oeuvre que sont The Man Without Fear et Born Again !
Pour l’acheter : 3 volumes à 36 euros chacun, chez Panini Comics.
2- 1983-1984 : Ronin
Alors qu’il travaillait pour Marvel sur Daredevil, Frank Miller a également travaillé pour DC Comics sur une série intitulée Ronin, série qu’il a portée seul (scénario + dessin). Ronin est un samouraï du XIIIème siècle. Mais quand un démon tue son maître, il ne s’oppose pas. Devenu la honte de toute une nation, Ronin affrontera le Démon dans un XXIème siècle futuriste, pour se libérer de l’opprobre collée à son nom.
Moins connu que ses autres bandes-dessinées, Ronin est pourtant l’une des plus belles bandes-dessinées de tous les temps. Les six épisodes de cette série sont un condensé de ce qu’est l’oeuvre de Miller en 1983 et de ce qu’elle deviendra par la suite, jusqu’à aujourd’hui. Même si Ronin n’appartient pas au même univers que Daredevil, le samouraï a un point commun évident avec l’un des principaux personnages qui gravitent autour du Diable de Hell’s Kitchen : Elektra, la ninja. Tous deux rappellent cette passion de Miller pour le Japon. De même, ce personnage qui cherche à se venger met en exergue une thématique récurrente chez Miller (thématique qu’on lui a souvent reprochée, d’ailleurs) : celle de se faire justice soi-même. Ce sera le cas avec Strikes Again ou Holy Terror. Il n’empêche que la lecture de Ronin est une priorité absolue pour ceux qui ne connaissent pas cette magnifique bande-dessinée.
3- 1986 : The Dark Knight Returns ; 2001 : The Dark Knight Strikes Again ; 2015 : The Dark Knight The Master Race
En 1984, Frank Miller donne un uppercut magistral qui mettra K.O. le monde des comics. Son uppercut a un nom : The Dark Knight Returns. Son chef d’oeuvre. En imaginant un Batman vieillissant, aigri, violent, obligé de revenir pour sauver une Gotham plus ravagée que jamais par la violence, Frank Miller réécrit les codes du comic de super-héros. On y découvre un Batman à la fois sauvage, chevaleresque et égoïste, qui devra sauver Gotham des gangs, du Joker, et combattre le Gouvernement et Superman. Un chef d’oeuvre indispensable.
Le Dark Knight Returns de Miller aura deux suites. La première, The Dark Knight Strikes Again (sorti en 2001), qu’il a aussi dessinée, nous plonge dans la confrontation entre Batman, un gouvernement policier et Superman. Si cette suite n’est pas exempte de faiblesses (des dessins trop flashy, une aventure de Batman qui ressemble plus à une de La Ligue des Justiciers, un Chevalier Noir limité dans son rôle de chef de guerrilla anarchiste), Strikes Again est nécessaire pour tous ceux qui s’intéressent à la relation aussi compliquée que passionnante entre Le Chevalier de Gotham et le Fils de Krypton. En 2015, The Dark Knight revient avec un Frank Miller au top (si on ne prend pas en compte sa mauvaise santé), revigoré par sa collaboration avec le grand Brian Azzarello (Joker, Lex Luthor, Wonder Woman, 100 Bullets). Cette aventure, nommée The Master Race (par provocation) se veut être la quintessence de la confrontation entre Batou et Sup. Si Miller n’a plus le monopole décisionnel sur sa saga (déléguant même le dessin à d’autres), il n’empêche que The Master Race, c’est du Tonton Frank tout craché !
Pour l’acheter : The Dark Knight Returns : 22,50 euros, chez Urban Comics ; The Dark Knight Strikes Again : 22,50 euros, chez Urban Comics (réédité à partir du 4 mars 2016) ; The Dark Knight : The Master Race vol.1 : 14 euros, chez Urban Comics (à partir du 4 mars 2016) ; The Dark Knight : The Master Race vol.2 : 14 euros, chez Urban Comics (à partir du 24 juin 2016). Vous pouvez aussi lire les chapitres de The Master Race en VO pour à peu près 6 euros le chapitre (il y en a quatre).
4- 1987 : Batman : Année Un
Après le succès fulgurant de The Dark Knight Returns, Frank Miller revient avec une autre aventure Batman. La bonne nouvelle ? Année Un est l’un des quatre plus grands comics de tous les temps, avec Dark Knight Returns, Watchmen et Killing Joke. Si Miller avait imaginé dans son Dark Knight un Batman vieillissant, il prend le parti d’écrire les débuts du Chevalier Noir dans son Année Un. Bruce Wayne est de retour à Gotham après un long entrainement. Bien décidé à purger Gotham de la vermine qui la ronge, il décide de devenir l'Homme-Chauve-souris, symbole d'une peur qu'il compte bien infliger à tous les gangsters, même les plus puissants, même les plus redoutables. En même temps que lui, un jeune policier, nouvelle recrue de la Police, arrive en ville : Jim Gordon.
Miller a eu le génie d’aller là où on ne l’attendait pas. En un sens, Batman : Année Un est le reflet déformant de son Dark Knight Returns. Exit le Batman vieillissant, colérique, ultra-violent, égocentrique. Miller imagine les débuts d’un Chevalier, porté par la noblesse de ses ambitions. Pourtant, malgré cela, qu’il soit jeune ou vieux, Batman est faible. Et c’est cette faiblesse qui passionne Miller, et qui nous touche particulièrement. En un sens, la faiblesse est le leitmotiv de l’oeuvre de Frank Miller. Qu’elle soit physique ou morale, elle est omniprésente. Sans doute parce qu’elle est le premier ennemi que doit affronter le héros. Daredevil doit dépasser son handicap, Ronin doit combattre sa lâcheté, Batman doit trouver sa place dans un monde effrayé par lui. Si l’on considère cette faiblesse à vaincre comme colonne vertébrale de l’oeuvre de Miller, alors la lecture de son Master Race, écrit malgré son cancer, révèle une certaine beauté malheureusement trop incomprise dans l’oeuvre de cette légende.
Pour l’acheter : 15 euros, chez Urban Comics.
5- 1991-2001 : Sin City
Si Dark Knight Returns et Batman : Année Un sont considérés comme étant les deux plus grands chefs d’oeuvre de Frank Miller, Sin City demeure à ce jour son oeuvre la plus ambitieuse. Jamais Miller n’avait été aussi inspiré. Tout dans Sin City est révolutionnaire. L’histoire, d’abord : une chronique de la ville du pêché, où se croisent brutes mélancoliques, gangsters violents, flics corrompus, femmes fatales et des prostituées armées jusqu’aux dents. Sept tomes, sept épopées sauvages, violentes et poétiques, menés par une écriture ciselée, que Miller travaille depuis Daredevil. Les dessins, ensuite : un magnifique black and white, avec quelques couleurs à partir du tome 4, Cet enfant de salaud ! Jamais je n’avais vu une bande-dessinée si travaillée esthétiquement ! Une oeuvre d’art !
Sin City est peut-être l’oeuvre à laquelle Miller s’est le plus attachée. Il l’a d’ailleurs portée au cinéma à deux reprises, en co-réalisation avec Robert Rodriguez, dans Sin City (reprenant The Hard Goodbye (tome 1), The Big Fat Kill (tome 3) et That Yellow Bastard (tome 4)) et Sin City : J’ai tué pour elle (A Dame To Kill For (tome 2), Brooze, Broads and Bullets (tome 6)). Sin City rappelle la passion de Miller pour les villes tentaculaires. Que ce soit le quartier de Hell’s Kitchen (dans Daredevil), Gotham ou Sin City, Miller crée des villes si imposantes qu’elles semblent être des personnages intégrés au récit. Au travers de ces villes qu’on ne peut quitter, ces villes où la nuit semble régner, Miller fait une critique de l’Amérique contemporaine, une prison dont on veut véritablement s’échapper. Certains considèrent que Sin City est le dernier grand comic-book de Frank Miller… Bonne nouvelle, lors d’un Comic Con en 2015, Miller a annoncé qu’il préparait un huitième tome de sa saga culte ! On hâte de le lire !
Pour l’acheter : The Hard Goodbye, 20 euros ; J’ai tué pour elle, 20 euros ; Le Grand Carnage, 20 euros ; Cet enfant de salaud, 22 euros ; Valeurs familiales, 16 euros ; Des filles et des flingues, 20 euros ; L’Enfer en retour, 27 euros. Tous édités chez Rackham.
6- 1998 : 300
Alors qu’il révolutionnait, pour la troisième fois le monde des comics avec Sin City, Miller nous préparait un autre graphic novel extraordinaire : 300. Vous avez forcément vu le film de Zack Snyder. Maintenant, vous devez lire la bande-dessinée dont le film de Snyder est inspiré. Les Perses colonisent le monde. Mais 300 spartiates, menés par le roi Léonidas, résisteront à l’envahisseur.
300 est peut-être l’une des oeuvres les plus polémiques de Miller. Beaucoup y ont vu, dans cette confrontation entre orientaux envahisseurs et occidentaux qui résistent, une analogie raciste avec la situation actuelle des États-Unis et leur politique migratoire. Je préfère voir dans cette oeuvre une autre analogie. Celle d’une Amérique, représentée par les Spartiates, destinée à être détruite, puisque trop conservatrice. D’ailleurs, Miller avait confié à la National Public Radio : "Les cultures puissantes sont rarement conquises, elles s'effritent de l’intérieur." D’autant que si la société perse est intolérante et esclavagiste, la société spartiate l’est tout autant : misogyne, raciste, fasciste. Même les handicapés y sont éliminés. M’est avis que 300 est une bande-dessinée qui tape sur tout. Mais si la vision politique de Miller est (disons-le franchement) inintéressante, il n’empêche que les qualités graphiques de ce graphic-novel sont incomparables : avec son format à l’italienne, ses dessins dignes de Sin City et son écriture ciselée, 300 est une oeuvre à lire et à relire !
7- 2011 : Terreur Sainte
Terreur Sainte est l’oeuvre la plus polémique de Miller. Disons-le franchement, ce n’est pas un bon comic-book. Pourtant, il me semble important de lui rendre justice. Les dessins de Miller sont toujours aussi bons, l’écriture ciselée, bien que moins travaillée, fait mouche. Le problème, pour beaucoup, c’est l’histoire. Empire City est menacée par des terroristes. Le Fixeur, justicier à la croisée entre Batman et Daredevil, aidé de Cat Burglar, copie de Catwoman, part dans une croisade pour leur péter la gueule. Beaucoup ont vu dans cette bande-dessinée une morale raciste atroce, nauséabonde. Pourtant, il me semble qu’il faut creuser un peu notre lecture. Alors que nous vivons dans un monde en guerre, où les attaques terroristes se multiplient, qui n’a pas envie de voir éradiquée cette menace ? On veut tous que cela cesse. Se faire justice soi-même : la solution de Miller à un ennemi invisible. Autrement dit, Terreur Sainte n’est pas (à mon sens) une oeuvre raciste. C’est seulement l’oeuvre la plus naïve de son auteur. Cependant, sa lecture me semble essentielle pour comprendre son oeuvre.
Explications : quel est le point commun entre Daredevil, Ronin, Batman, Marv, Dwight et le Fixeur ? Tous se font justice eux-même. Voilà la véritable clé de l’oeuvre de Miller. Pour le scénariste américain, face à un gouvernement corrompu qui ne peut rien pour ses citoyens, se faire justice soi-même est la seule solution. Ceci explique le fait que le monsieur soit pour le port d’armes. On ne lit pas Miller pour sa philosophie : elle est bien trop naïve et irréaliste. Limite rétrograde. On lit Miller parce que ses dessins sont sublimes, que son écriture est à la fois violente et poétique, et que ça nous émeut, parce que ses personnages sont profondément humains, et que leur faiblesse révèle toute l’humanité de cet homme malade physiquement, rongé par son impuissance et sa peur. Ce qui a fait de Miller l’un des plus grands scénaristes de comics (presque au même grade qu’Alan Moore), c’est sa faiblesse. Une grande leçon de vie, non ?
Pour l’acheter : 25,50 euros, chez Delcourt.
Que lire d’autre ?
Si l’oeuvre de Miller vous a plus, vous pouvez pousser votre lecture en lisant les (très bons) Martha Washington (en collaboration avec Dave Gibbons, le dessinateur de Watchmen et de Kingsman). La série Hard Boiled vaut également le coup d’oeil. Ou son All-Star Batman and Robin. Vous pouvez aussi regarder The Spirit, film de super-héros qu’il a réalisé seul, cette fois.
Selon moi Terreur Sainte est assez similaire à All-Star Batman dans le sens où ce sont des oeuvres qui ne doivent pas être lu au premier degré, perso j'ai toujours eu l'impression qu'avec ces deux comics Miller se moquait dans un sens de lui même, de son oeuvre et de sa façon de penser, faisant exprès d'user de tous les clichés possible et d'extrapoler les choses afin de offrir quelque chose d'à la fois déconcertant et fascinant, par exemple pour beaucoup All-Star Batman est le pire comics Batman jamais fait mais avec le recul c'est un trip complètement décomplexé et dingue qui désacralise les différents protagonistes de manière inédite est loin d'être stupide.
Aussi comics que tu n'as pas mentionné mais qui est très intéressant, la mini-série Wolverine en 4 numéros écrite par Chris Claremont sortie en au début des années 80 où Logan se retrouve au japon, j'aime beaucoup cette histoire car elle apporte une grande noblesse au personnage qui n'est plus le simple bourrin que l'on pouvait voir avant mais un homme d'une très grande noblesse, on retrouve d'ailleurs dans ce comics souvent les notions du giri et du ronin ce qui préfigure l'oeuvre suivante de Miller.