Utopia : pandémie et complotisme au programme de la série déjantée d'Amazon

3 novembre 2020 à 21h40 dans Séries TV

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Amazon Prime Video a le sens de l'à-propos. Alors que le monde entier est bouleversé par la pandémie de Covid-19, le SVOD propose un étrange remake de la série britannique parlant de complots internationaux en temps de pandémie. 

Utopia : pandémie et complotisme au programme de la série déjantée d

Where's Jessica Hyde ?

Avant d'être une série américaine Amazon Prime Video, Utopia est une série britannique en deux saisons, parue entre 2013 et 2014 sur la chaîne anglaise Channel 4. Moins connue que d'autres séries british plus médiatisées, telles que les excellentes Peaky BlindersDoctor Who ou Sherlock, la série Utopia était pourtant un véritable chef d'oeuvre, qui a su conquérir le coeur d'une fan-base solide

Créée par Dennis Kelly, qui s'est récemment illustré dans la série HBO The Third Day, trip horrifique claustro évoquant à la fois The Wicker Man et Midsommar, avec un Jude Law habité, la série Utopia racontait les aventures d'un groupe de nerds, passionnés par un comics underground, Utopia, dont l'auteur se serait suicidé dans un hôpital psychiatrique après avoir écrit le second, jamais publié. Lorsque l'un des membres du groupe met la main sur le fameux manuscrit et se fait assassiné dans la foulée, le groupe est contraint de vivre dans la clandestinité : une organisation très puissante, le Network, semble bien décidée à mettre la main sur le manuscrit, et envoie un duo de tueurs à gages à leurs trousses. Pendant ce temps, le monde se prépare à subir une terrible pandémie : la grippe russe. 

Un chef d'oeuvre du petit écran britannique

Véritable modèle d'efficacité, la série Utopia brillait par son esthétique unique, son univers complètement loufoque que magnifiait la musique électronique déjantée de Cristobal Tapia de Veer, ses personnages aussi attachants qu'imparfaits. Surtout, le showrunner Dennis Kelly a montré qu'il était passé maître dans l'art du cliffhanger, parvenant à garder le spectateur en haleine durant l'intégralité des deux saisons de la série. Très souvent violente, cruelle et sadique parfois, Utopia jouissait également de la parfaite maîtrise de ses réalisateurs, avec en tout premier lieu Marc Mundun (également à l'oeuvre sur The Third Day). La mise en scène, sans forcément être révolutionnaire, est aussi ludique que l'est le scénario de Dennis Kelly, soignant ses cadres, et tirant parfaitement profit de sa photographie aux couleurs saturées. 

L'une des grandes forces de la série anglaise était son ton, mêlant avec beaucoup de plaisir l'humour anglais et un humour plus noir, plus sardonique. Profondément insolente, la série traite de sujets graves avec un second degré délicieux. Mais Dennis Kelly a su parfaitement doser l'humour. Bien que les protagonistes soient une bande de nerds, ne vous attendez pas à de l'humour sauce The Big Bang Theory, bien au contraire. L'humour ne repose pas sur une énumération de références à la Culture Pop, mais plutôt à leur synthèse. Par exemple, le duo de tueurs à gages pourrait parfaitement sortir d'un film des frères Coen (FargoMiller's Crossing), comme en témoigne cette désopilante scène de mise à mort sanglante dans les locaux d'une entreprise d'informatique, en saison 2. Pour autant, jamais la série ne fait explicitement référence au cinéma des frères Coen. Attention toutefois, si la série est très drôle, elle ne sacrifie pour autant jamais l'émotion au profit de l'humour, et certaines scènes sauront vous émouvoir jusqu'aux larmes.

Ah, un mot sur le casting s'impose également : le casting est grandiose, les premiers rôles comme les rôles secondaires. Les grandes révélations étant Neill Maskell (Arby), Paul Ready (Lee) et Fiona O'Shaughnessy (Jessica Hyde). 

Un remake promis à un certain succès

Malgré l'immense qualité de la série, elle s'est achevée après sa seconde saison, faute d'une audience suffisamment solide. Une décision qui a suscité une profonde incompréhension autant chez les spectateurs que chez les journalistes, qui continuent d'attendre, malgré la décision de Channel 4 d'arrêter la série, une troisième saison. Forcément, face à un tel monument de la télévision, il n'est pas étonnant que les américains aient été tentés par la production d'un remake made in USA de ce chef d'oeuvre britannique. Faut dire que les grands networks (tiens, tiens) américains ont l'habitude d'adapter de grandes oeuvres britanniques : House of Cards, ShamelessThe OfficeBroadchurchSkins... On pourrait presque faire tout un dossier sur ces séries britanniques que les chaines américaines ont adaptées, pour un résultat parfois discutable... 

Il a d'abord été question d'un remake par la chaîne HBO, sous la direction du légendaire David Fincher (Se7enFight ClubZodiac). Visiblement trop occupé chez Netflix, pour qui il a produit et réalisé les séries House of Cards (adaptation d'une série anglaise), Mindhunter (récemment annulée...) et Love, Death & Robots, Fincher n'a pas donné suite au projet, qui a fini sur la table d'Amazon Prime Video

La série est dirigée par la romancière américaine Gillian Flynn, bien connue des cinéphiles, puisqu'elle a signé elle-même les scénarii des adaptations de ses propres romans, Gone Girl (réalisé par David Fincher) et Sharp Objects (devenu une excellente mini-série HBO). C'est la seconde fois que Gillian Flynn travaille sur un matériau dont elle n'est pas la créatrice, puisque la scénariste avait déjà travaillé avec le metteur en scène Steve McQueen sur le film Les Veuves, adaptation de la série britannique Widows

Dans Utopia, dont tous les épisodes sont sortis récemment, Gillian Flynn prend quelques distances avec la série originale. Si elle en reprend les grandes lignes (monde au bord de la crise à cause d'une pandémie, complots à échelle internationale, héros non adaptés contraints de vivre dangereusement dans la clandestinité), elle y ajoute certains éléments (le comics Dystopia, absent de la série originale, le personnage de Samantha), en change d'autres (le personnage de Michael, complètement remanié). 

Le remake américain devrait avoir un certain succès. Comme nous l'avons dit en introduction, Amazon Prime Video jouit d'un sens étonnant de l'à-propos. Il est fort à parier que de nombreux spectateurs sauront trouver dans cette série un exutoire ludique à leurs craintes, leurs incompréhensions, leurs frustrations, inhérentes au contexte pandémique inquiétant que nous vivons actuellement. Cependant, les fans de la série britannique risquent de grincer des dents. Si le remake américain ne manque pas de qualités (interprètes convaincants, mise en scène soignée), il souffre de la comparaison avec son illustre aînée. 

British for ever

Alors que Utopia version UK parvenait avec beaucoup d'intelligence et de génie à marier une atmosphère complètement barrée et loufoque à une mise en scène travaillant à la perfection ses cadres et leur esthétique, avec un soin quasi-maniaque, la version US semble beaucoup plus sage, beaucoup plus classique dans sa réalisation. Et donc moins impactante et moins ludique. 

C'est ce dont souffre le plus Utopia version US : son classicisme. Non pas en tant que série, mais en tant que remake. Son classicisme se ressent jusque dans le format de la série : là où la série britannique proposait, comme bon nombre de séries british des saisons de six épisodes, la version américaine propose une première saison de huit épisodes, plus en accord avec les codes de la télévision étasunienne. Ce simple choix, qui peut paraître au premier abord anodin, mérite pourtant d'être analysé : le format six épisodes par saison de la première version d'Utopia permettait à Dennis Kelly de condenser son intrigue. Et de faire d'Utopia un véritable uppercut. Plus longue, la série américaine oblige sa scénariste d'étirer certains arcs narratifs, d'en rajouter d'autres, quitte à perdre certains spectateurs en route. 

Par ailleurs, même si nous sommes conscients du fait qu'il faut toujours juger une oeuvre pour ce qu'elle est et non pour ce qu'elle n'est pas, nous n'avons pas pu résister à jouer au jeu des comparaisons entre les deux séries, et il nous a semblé qu'Utopia version USA perdait sur tous les tableaux. Comment apprécier pleinement le jeu d'acteur de Christopher Denham, qui joue le tueur Arby, lorsqu'on le compare à celui de son homologue britannique Neill Maskell ? Tour à tour effrayant et émouvant, l'acteur avait su conquérir les fans de la série par son charisme exceptionnel, sa rage contenue qui semblait prête à exploser à chaque instant, et sa profonde mélancolie, qui laissait percevoir un passé traumatisant bien avant qu'il ne soit dévoilé au spectateur. 

Vous l'aurez compris, on vous conseille vivement de regarder la version britannique d'Utopia, disponible sur MyCanal. Si toutefois vous préférez vous lancer dans le remake américain, on rappelle qu'elle est disponible sur Prime Video. Alors ? Where's Jessica Hyde ? 

Salut, c'est Gaëtan. Diplômé d'un Master en Langues Modernes, je suis un grand passionné de Culture Pop. J'ai une affection toute particulière pour la culture des années 80/90. Grand lecteur, je suis aussi cinéphage et sérivore (un régime alimentaire des plus équilibrés !). Passionné par le Moyen-Âge, je suis un grand fan de Fantasy. Sinon, j'adore le cinéma coréen, la littérature japonaise, les séries et les comics britanniques. Ah, j'oubliais : pour savoir s'il y a du vent, faut mettre son doigt dans le cul du coq.

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Commentaires (4)
Utopia, ce chef d'oeuvre !!!! J'ai même pas envie de voir la série américaine. Je comprends pas cette manie qu'ils ont de vouloir adapter ce qui n'a pas besoin de l'être... Pour moi c'est aussi outrageant que quand Spike Lee avait adapté Old Boy de Park Chan-wook...
photo de profil de trululu Par trululu, il y a 4 ans Répondre
Merci pour cette critique :)
Je tenterais quand même de le regarder même si j’ai peur d’être déçu d’avance ! Mais après tout, faut se faire son propre avis.
photo de profil de Paulito Par Paulito, il y a 4 ans Répondre
J ai beaucoup apprécié la série US. J espère une saison 2. Par contre pas vu la version UK
photo de profil de User Par User, il y a 4 ans Répondre
Bonjour,

Merci pour votre commentaire. On vous recommande très vivement de regarder la version UK. Plus folle dans sa mise en scène, plus percutante aussi. Et les interprètes sont incroyables.

Après, l'avantage de la série US, c'est que les fans de la série originale qui ont été privés d'une saison 3 pourront avoir une fin aux aventures de Ian, Becky, Wilson Wilson et Grant :)

Cordialement,

Gaetan, de l'équipe d'Hitek.
photo de profil de Hitek Par Hitek, il y a 4 ans (en réponse à User) Répondre
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