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Dossier : la fiction et le jeu vidéo

De Tiphaine Elsener - Posté le 11 avril 2019 à 10h12 dans Jeux vidéo

La fiction et les jeux vidéo, c'est toute une histoire, une très longue histoire, même. La fiction est un espace entre l’intérieur et l’extérieur : on est plongé dans un lieu bien spécial, dans un entre-deux où l'on se crée une nouvelle réalité. Avec les jeux vidéo, notre rapport à la fiction a changé, et c'est plutôt positif. Alors brisons les préjugés existants sur les jeux vidéo et intéressons-nous de plus près à la dimension fictionnelle des jeux qui vous ont sûrement marqués par le passé.

La fiction, c'est quoi ? 

Dans certaines bibliothèques, et notamment aux Etats-Unis, les livres sont séparés en deux. D’un côté vous trouverez les livres de fiction, et de l’autre, les livres qui n’en sont pas (les livres historiques, par exemple). S'il y a une telle distinction, c'est pour montrer que le réel n'a rien à faire avec le fictif, et que tout deux sont même diamétralement opposés. La fiction, c’est l’inverse du réel : on sort de notre réalité pour entrer dans un monde qui n’est pas le nôtre.

Or, la fiction, on peut la retrouver dans des domaines très différents. Les livres, puis le cinéma, ont permis à de nombreuses personnes de s’évader, de se créer un univers mental bien loin de leur vie terrestre. Sont nés ensuite les jeux vidéo, une véritable révolution pour la fiction. Si déjà auparavant on pouvait ressentir autant de choses en lisant ou en voyant à l'écran des personnages vivre leurs aventures, qu’est-ce qu’on devrait ressentir en incarnant nous-même ces personnages ! 

L'empathie, obligatoire pour profiter d'un jeu en ligne ?

"Les émotions que l'on ressent lorsqu'on joue", voilà une piste qui permet d'expliquer pourquoi on plonge si facilement dans une fiction ! Et si on évoque les émotions, l'empathie est peut-être la plus importante d'entre toutes. L'empathie, c'est la capacité à ressentir les émotions de quelqu'un d'autre. Une personne est très empathique si elle a une grande facilité à se mettre à la place d'autrui. Vous commencez à voir le lien entre l'empathie et le fait d'incarner un personnage de jeu vidéo ?

Donc, primo, lorsque vous jouez, vous ressentez de l'empathie. Mais peut-on aller plus loin, est-ce que les jeux favoriseraient l'empathie ?  Eh oui Jamy ! C'est même Paul Darvasi, professeur au Collège Royal St-George à Toronto, qui le dit :

 Il est difficile d’avoir de l’empathie si vous ne pouvez pas vous mettre dans la perspective de quelqu’un d’autre. Les jeux vidéo vous permettent de supposer des perspectives sous une forme incarnée.

En d'autres termes (moins complexes), les jeux vidéo vous permettent d'expérimenter d'autres choses, de réaliser des actions que vous n'auriez pas pu faire dans votre vie de tous les jours. Eh oui, les jeux vidéo vous permettent de découvrir d'autres "perspectives", d'autres aventures ! Il y a peu de chances en effet que vous deviez sauver votre collègue d'une collision imminente entre deux vaisseaux spatiaux, ou que vous deviez arpenter toute la jungle amazonienne pour trouver une plante nécessaire à la confection d'un remède qui sauvera votre copine.

Mais alors comment arrive-t-on à se projeter dans des situations invraisemblables aussi facilement ?

La Fiction avant les jeux vidéo

Grâce à l'empathie, on parvient donc plus facilement à se mettre dans la peau de personnages virtuels. Mais comment entre-t-on vraiment dans la fiction, cette chose abstraite ? Pour y répondre, on se doit de faire un petit tour d'horizon de la fiction dans les jeux vidéo, et de ce qu'elle engendre.

On a l’habitude d’entendre des personnes dire que les jeux vidéo sont « dangereux », et notamment les FPS (jeux de tir à la première personne), qui seraient, selon ces mêmes personnes, des déclencheurs de pulsions criminelles. Alors, les FPS ont-ils vraiment été la cause de crimes passés ?

Aucun lien direct n'a été démontré pour l'heure, et tout d'abord, il faut se souvenir que ce type de mise-en-garde existait bien avant que les jeux vidéo n'apparaissent. Les films et les livres étaient déjà pointés du doigt ! Oui, la fiction a toujours fait peur. Dans les siècles précédents, on lisait même régulièrement des critiques dans les colonnes des journaux qui attaquaient les romans de gare, ces romans à tendance romantique qui fascinaient les jeunes gens. On disait de ces romans qu'ils pouvaient être dangereux pour les jeunes filles qui les lisaient. Pourquoi ? Parce qu'ils leur faisaient tourner la tête pardi ! Comment une jeune femme pourrait-elle accepter de se marier avec un homme qu'elle juge très moyen (pour ne pas dire mauvais) alors qu'elle a lu des histoires si belles sur des hommes chevaleresques ? Non, décidément, la fiction avait de biens mauvais côtés. Il fallait rester terre-à-terre, et empêcher cette jeunesse de se "perdre" dans la fiction.

Si la fiction fait aussi peur, et surtout dans les jeux vidéo, c'est sans doute en partie parce que ceux qui ne jouent pas ont l'impression que l'on se "perd" dans des futilités. Et on ne peut le nier : on se perd dans des mondes virtuels, mais on apprécie s'y perdre.

La fiction avec le règne des jeux vidéo

S'il y a une chose qui a pu être mesurée, comme on le verra par la suite, c'est le fait que vous soyez plus immergé dans un jeu vidéo que dans un film ou un livre, et ce, pour plusieurs raisons. Mais comment peut-on mesurer cette immersion dans le monde irréel, me direz-vous ?

Et bien, on pourrait presque créer une échelle (comme l’échelle de Richter) mais au lieu de mesurer la force des tremblements de terre, vous pourriez mesurer votre immersion dans les jeux. 

Avec cette échelle, on obtient donc les résultats suivants : on est moins immergé dans les films que quand on crée un personnage dans Les Sims, et on est moins immergé dans Les Sims que lorsque l'on joue à World of Warcraft par exemple. Pourquoi ? Parce que le monde des Sims est plus proche du vôtre que celui de Wow.

Dans le premier cas, vous construisez un monde qui est similaire au vôtre, ce qui explique pourquoi vous ne jeterez très certainement pas votre ordinateur par la fenêtre s’il arrive malheur à votre personnage (encore que…). Dans le second cas, en incarnant un personnage de Wow, vous vous démarquez totalement de la réalité, et vous vous enfoncez donc un peu plus dans les méandres de la fiction. Ce personnage qui ne ressemble à rien de ce que vous connaissez dans la vraie vie, c'est vous, vous au sein d'un monde qui est très éloigné du monde réel. C'est tellement éloigné de ce que vous connaissez, que votre seul repère, c'est vous-même, ce personnage auquel vous vous êtes habitué. Avec ce nouveau corps, vous voulez devenir plus fort, plus grand, le meilleur, en somme.

Tout cela nous amène aux réactions que certains joueurs peuvent avoir après avoir perdu une game par exemple.

Des réactions disproportionnées ? 

Si certaines personnes jugent que les réactions des joueurs sont parfois disproportionnées, elles sont en tout cas révélatrices d'une chose : le joueur est très immergé dans sa partie (ou il est très mauvais joueur, selon les cas).

Plus sérieusement, la relation entre un joueur et son personnage (ou son avatar) est très intéressante concernant les jeux vidéo (pour les jeux en face à face, c'est un peu différent). Dans le jeu vidéo, les rôles sont institutionnalisés comme dans la société. On évolue selon une certaine hiérarchie. Si l'on fait partie d'une guilde par exemple, on est, au choix, un membre de la guilde ou le dirigeant de cette dernière. 

Le joueur qui retrouve son personnage régulièrement va s'attacher à lui, tout simplement parce qu'il représente son corps dans le monde virtuel. Un article paru dans la revu Psychothropes nous explique d'ailleurs parfaitement le lien qui existe entre un joueur et son personnage : 

L’espace virtuel entraîne un dédoublement virtuel de notre corps : la souris est l’extension de notre main et le curseur est la projection de cette même main dans l’espace virtuel. Ce n’est plus notre corps physique qui fait l’expérience de ce déplacement, mais notre corps « mental ».

Puisque l'avatar que nous jouons nous fait ressentir des choses, l'envie d'avancer dans la partie se fait plus forte. C'est à nous, quelque part, qu'il arrive toutes ces aventures. Comment, dès lors, peut-on accepter de perdre ou de mourir ? Impossible de s'y résigner ! Voilà donc pourquoi autant de joueurs opèrent ce fameux "ragequit". Trop, c'est trop.

Et si vous pensez ne pas vous attacher à des personnages dans les jeux en ligne, des personnages que vous utilisez pour une game seulement, comme dans League of Legends par exemple, détrompez-vous. Si vous choisissez de jouer un personnage qui deviendra votre "main" plutôt que d'autres, c'est parce que leurs facultés à ce moment précis, leur skin, ou autre, vous a décidé à le choisir lui plutôt qu'un autre (ceux qui choisissent un personnage en mode aléatoire ne sont pas pris en compte ici). Quelque soit le personnage, il est votre avatar dans cette partie, et qu'il se fasse laminer par l'autre team, c'est insupportable.

Ce lien est encore, évidemment, bien plus fort dans les jeux vidéo RPG. Les joueurs de jeux de rôle sont ceux qui s’attachent le plus à leur propre personnage. Les RPG nécessitent en effet de se mettre à la place du personnage que l'on joue. C'est là où l'on en revient à l'empathie ! Et aux réactions qui vont avec. 

Maintenant que le lien entre fiction et jeu vidéo est un peu plus clair, il reste à savoir s'il peut encore évoluer dans le futur, et cela nous amène à la réalité virtuelle.

La VR va-t-elle encore faire évoluer le lien entre fiction et jeu ?

Si on parle d'immersion, il est dur de ne pas penser à la Réalité Virtuelle (VR). Tester l'expérience à 360 degrés, cela va-t-il changer notre rapport à la fiction ? Est-ce qu'on va se sentir encore plus immergé dans le jeu vidéo ? 

Pour l'instant, la VR n'a pas été la révolution que l'on attendait. Les salles de cinéma accueillent toujours le même nombre de personnes, preuve que la VR n'a pas remplacé tout le reste. On peut quand même s'attendre à ce que la réalité virtuelle continue à se démocratiser. Le meilleur reste-t-il encore à venir ? Sûrement, bien que les jeux d'horreur en VR restent cependant très immersifs, de même que les jeux qui souhaitent vous procurer des sensations fortes (tels que ceux qui vous entraînent dans un parc d'attractions, par exemple). 

Il faudra certainement quelques années supplémentaires pour faire un constat, et savoir si la VR a vraiment impacté notre rapport à la fiction.

La science et les jeux vidéo

Enfin, si tout cela vous paraît très théorique, sachez qu'il existe des preuves scientifiques à tout cela. Un système d'électrodes a par exemple été mis au point afin de mesurer le degré d'immersion dans la fiction entre un joueur de jeu vidéo, un lecteur ainsi qu'un spectateur de film. Comme expliqué précédemment, c'est le joueur qui se retrouve le plus immergé dans la fiction !

Dernier point, si vous voulez encore défendre les jeux vidéo face à votre entourage, sachez que jouer régulièrement améliorerait vos réflexes. Un article paru dans la revue SciencesHumaines l'explique : 

Depuis les récentes découvertes sur la plasticité cérébrale, on sait que l’environnement peut modifier les connexions synaptiques du cerveau. Une exposition répétée de l’organisme à un environnement visuel donné (un jeu vidéo par exemple) peut donc affecter à plus ou moins long terme les processus cognitifs qui traitent spécifiquement cet environnement.

Avec tout ça, vous ne manquerez pas d'arguments pour défendre l'idée que les jeux vidéo ont du bon, et notamment le pouvoir de vous libérer de votre quotidien pour intégrer un monde tout nouveau. Comment se passer, de nos jours, de l'adrénaline qui nous prend lorsqu'on débute un nouveau jeu ? Tout bonnement impossible.

Une erreur ?

Source(s) : Quechoisir Lusor in fabula Lesinrocks Scienceshumaines (CAIRN) SEYS, B. Jeux et Internet : quelques enjeux psychologiques et sociaux Psychologik L'éveilleur

Mots-Clés : fictioncerveaujeu vidéoimmersion

Salut moi c'est Tiphaine, grande passionnée de littérature et de culture geek. Je suis passée par un Master en Lettres Modernes parcours "Médias" à Paris III, et me voici rédactrice pour Hitek ! Je suis incollable sur le rétrogaming, sur les animes, et j'ai toujours un jeu de mots bien pourri en stock. Autant vous dire que mes collègues m'adorent le lundi matin de bonne heure.

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Commentaires (5)

Par LinkTePiste, il y a 5 ans :

Ah la VR, le champ des possibles que ça ouvre ... Plus besoin d'effacer un historique ...

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Par Maisouimaisnon, il y a 5 ans :

"Si certaines personnes jugent que les réactions des joueurs sont parfois disproportionnées, elles sont en tout cas révélatrices d'une chose : le joueur est très immergé dans sa partie (ou il est très mauvais joueur, selon les cas)."

Ils sont juste mauvais joueurs, peu importe l'angle sous lequel tu l'analyses, un rageux ne rage pas juste parce que tu a gaché son immersion, mais parce que tu le fais chier en le butant alors qu'il se croit bon

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Par MarcoPoli, il y a 5 ans (en réponse à Maisouimaisnon):

Yep mais j'pense que du coup la rage de renforce encore parce que tu es à fond dans ta game, en plein dedans quoi !

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Par Meliodas, il y a 5 ans via l'application Hitek :

Pour quand un prototype de nerve gear ?

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Par Embu, il y a 5 ans :

Article bien écrit, merci Elsener

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