Interview de Nicolas Courcier, co-fondateur de Third Editions et spécialiste des jeux vidéo
Les jeux vidéos sont devenus quasi-omniprésents, de nos jours. Au début cantonnés dans nos salons, ils sont aujourd'hui présents sur nos ordinateurs, nos consoles portables, nos téléphones mobiles et nos tablettes. Ils sont devenus si populaires qu'ils sont passés de simples loisirs à objets d'études universitaires. Rien d'étonnant donc qu'une maison d'édition française, Third Editions, se soit spécialisée dans le jeu vidéo. Depuis quelques années, cette success story française publie des études approfondies sur Zelda, Metal Gear Solid ou Kingdom Hearts. Un de ses deux co-fondateurs, Nicolas Courcier, a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Tu as fondé, en 2015, les Editions Third, Peux-tu nous raconter ton parcours?
Third est une maison d’édition que j’ai fondée avec mon associé, Medhi El Kanafi. Avant Third, on travaillait déjà dans l’édition sur le jeu vidéo, depuis cinq ou six ans. On a toujours été passionnés par les jeux vidéos et par la presse spécialisée sur ce médium. On en achetait beaucoup en librairie, quand nous étions plus jeunes. On s’est toujours dit qu’on voulait travailler dans ce domaine, en fait. On a donc fait chacun nos études de notre côté, tout en se disant qu’une fois nos études terminées, on se lancerait dans l’édition de livres sur les jeux vidéos. En 2010, nous avons fondé notre première société, Console Syndrome Editions. On a sorti quatre ou cinq livres, notamment sur Zelda, qui ont très bien marché. Au bout d’un an et demi, on s’est fait racheter par Pix’n Love, une maison d’édition déjà bien établie sur le marché et qui fonctionnait bien, et avec laquelle on avait des accointances et une complémentarité au niveau de l’offre. On a travaillé avec eux pendant trois ans et demi. Et en 2015, on a voulu à nouveau travailler seuls, tous les deux. On a donc fondé Third.
Quel jeu t’a donné cet amour si profond pour le médium vidéo-ludique ?
Dur à dire, parce qu’il y en a quand même plein… C’est vrai que, de par mon histoire personnelle, je suis plus orienté jeux japonais, et plus particulièrement jeux Nintendo. Comme beaucoup de gens, j’ai débuté avec Mario et consorts. Après, si je devais citer d’autres séries, je dirais les Zelda et les Metal Gear Solid.
C’est vrai que quand on prête un peu attention à votre catalogue, on ne peut s’empêcher de remarquer que les jeux vidéos japonais occupent une place prépondérante. Comparativement, les jeux occidentaux occupent une place bien moindre. Comment expliqueS-TU CELA ?
Comme je te disais, c’est une histoire d’affect personnel. Je suis très jeux japonais, très Nintendo ; Mehdi, mon associé, est également très jap, très RPG aussi (c’est pourquoi nous avons sorti des livres sur le genre du Jeu de Rôle). Je pense que comme beaucoup de joueurs de 30-35 ans, on a découvert les jeux vidéos à une époque où c’était plutôt le Japon qui dominait le marché, donc on a été élevés avec ces jeux-là. Après, pour tout ce qui est PC et plus généralement jeux occidentaux, on s’y est mis un peu par la force des choses, par curiosité. Il me semble que c’est avec la PS3 que l’Occident a su avoir le lead dans le marché, avec des sagas qui ont fait l’unanimité, comme Uncharted ou Mass Effect. Après, tout ce qui est jeux de rôle occidentaux, ce n’est pas vraiment notre came à Mehdi et moi, en tant que joueurs, mais on a essayé d’aller explorer ces univers-là pour des bouquins, étant donné l’immense succès qu’ils ont auprès des joueurs. Half Life c’est un peu Zelda pour les joueurs PC. Mais ça reste pour nous une démarche moins naturelle. Mais on a quand même trouvé des auteurs qui étaient à fond là-dessus, ce qui nous a permis d’équilibrer notre offre.
Dans votre livre The Legend of Zelda – Chroniques d’une œuvre, on peut lire : "Une bouillie de pixels ! Voilà comment en résumé pourraient être décrits les graphismes proposés par les jeux de la Famicom ou des machines concurrentes de l’époque. Pourtant, c’est le cœur serré que les joueurs des années 80 se remémorent avec nostalgie les expériences vidéo-ludiques d’alors..." Alors,Nostalgique ?
Oui, il y a une nostalgie de cette époque, forcément. Parce que c’est lié aux souvenirs d’enfance. C’était une période de découverte : le moindre jeu qu’on pouvait se procurer, c’était la découverte d’un nouveau genre, d’une nouvelle histoire, de nouveaux horizons. Il y a vraiment, dans les souvenirs, un côté "époque dorée". Mais (et je parle pour moi comme pour Mehdi) on n’est pas du tout dans le "C’était mieux avant, aujourd’hui c’est tout pourri." C’est juste différent. C’est vrai qu’à l’époque, ça laissait plus de place à l’imagination, justement parce que la technique n’était pas assez développée. Mais on est très contents des jeux qui sortent aujourd’hui. On joue toujours autant, voire plus aujourd’hui qu’avant. Donc oui, il y a de la nostalgie, mais c’est le "bon côté de la nostalgie". Pas une nostalgie aigrie.
Penses-tu que Le spectaculaire, aussi impressionnant et beau soit-il, peut également s’avérer une faiblesse insidieuse de ce médium ?
C’est corollaire à l’évolution de la technologie. Les créatifs ont accès à des machines plus puissantes, s’en suit une course au réalisme et au spectaculaire. Mais c’est parce que la technologie le permet. J’ai l’impression, par contre, que ça commence à se tasser aujourd’hui. Un jeu comme le dernier God of War, je ne sais pas si t’y as joué, je trouve qu’il a une approche moins tape à l’œil. Le jeu reste super beau, avec des séquences complètement folles, mais on sent que le but n’est pas d’en mettre plein les yeux. Il y a derrière un côté plus posé, plus mature. Mais tout ça dépend de la personnalité des gens qui forment les équipes de développement, qui n’ont peut-être plus vingt ans et qui ont envie d’autres choses. Je pense que petit à petit, on va aller moins vers le spectaculaire pur, pour d’autres alternatives.
Dirais-tu que le jeu vidéo est un Art ?
Je pense que oui. Une chose est sûre, c’est que le jeu vidéo fait intervenir plusieurs arts différents. Après, je parlerais plus facilement du jeu vidéo comme étant une culture à part entière.
En lisant votre livre sur Zelda, je me suis rendu compte que la très grande majorité des jeux tendaient vers l’universalité. pouvons-nous craindre, à terme, une certaine uniformisation du médium vidéo-ludique ?
Une uniformisation ? Oui, c’est possible… C’est vrai qu’aujourd’hui, avec internet, on a tendance à avoir tous accès aux mêmes choses et en même temps, ce qui n’était pas forcément le cas à l’époque. Par exemple, tu avais des jeux japonais qui sortaient chez nous avec deux-trois ans de retard. Aujourd’hui, n’importe quelle grosse production, qu’elle soit américaine ou japonaise, sort le même jour dans le monde entier. Sur internet, on peut discuter avec des joueurs du monde entier. Les goûts se sont donc un peu mélangés, et il en résulte des modèles assez proches. Mais je ne pense pas non plus qu’on aura tout le temps les mêmes jeux, et qu’ils vont tous se ressembler, parce qu’on a quand même des artistes qui bossent là-dessus. D’autant que s’il est vrai que des jeux qui démontrent une spécificité japonaise, il n’y en a pas cinquante, chacun de ces jeux possède sa propre spécificité, et c’est le plus important. Donc je ne m’inquiète pas.
Pouvons-nous dire que ce réalisme, qui se dessine de plus en plus dans les jeux vidéos actuels, tend finalement à assouvir le fantasme du joueur ? Par exemple, le joueur qui joue à Red Dead Redemption ne réalise-t-il pas son fantasme de vivre pendant la Conquête de l’Ouest ? En somme, on peut se demander si les motivations du joueur des années 2010 sont vraiment les mêmes que celles du joueur des années 80.
Leur fantasme ? Je ne sais pas… Je pense que pour certains, effectivement, c’est un fantasme qu’ils réalisent, parce qu’ils sont, par exemple, passionnés par la Conquête de l’Ouest. Après, je pense que le plus important, c’est que les jeux vidéos répondent à un besoin de dépaysement. De plus, je ne suis pas sûr que ce soit spécifique à aujourd’hui. À l’époque, les jeux vidéos étaient moins jolis, parce que techniquement ce n’était pas possible, mais quand t’as huit ans et que tu joues à la Nes, ça a le même pouvoir d’immersion que pourrait avoir aujourd’hui Uncharted 3 pour un joueur d’aujourd’hui. On n’avait simplement pas le même référentiel. Mais un jeu qui, sur Super Nes, avait une intro en dessin animé, ça en mettait plein les yeux de la même manière qu’Uncharted aujourd’hui.
Qu’est-ce que la VR va apporter au genre vidéo-ludique ?
C’est un peu la grande question du moment. C’est sûr que c’est une technologie qui a beaucoup de potentiel. C’est impressionnant, certaines expériences sont vraiment cool. Ceci dit, pour l’instant, ils patinent un peu pour inscrire cette technologie dans le cadre d’un "vrai jeu vidéo". Les expériences sont plutôt passives, limitées. Ça peut avoir son charme, il n’y a pas de soucis. Mais reste à savoir si c’est compatible avec une aventure classique. Après, on verra bien avec l’évolution des technologies. Après, si la proposition est trop faible, les gens n’achèteront pas et cette technologie risque de ne pas atteindre sa maturité.
Vous proposez également, dans votre catalogue, un livre sur Hayao Miyazaki et un livre hommage à Dragon Ball. Third Editions va-t-il devenir une maison d’édition spécialisée dans la culture pop, ou les jeux vidéos resteront votre domaine de prédilection ?
Le jeu vidéo restera notre domaine de prédilection, oui. Mais c’était notre volonté dès le départ de lancer un label pop culture, et de traiter de cinéma, de séries ou d’animation. Ce sont des sujets qui nous intéressent aussi. Le jeu vidéo reste une passion et sans aucun doute notre passion qui nous prend le plus de temps, mais on aime aussi d’autres médiums, d’autres arts. Même si cette dimension ne sera jamais égale au jeu vidéo dans notre production, on va faire en sorte que le label occupe de plus en plus de place.
J’ai vu sur votre page Facebook que vous proposiez un concours d’écriture. Tu peux nous en parler ?
Au départ, on a eu envie d’apporter un peu de sang frais dans notre production. On sait que pas mal de gens n’arrivent pas à passer le cap pour pleins de raisons. La création de ce concours d’écriture, c’est pour nous un moyen de leur tendre la main et de leur proposer une alternative. Ainsi, des personnes qui n’avaient pas nécessairement idée d’écrire sur le jeu vidéo pourront avoir un point d’accroche dans ce domaine. D’où l’idée du tremplin. Il y a donc un thème bien précis, le jeu vidéo ; des cadeaux à gagner. Il y aura une pré-sélection en interne. Le jury déterminera le gagnant parmi les trois finalistes. Et le gagnant gagnera 2000 euros, et aura un contrat de publication avec nous. Ensuite, on va faire en sorte de mettre sur les réseaux sociaux chacune des étapes de la création de ce livre, afin que les lecteurs de notre maison d’édition puissent se faire une idée concrète de l’écriture et de la publication d’un livre. La dernière étape sera donc la publication et la distribution du livre. Ça nous ferait très plaisir de pouvoir révéler des auteurs talentueux.
Que répondrais-tu aux politiques, intellectuels et médecins qui prétendent que le jeu vidéo est un déclencheur de la violence chez les jeunes ?
Il me semble que 90 % des gens arrivent à faire la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. Et ce qui n’y arrivent pas ont un problème à la base, qui n’est pas inhérent au jeu-vidéo, et sont traités pour ça. Et pour ces personnes, ce problème se posera aussi bien avec le cinéma et la littérature. Je ne trouve pas ça anormal qu’un mec veuille écraser tout le monde dans GTA ou exploser les genoux d’un cow-boy dans Red Dead Redemption, parce que ça ne fait pas de lui quelqu’un de dangereux dans la vraie vie. On peut se permettre ça dans un jeu, parce qu’il n’y a aucune conséquence, à la fois du point de vue de la loi, mais également du point de vue personnel. On ne fait de mal à personne. Les gens qui se font écraser dans GTA n’existent pas. De plus, le jeu vidéo à un côté cathartique. Je pense même que le jeu vidéo peut avoir un effet bénéfique. Le mec qui passe une mauvaise journée au boulot, il se pose dans son canapé, allume sa console, se défoule un peu, et repart après tranquillement mener sa vie.
Quels sont vos projets ?
Déjà garder notre niveau d’exigence qu’on a aujourd’hui. Ensuite, notre plus gros boulot, actuellement, c’est sur le marché international. On a déjà publié des bouquins en anglais, à peu près une dizaine. On désire proposer notre catalogue à un maximum de lecteurs.