Dossier : les plus grands réalisateurs japonais (1/2)
Alors que Hollywood, et d’une manière plus générale le cinéma américain dans son ensemble, semble rapporter tous les suffrages auprès du public, il est parfois important de se souvenir de réalisateurs non anglophones, et qui méritent toute notre attention. Étant donné l’admiration pour le Japon et la culture japonaise que l’équipe et la communauté Hitek partagent, nous vous proposons un dossier sur les plus grands réalisateurs japonais. La première partie de ce top est consacrée aux cinéastes tournant en prises de vues réelles. La seconde partie sera dédiée aux réalisateurs qui ont fait carrière dans le cinéma d’animation.
Akira Kurosawa
Sans aucun doute la figure tutélaire du cinéma japonais. Akira Kurosawa a réalisé 34 films, de 1941 à 1993. Mais plus que son impressionnante filmographie, on est ébahi par son aisance dans tous les genres. Que ce soit dans la reconstitution historique (Les sept samouraïs), le drame (Madadayo) et la comédie (La Forteresse cachée), il démontre toute son habilité à raconter et à tisser des histoires.Avec son style particulièrement dynamique, il a su à la fois conquérir un Japon, dont la culture cinématographie se retrouvait enlisée par un style qu’il jugeait lui-même trop contemplatif, et un public occidental, assoiffé de dynamisme. Le dynamisme est d’ailleurs l’une des plus grandes forces du cinéma de Kurosawa. Mais il était également profondément perfectionniste, et cela se ressent dans ses plans, très travaillés. On ne dira jamais assez l’influence que Kurosawa a eu sur la culture japonaise et le cinéma occidental. Ce monstre du cinéma a influencé aussi bien Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, Martin Scorsese que George Lucas, qui l’ont tous aidé à produire ses derniers films, alors que sa renommée au Japon périclitait, du fait qu’il était jugé trop "occidentalisé". Ce qui est une aberration en soi… Beaucoup de réalisateurs japonais continuent à se réclamer de Kurosawa, parmi lesquels Hayao Miyazaki, dont le chef d’oeuvre, Princesse Mononoké, peut être vu comme un hommage au grand maître, dont il partageait les valeurs humanistes et écologiques.
Yasujiro Ozu
Autre géant du cinéma japonais, Yasujiro Ozu peut être vu comme étant l’anti-Akira Kurosawa. Alors que ce dernier, par son montage et sa réalisation dynamiques, devenait, aux yeux de ses compatriotes, le plus occidental des japonais, Yasujiro Ozu, avec des films introspectifs, filmés à hauteur de tatami, devenait le plus nippon des réalisateurs japonais. À tel point qu’il a souvent été boudé par la critique occidentale, et ce jusqu’à sa mort. Aujourd’hui, considéré comme une figure majeure, tutélaire même, du cinéma japonais, Ozu fascine par son étude de la famille japonaise, confrontée aux évolutions sociales. Ses films majeurs, Le goût du Saké, Crépuscule à Tokyo ou encore Herbes flottantes montrent à la fois toute l’inventivité d’un cinéaste finalement trop peu connu, mais aussi son incompatibilité avec une époque dans laquelle il semble ne jamais pouvoir s’intégrer totalement. C’est peut-être pour ça qu’Ozu a longtemps renâclé à quitter le cinéma muet et le cinéma en noir et blanc. Ce que j’aime particulièrement dans l’oeuvre de Yasujiro Ozu, c’est qu’elle dévoile toujours ce qu’il est profondément. Si une analyse contemporaine et européenne de ses films pourrait y voir un discours quelque peu identitaire, il serait dommage de ne se limiter qu’à ces analyses-là. Il n’en demeure pas moins que ce réalisateur majeur a su capter l’essence du Japon à différentes époques et qu’il mérite toute notre attention.
Nagisa Oshima
Troisième grande figure du cinéma nippon, Nagisa Oshima se distingue du cinéma d’Akira Kurosawa et de Yasujiro Ozu par un cinéma plus brutal, plus scandaleux. Dans son étude des mœurs japonaises de son époque, Yasujiro a su transcender toutes les barrières avec une efficacité exceptionnelle, dont il a résulté une certaine aura que Lars von Trier, le réalisateur danois de Breaking the waves et de Nymphomaniac, ne pourrait que rêver. Son plus grand film, mais aussi son plus grand scandale, demeure aujourd’hui encore L’empire des sens. Tiré d’un fait divers, ce film contient des scènes de sexe non simulées et à été considéré comme étant pornographique dans de nombreux pays, dont le Japon. On notera également son film Furyo, avec David Bowie dans le rôle principal, et qui raconte la relation ambiguë entre un soldat britannique et un soldat japonais pendant la Seconde Guerre mondiale.
Takeshi Kitano
A la fois réalisateur, scénariste et acteur principal de ses propres films, Takeshi Kitano est un artiste ambivalent. Comme pour souligner cette ambivalence, il utilise deux noms : Takeshi Kitano pour la réalisation, Beat Takeshi pour l’acting. Principalement connu pour ses films de gangsters où la violence extrême côtoie une mélancolie qui semble typiquement japonaise, tels que Sonatine ou Aniki mon frère, Takeshi Kitano est également à l’aise dans des films plus légers, tels que Kikujiro, assurément un de ses meilleurs films. Son plus grand chef d’oeuvre restant, selon moi, Zatoichi, un film dans lequel il interprète un samouraï se faisant passer pour aveugle dans le Japon du XIXème siècle. Souvent accompagné par Joe Hisaishi, le compositeur attitré de Hayao Miyazaki, ses films sont souvent des drames, où la violence, l’amertume et la poésie se côtoient, et montre à quel point Takeshi Kitano / Beat Takeshi est un artiste infiniment complexe. Cette ambivalence dont on parlait tout à l’heure est d’ailleurs marqué sur son visage, dont un côté a été paralysé suite à un accident.
Hirokazu Kore-eda
Grand habitué du Festival de Cannes, Hirokazu Kore-eda est devenu le maître nippon du drame familial. Véritable héritier de Yasujiro Ozu, il conte souvent, dans ses histoires, l’histoire d’enfants, livrés à eux-mêmes, comme dans Nobody Knows. Le lien parents / enfants semble par ailleurs le véritable leitmotiv de son œuvre, puisqu’il s’agit du thème de Nobody Knows, I wish, Tel père tel fils (un de ses films les plus réussis), Après la tempête et Notre petite sœur. Il a par ailleurs récemment reçu la Palme d’Or pour Une affaire de famille. Mais il peut arriver que Kore-eda quitte son domaine de prédilection pour des productions plus risquées, telles que le thriller The Third Murder ou encore Air Doll, l’histoire d’une poupée gonflable qui devient humaine.
Kiyoshi Kurosawa
Kiyoshi Kurosawa n’a rien à avoir avec Akira Kurosawa, si ce n’est leur amour pour le cinéma. À l’aise à la fois dans le polar, le fantastique et le drame, Kurosawa navigue entre ces trois genres avec beaucoup d’aisance. Si sa carrière ne décolle véritablement qu’à partir de Cure, c’est à partir du diptyque Shokuzai que le réalisateur atteindra son rythme de croisière, avec à peu près deux films par an. Son œuvre sera enfin récompensée à Cannes, en 2015, avec Vers l’autre rive, une magnifique histoire de fantômes qui obtiendra le Prix de la mise en scène de la section "Un certain regard".
Sion Sono
Très certainement mon coup de coeur de la sélection. Réalisateur japonais complètement barré, dont la folie semble être le principal leitmotiv de son œuvre, Sion Sono livre une œuvre tantôt burlesque, tantôt ultra-violente, tantôt les deux à la fois. Si tout n’est pas bon dans son œuvre (je n’ai par exemple pas du tout aimé Suicide Club, bien qu’il s’agisse d’un film culte, et encore moins Strange Circus, qui provoque nécessairement un malaise au-delà de l’imaginable), certaines de ses œuvres m’ont absolument bouleversé. The Land of Hope, par exemple, qui se focalise sur la folie d’une femme tétanisée par l’après-Fukushima. Ou encore Cold Fish, qui raconte comment la vie d’un marchand de poissons se transforme en cauchemar lorsqu’il rencontre un autre marchand de poissons, mais qui s’avère être un tueur en série. Ou encore Himizu, autre film de l’après-tremblement de terre de 2011, où Sumida, un jeune homme désespéré et délaissé par sa mère alcoolique, trouvera peut-être la force de vivre dans un monde devenu fou grâce à Keiko, belle jeune fille amoureuse de lui. Ce film mérite d’être vu ne serait-ce que pour son final grandiose, avec ce plan séquence où Sumida court en pleurs, face caméra, suivit par Keiko qui lui hurle "Sumida Ganbare". Une scène qui déchire le coeur.
On pourrait aussi citer Love Exposure, son chef d’oeuvre, et très certainement un des meilleurs films qui m’ait été donné de voir depuis Old Boy du coréen Park Chan-wook. Ce film de quatre heures, impossible à résumer, est un monument malheureusement trop peu connu. Audacieux dans les thèmes qu’il aborde autant que dans la manière de les aborder, audacieux également dans sa réalisation, il s’agit d’un film que nous devrions tous voir une fois dans notre vie. On se souviendra de cette scène en plan fixe, où Yoko récite sur la plage à Yu le chapitre 13 de la lettre aux Corinthiens, dans la Bible. Une scène de quatre minute, soutenue par la Septième symphonie de Beethoven, et qui fait partie des plus belles scènes du cinéma mondial. Love Exposure est un film violent, poétique, drôle, triste, qui nous fait passer par toutes les émotions possibles et imaginables.
Prochainement, la partie 2 de ce classement, centrée sur les réalisateurs officiant pour le cinéma d'animation.