Brocéliande : le créateur de la fan-fiction de Kaamelott répond à toutes nos questions (interview)

Il y a quelques jours, on vous annonçait une bonne nouvelle. L'excellente web-série Brociéliande, créée par le vidéaste Youri Gone de la chaîne Capsule Pop, aura droit à une saison 2. La première saison de cette fan-fiction mettait en scène notamment Guillaume Briat et Bô Gaultier de Kermoal de Kaamelott, mais également Sébastien Rassiat de la chaîne Le Joueur du Grenier, Benzaie ou encore Allison Chassagne. Pour pouvoir faire cette seconde saison très attendue, les équipes derrière la série ont lancé un financement participatif dont le le lien est à retrouver ici. Parce qu'Hitek soutient ce projet terriblement ambitieux, nous avons interviewé Youri Gone, son créateur, ainsi que Tony Saba, alias Hervé de Rinel dans Kaamelott, qui jouera un rôle dans cette deuxième saison. L'interview de Youri est à retrouver ci-dessous ; la seconde interview sera publiée la semaine prochaine. 

#1 Bonjour Youri Gone. Vous avez lancé il y a quelques jours un financement participatif pour produire la seconde saison de la web-série Brocéliande, dont la première saison est sortie en 2021. Pouvez-vous nous résumer en quelques mots ce projet pour nos lecteurs ?

Brocéliande est une web-série d’heroïc fantasy largement inspirée par Kaamelott, que l’on pourrait même considérer comme une fan-fiction, mais qui s’amuse énormément des codes de la fantasy. Avec le temps, elle a un peu muté et est devenu un hommage à toute une partie de la pop culture française des années 2010. L’idée de base était en soi un exercice de style : « Et si on tentait de faire de la fan-fiction comme le fait en général sur des gros morceaux de pop culture comme Star Wars, Harry Potter ou Le Seigneur des Anneaux, mais avec de la pop culture française ? " Kaamelott est un gros morceau de notre Pop Culture, et qui s’y prête bien. Même si je suis très confiant quant à la pertinence de faire une fan fiction autour de La Soupe aux Choux.

#2 Une seconde saison est en chantier, est-ce que vous avez en tête un certain nombre de saisons que souhaiteriez écrire ?

Ce sont des projets qui ne sont pas simples à monter donc j’imagine à chaque fois ça un coup à la fois. Là, on avait vraiment l’opportunité de faire une seconde saison ; le public avait vraiment apprécié les premiers épisodes et en attendait beaucoup, donc on ne pouvait pas faire n'importe quoi. La première saison date de juillet 2021, le financement était en 2020, et on se lance que maintenant, début 2023, pour lancer le financement de la seconde. L'idée, c'était de ne pas faire n'importe quoi, de ne pas juste rebondir parce que la première saison a marché, mais bien faire les choses. Cette saison 2 est pensée comme un one-shot, même s'il y a toujours l'espoir de continuer à s'amuser, et de faire, pourquoi pas, une saison 3, une saison 4.

#3 L'action de Brocéliande se passe "non loin de Kaamelott". On retrouve bien évidemment toute l'influence de la série d'Alexandre Astier dans cette série. Vous travaillez beaucoup sur Kaamelott pour votre chaîne YouTube, avec des interviews d'acteurs, des analyses. Cette série est-elle l'aboutissement de votre travail de youtubeur spécialisé ou juste un plaisir de fans ? 

C'est un peu tout ça. Comme je disais tout à l'heure, c'est un vrai travail de style. Il y a beaucoup de sujets autour de Kaamelott sur la chaîne, et la chaîne a d'abord été connue pour ça dans un premier temps. C'est ça aussi Brocéliande : l'aboutissement de tout un tas de réflexions. Si Kaamelott c'est tout ça dans la Pop Culture française, est-ce que c'est soluble dans ce que l'on fait de la Pop Culture aujourd'hui ? Mais il faut rendre à César ce qui appartient à César : ce n'est pas la première fan-fiction en web-série. La toute première s'appelait Les Jouvenceaux, et c'est justement le fait d'aller vers eux qui m'a redonné envie de faire Brocéliande, qui était une vieille idée que j'avais. Quand je regarde une fiction, que ce soit Kaamelott ou autre chose, j'ai beaucoup de mal à ne pas imaginer le hors-champ, ce qui est à peine évoqué. C'est clairement quelque chose que j'avais en tête depuis un moment. Aller à la rencontre de fans qui avaient franchis le pas, ça m'a donné envie de tenter ça. 

#4 Dans la première saison de Brocéliande, vous avez fait appel à un casting composé de personnalités de YouTube (Sébastien Rassiat, Benzaie), mais également à Guillaume Briat, principalement connu pour avoir interprété le rôle du Roi Burgonde dans Kaamelott. Dans cette seconde saison, vous ferez joué Tony Saba, qui joue Hervé de Rinel. Comment l'avez-vous rencontré ? 

Nous nous sommes rencontré au cours d'une interview, et nous avons déjeuné ensemble. Il connaissait Brocéliande. Nous avons tout de suite commencé à parler d'heroic fantasy et de jeux de rôle. 

#5 Lorsque vous avez écrit le personnage de Tony Saba pour Brocéliande, vouliez-vous qu'il campe un "nouveau Hervé de Rinel" ou au contraire, est-ce que vous désiriez qu'il s'éloigne de son personnage de Kaamelott, à la manière de celui que vous avez écrit pour Guillaume Briat ? 

Il y a un deal avec les acteurs qui ont joué dans Kaamelott et qui ont la gentillesse de participer à Brocéliande, c'est de remercier en proposant quelque chose de complètement différent. Dans la première saison, ça s'est traduit avec Guillaume Briat et Bô Gaultier de Kermoal, qui campent des personnages qui sont surtout voués à balancer des onomatopées dans la série, et qui se retrouve à jouer des personnages extrêmement loquaces dans Brocéliande. Symboliquement, ce sont des Gardiens du Temple, c'est à dire qu'ils jouent de vieux sages dans la forêt (à supposer que l'on puisse parler de sagesse dans cet univers-là). Ce que j'ai proposé à Tony, c'est donc quelque chose d'assez similaire : il joue un rôle très différent de son personnage de Kaamelott, à l'instar de Guillaume et Bô. Là, il fait un VRAI héros. Par contre, là où on revient sur l'aspect "Gardien du Temple", c'est que c'est un ancien héros, un héros qui a eu son heure de gloire, aujourd'hui révolue. Il a pris sa retraite avant 64 ans, et s'est un peu laissé aller quoi ! (rires) Je peux aussi dire que c'est un héros orque. On va demander à David Scherer, qui est un excellent maquilleur français qui me fait l'amitié de venir sur Brocéliande, de faire une magnifique mâchoire à Tony. 

#6 On a hâte de voir le résultat ! Vous avez été donc influencé par Kaamelott, y a-t-il d'autres oeuvres d'heroic fantasy que vous avez en tête en écrivant et en réalisant les épisodes de Brocéliande ? 

Tout comme toi, nous sommes de grands passionnés de fantasy. La fantasy est à une jonction super : il y a énormément de choses qui sortent. Sauf qu'il y en encore cinq ans, ce n'était pas du tout le cas. Quand c'est un genre qui te plait, qui t'a plu, tu t'es nourri de tout et n'importe quoi avec un appétit complètement irraisonné. Même la junk food, tu l'as prise ! Il y a un film qui s'appelle Outlander, qui est une resucée de Predator où le dragon est un extra-terrestre, mais qui est un prétexte pour raconter une histoire de vikings partant faire une chasse au dragon. Ce film, j'ai dû le voir cinq ou six fois, je l'ai en DVD et en Blu-Ray, juste derrière moi. L'heroic fantasy, je m'en suis énormément nourri. Même s'il y a parfois, malheureusement, entre deux plats gastronomiques, des chicken wings. Mais il y a des trucs énormes, des grosses pierres dans le jardin, comme Conan le Barbare. J'ai grandi avec les Star Wars et Conan. Mais l'heroic fantasy n'est pas la seule chose qui m'inspire, et qui inspire la série. Il y a des réalisateurs, des scénaristes, qui par leur approche du parcours du héros et de la narration, ramènent de manière diffuse à l'heroic fantasy, que ce soit Guillermo Del Toro, Edgar Wright, Alex de la Iglesia. Ces gens-là me rappellent beaucoup, par leur approche, les thèses de Campbell, et inspirent mon travail. Même si on n'a pas du tout le même niveau. (rires) Je ne me mets pas du tout au niveau de ces gens-là. On va plus ressembler à Outlander qu'au Seigneur des Anneaux !

#7 Est-ce que c'est difficile, aujourd'hui, après le passage d'oeuvres tutélaires comme Kaamelott, Le Donjon de Naheulbeuk, Reflets d'Acide, de faire de la fantasy sur internet qui ne soit pas humoristique ? 

Je pense que la fantasy a quelque chose d'intrinsèquement humoristique. C'est quelque chose qui s'est oublié avec le temps, mais imaginer le médiéval-fantastique tel qu'il peut être caricaturé, avec des orcs, des elfes et des trolls, des châteaux et des armures, a en soi quelque de chose foncièrement drôle. On imagine un passé qui n'a pas existé, avec des monstres, avec des légendes, donc il y a toujours la place de prendre ça très au sérieux ou alors de le prendre avec sourire. Des gens comme Peter Jackson font la jonction entre les deux. Le Seigneur des Anneaux de Tolkien est très différent de celui de Jackson. Je rappelle quand même que Jackson a fait Braindead, tandis que Tolkien était un universitaire. Jackson a eu envie de s'amuser avec ce matériau. Je pense aussi que, pour se démarquer, la fantasy française passe bien souvent par l'humour. On peut aussi citer Lanfeust ou Wakfu d'Ankama, qui est une très grosse machine, dont 75% du matériau est de l'humour. Je trouve ça sain de faire de l'humour et de ne pas transformer ça en quelque chose de trop sérieux. Même quelque chose comme Conan, on rigole deux trois fois dans le film. À noter que l'humour de Kaamelott, de Lanfeust ou même de Noob est à chaque fois très différent !

#8 Comme Kaamelott, Brocéliande fait explicitement référence jusque dans son titre à la Matière de Bretagne, la légende arthurienne. Est-ce que vous avez lu la légende arthurienne ? Est-ce que vous avez des ouvrages de référence à conseiller à nos lecteurs ? 

Ça va paraître paradoxale : j'en ai lu beaucoup, mais je ne suis pas fan de la Matière d'origine. J'aime beaucoup ce que certains artistes en ont fait, comme John Boorman (Excalibur) et Alexandre Astier, mais pour moi, la Matière de Bretagne signe le début de l'amour courtois, et de tout un tas de carcans qui vont enfermer la civilisation occidentale (à mon sens, ça n'appartient qu'à moi). Du coup, je ne me suis jamais identifié à la Geste arthurienne, en me disant "Wahou, c'est génial !" À la rigueur, j'ai une certaine affection pour Sire Gauvain et le Chevalier Vert. Il y a d'ailleurs un film qui est sorti il n'y a pas très longtemps (The Green Knight, de David Lowery, NDLR), qui est vraiment pas mal, même s'il ne peut pas être apprécié de tout le monde. Le Chevalier Vert est une super astuce d'auteur : évidemment, on va montrer Gauvain, qui veut être un chevalier exemplaire, qui essaye de rester droit. Et toute la nuance se trouve dans ce "qui essaye de". Dans Le Chevalier Vert, la nature humaine est toujours là pour te piéger. 

#9 Les interviews qu'a données Alexandre Astier au fil des années ressemblent très souvent à des masterclass, dans lesquelles il donne ses petits secrets d'écriture. Tout à l'heure, vous avez cité les thèses de Campbell. Est-ce que vous avez suivi certains de ses conseils pour l'écriture de Brocéliande ? 

Il y a la Matière de Bretagne, et moi je travaille sur la Matière Astier. Donc j'ai écouté énormément de ses interview, forcément. Je vais donc choper quelques conseils, quelques idées, mais ça ne sera jamais au même niveau. Il y a des fois, je me sentais impuissant en essayant de suivre certains conseils, donc j'essayais d'aller dans l'autre sens. Dans Brocéliande, on réagit à Kaamelott. Dans la série d'Astier, tout le monde se vouvoie ; dans Brocéliande, tout le monde se tutoie. Dans Kaamelott, ils essaient d'être des chevaliers courtois ; dans Brocéliande, ce sont des monstres.

#10 Qu'est-ce qui vous plait le plus dans Kaamelott ? 

C'est le fait que ce soit un mille-feuilles. On se fait accrocher par l'humour. Après, il y a la découverte de l'univers, de ce qu'il en fait. Kaamelott est vraiment le reflet de son auteur, et c'est passionnant. C'est non seulement de la très bonne heroic fantasy française, qu'on peut voir à la télévision et au cinéma, et qui nous laisse accéder aux cheminements de pensées d'Astier. Et puis j'aime sa façon de court-circuiter le système : en France, on a parfois l'impression que l'on a du mal à sortir autre chose que de la comédie. Alexandre Astier s'est adapté à ça : il nous a donné notre dose de comédie, tout en nous proposant quelque chose de plus. C'est comme ça qu'il fait évoluer les choses. À sa suite, on a eu Le Visiteur du Futur, et j'espère que d'autres auteurs vont avoir cette exigence. 

#11 Comment avez-vous trouvé la rupture de ton entre les quatre premières saisons et les deux dernières de la série ? 

J'ai le sentiment que le changement de ton dans Kaamelott est perpétuel. Entre Dies Irae et le pilote, il y a déjà un univers. Entre le pilote et la première saison, il y a plein de changements. La première saison est presque un stand-alone, c'est à dire que la véritable première saison c'est presque le Livre II, même si la première saison est canonique. Des personnages comme Merlin et Perceval prennent leur vraie forme qu'à partir de la saison 2. La saison 3 commence à être feuilletonnante. La saison 4 au niveau de l'écriture, c'est un truc de fou. Il a réussi à faire une saison qu'on peut regarder dans le désordre, et qui a une valeur scénaristique réelle quand on la regarde dans l'ordre, tellement le côté feuilleton est subtil. J'ai beaucoup de mal avec ceux qui reprochent à la saison 5 d'être trop sérieuse. L'humour a certes un peu changé, mais le ton 100% sérieux n'arrive qu'à la moitié de l'avant-dernier épisode, et dans l'intégralité du huitième et dernier épisode. En amont, on a les épisodes avec Alain Chabat et Géraldine Nakkache, qui sont peut-être ce qu'il y a de plus drôle dans Kaamelott, les vols de Venec sur la route, les semi-croustillants, les petits-pédestres, des trucs qui sont encore répétés en boucle par les fans aujourd'hui encore. Pour la saison 6, tant au niveau de la narration que de l'aspect visuel, c'est ce qu'Alexandre Astier a fait de plus abouti, de plus fluide. La bande-dessinée, quant à elle, est encore plus orientée fantasy, avec des dragons, des orcs. Et le film, qui se fait dans des conditions extrêmement dures, avec un procès au milieu et un budget qui n'est finalement pas très élevé, qui offre quelque de très différent, et qui pour moi est un petit miracle. Donc ce débat n'a pas lieu d'être : il y a un changement à chaque étape de Kaamelott. 

#12 Quelles sont vos théories sur la suite de Kaamelott ? 

Vu que le prochain film, Kaamelott : Second Volet, est en deux parties, je vois bien le même film raconté depuis deux points de vue différents, ce qui permettrait de faire avancer l'histoire de Kaamelott, de s'amuser avec la geste arthurienne, tout en offrant une rédemption à Lancelot sans que ça prenne toute la place. En plus, Le Chevalier à la Charrette est un gros pavet, donc je trouverais ça intéressant d'avoir un film qui lui soit dédié. 

#13 Dans l'hypothèse d'une saison 3 pour Brocéliande, avec quels autres acteurs de Kaamelott souhaiteriez-vous travailler ? 

Tous ceux qui veulent venir. (rires) C'est une tellement belle opportunité. En plus de Tony, on a également des personnes qui ont fait de la figuration dans KV1, qui connaissent tout ce qui existe de Kaamelott. Par exemple, toutes les compositions qu'on entend dans la première saison, c'est un mec qui a fait un semi-croustillant au quatorzième plan de la grotte de KV1. Le gars est un passionné de musique, qui a un talent fou. Il s'appelle Joachim Lelièvre, et il s'occupera également de la musique de la seconde saison de Brocéliande. 

#14 Est-ce que vous avez d'autres projets d'écriture, en dehors de Brocéliande ? 

Une des raisons pour lesquelles la seconde saison de Brocéliande a mis autant de temps à être annoncée, c'est qu'il y a une autre série qui est en préparation, qui est écrite, qui est en pré-production. C'est une série de pirates avec Yvan Le Bolloc'h, Thierry Frémont, Bô Gaultier de Kermoal. Ça fait un an qu'on est dessus, mais très dur à monter. Il y a déjà des essais de costumes. Le titre provisoire de la série est Capitaine Yellow Jacket, qui est une référence au fait qu'Yvan Le Bolloc'h est un gilet jaune. C'est un commentaire sur notre époque, depuis l'âge d'or de la piraterie. C'est l'histoire du pire équipage de pirates des Caraïbes. Voici quelques essais de costumes.

#15 Ça donne envie ! J'ai une dernière question : auriez-vous des recommandations pour nos lecteurs ? 

En BD, je vais vous conseiller la saga des Ogres-Dieux de Hubert et Gatignol. Le premier tome s'appelle Petit, et c'est une variation fantasy autour de Gargantua. Malheureusement, l'auteur est décédé, donc on aura pas tome 5. Mais ce qu'on a est très bon, et il y a une vraie valeur littéraire, la BD alternant planches dessinées et passages romancés. Je conseillerais également La Ligue des Gentlemen extraordinaires d'Alan Moore et Kevin O'Neill. Les deux premières histoires, c'est ce que j'ai lu de mieux, tous supports confondus, de toute ma vie. En film, je vous recommande Princesse Dragon, qui rappelle beaucoup Chrétien de Troyes. Le film utilise des codes de narration très médiévaux. 

Si cet article vous a plu, nous vous donnons rendez-vous dimanche prochain pour l'interview de Tony Saba !