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Titane : on a vu le film de body-horror français qui a remporté la Palme d'Or à Cannes (critique)

De Gaetan Desrois - Posté le 18 juillet 2021 à 12h12 dans Cinéma

Le Festival de Cannes s'est achevé, et c'est Titane de Julia Ducournau qui devient le nouveau récipiendaire de la Palme d'Or, deux ans après Parasite, le chef d'oeuvre de Bong Joon-ho. On a vu le film le jour de sa sortie, et on vous dit ce qu'on en a pensé de ce long-métrage, qui a causé malaises, vomissements et crises de nerfs lors de sa première à Cannes.

Pourquoi on l'attendait

Passionnés par le cinéma de genre, on attendait avec impatience le nouveau film de Julia Ducournau, son second après le très réussi Grave, qui avait marqué de nombreux cinéphiles. Avec son précédent film, la réalisatrice avait montré que le cinéma de genre français en avait dans le ventre, et que les méfiances habituelles concernant le cinéma hexagonal ne sont pas fondées.

Si Julia Ducournau n'avait que très peu communiqué sur son nouveau long-métrage, la bande annonce sortie un mois avant le Festival de Cannes avait de quoi attiser encore plus notre curiosité. Muette, elle n'en demeurait pas moins intense, avec des images très fortes, laissant présager un film violent et sensuel, entre slasher et body-horror, dans la droite lignée de David Cronenberg (Crash) et John Carpenter (Christine). Le tout avec une photographie aux couleurs quasi-saturées, qui n'est pas sans rappeler celles des derniers films de Nicolas Winding Refn (Drive, Only God Forgives).

C'est donc avec toutes ces attentes que nous sommes allés voir Titane en salles, ce film auréolé de mystère, dont le synopsis se résumait à deux phrases laconiques et énigmatiques

Après une série de crimes inexpliqués, un père retrouve son fils disparu depuis 10 ans.

Titane : Métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs.

Un film qui ne laisse pas indifférent

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Titane est un film qui ne laissera personne indifférent. Tout d'abord, le premier tiers, glaçant, contient les scènes les plus violentes du film, et la réalisatrice nous plonge directement dans un slasher inversé, puisque nous suivons les crimes du point de vue de la tueuse Alexia (interprétée par une Agathe Rousselle impériale). La réalisatrice semble s'amuser de ses effets de gore, qui d'abord repoussants (vous aimez le liquide céphalo-rachidien ?), deviennent par la suite assez drôles, notamment avec cette scène de massacre dans une colocation. 

Mais ce premier tiers est en vérité un leurre, et la plupart des scènes de la bande-annonce en sont tirées. Le film commence alors une mutation assez passionnante, passant du slasher au drame familial, avec l'apparition du personnage de Vincent Lindon, absolument magistral dans ce rôle complètement à contre-emploi. L'acteur de L'Etudiante y interprète un lieutenant pompier, dont le fils a disparu dix ans plus tôt, obnubilé par le contrôle (de ses hommes, de son corps, son apparence) et par l'image qu'il se fait de ce que c'est être un homme. 

Bien évidemment, comme on est chez Julia Ducournau, qui n'a jamais caché son amour pour David Cronenberg, ce drame familial est nécessairement teinté de body-horror. Au-delà même d'un élément narratif (dont nous vous révélerons la teneur dans la partie avec spoilers), qui nécessite un petit effort d'acceptation de la part du spectateur, les corps souffrent dans Titane. Les cicatrices, les griffures, les piqûres que l'on s'injecte, sont légion. Deux scènes, notamment dans la première partie du film, mettront d'ailleurs mal à l'aise les personnes sensibles des tétons... 

Une mise en scène efficace

Titane est un film déséquilibré, ou pour mieux dire : désaxé. Cette désaxation du récit est désirée par la réalisatrice, et joue un rôle sur le malaise du spectateur, parce qu'elle joue avec notre esprit cartésien. Avec son slasher vu du point de vue de la tueuse, Julia Ducournau nous plonge en vérité dans le quotidien, dans un semblant de normalité. (Ce qu'un slasher habituel ne fait généralement pas, puisque le surgissement du serial-killer dans le quotidien des personnages vient rompre cette normalité du quotidien.) Passé le premier tiers, la réalisatrice nous plonge dans un second quotidien, tout aussi normal (et tout aussi malsain), que vient interrompre par moment l'élément narratif que nous évoquions, qui appartient au genre fantastique. Le film est un continuel va-et-vient entre scènes de la vie courante et des piqûres de rappel, assez brèves, du fait que l'on est bien dans un film fantastique. 

En plus du jeu de ses acteurs fantastiques, l'autre grande force de Titane est bien évidemment sa mise en scène. Julia Ducournau montre combien elle sait manier sa caméra, et si certaines scènes ressemblent presque à de l'esbrouffe, sa technicité est assez remarquable. La réalisatrice montre à quel point elle aime le cinéma d'une part, et filmer les corps d'autre part. 

Un dernier mot, avant de vous donner quelques pistes de réflexion dans la partie spoilers, pour parler de la musique. Julia Ducournau retrouve Jim Williams, le compositeur britannique avec qui elle avait collaboré sur Grave, et qui s'est depuis spécialisé dans la composition pour le cinéma d'horreur (on songe notamment à Possessor, qui a profondément marqué les esprits au dernier Festival de Gérardmer). Surtout, la réalisatrice glisse quelques chansons, absolument magnifiques, notamment deux reprises de Wayfaring Stranger, dont l'une par le groupe 16 Horsepower. Voilà, on voulait caser ça, parce qu'on adore le groupe de David Eugene Edwards. 

Quelques pistes de réflexions (avec spoilers)

On voudrait revenir sur cet élément fantastique, que le spectateur doit accepter pour aimer pleinement le film de Julia Ducournau. Ceux qui ont vu Titane le savent : Alexia a une relation sexuelle avec une voiture, et tombe enceinte par la suite. Cet élément, pour le moins difficile à accepter par nos cerveaux cartésiens (encore plus lorsqu'on nous plonge dans un quotidien ultra-normalisé) est en vérité très intéressant, pour plusieurs raisons. 

Tout d'abord, parce que ce simple élément fantastique (la grossesse étrange d'Alexia), place la tension à deux niveaux. Premièrement, la grossesse d'Alexia peut casser sa couverture, puisqu'elle se fait passer pour le fils disparu de Vincent Lindon, et qu'elle fait souffrir son corps pour devenir ressembler le plus possible à un homme. Autrement dit, cette grossesse joue le rôle d'un minuteur, avant la révélation de sa véritable nature. Deuxièmement, le spectateur se demande de quoi Alexia va accoucher

Et ce deuxième point est particulièrement intéressant, parce qu'il explique, en partie, la méthode employée par Julia Ducournau. La cinéaste, fan de cinéma d'horreur, joue avec les attentes et la cinéphilie du spectateur. En effet, lorsque l'on voit Alexia enceinte, on songe à la fois à la saga Alien et à Rosemary's Baby de Roman Polanski (1968). On s'attend alors à quelque chose de nécessairement monstrueux. Nul doute d'ailleurs que ce dernier film doit être l'une des grandes inspirations de la réalisatrice pour Titane

Julia Ducournau ne se contente pas de rendre hommage à Cronenberg, Carpenter et le Rosemary's Baby de Polanski, elle se sert de ces inspirations pour en faire un puzzle, le sien, et son long-métrage devient dès lors une véritable ode cinéphilique. Le fait qu'elle emploie un Vincent Lindon complètement à contre-emploi participe d'ailleurs de la même démarche. 

Nous avons particulièrement apprécié la manière dont la réalisatrice joue de ces références culturelles. L'inspiration de Crash et de Christine ne se matérialisent pas uniquement dans cet étrange baiser que fait Alexia à la voiture de son père, après son accident. Les thématiques Cronenbergiennes sont au coeur de son récit (questionnements autour du corps, que permet le body-horror), et en sont d'ailleurs des éléments narratifs : la baise avec voiture. Même chose pour Christine, avec cette scène de sexe étrange, durant laquelle la voiture semble presque vivante. 

Attention : le film ne manque pas de défauts. Pour faire fonctionner son récit, la réalisatrice a dû sacrifier un élément important : afin d'échapper à la police qui la recherche, Alexia se fait passer pour le fils de Vincent, disparu depuis dix ans. Cependant, la police ne semble plus s'intéresser au fils de Vincent, une fois celui-ci (faussement) retrouvé. Bien évidemment, si la scénariste avait opté pour cet élément plus cohérent, le scénario aurait été tout autre, et elle aurait sacrifié certaines scènes plus intimistes, très réussies

Une Palme d'Or méritée ? 

Titane méritait-il la Palme d'Or ? Nous n'avons, bien évidemment, pas vu tous les films sortis lors du Festival. Pour l'heure, nous avons pu voir Benedetta du grand Paul Verhoeven et Annette de Leos Carax, qui a remporté le Prix de la Mise en Scène. Si nous aurions beaucoup apprécié qu'Asghar Farhadi remporte la Palme d'Or avec Un Héros (l'auteur de ces lignes n'a pas vu le film, mais doit bien avouer qu'il a un amour profond pour le cinéma du réalisateur iranien), reconnaissons toutefois que cette Palme d'Or est assez satisfaisante, car elle nous rappelle combien le cinéma français, contrairement aux nombreux stéréotypes qui lui collent à la peau, ne manque pas de richesses et d'originalité

Nous vous recommandons de vous intéresser au cinéma français. Ne serait-ce que cet été, vous avez la possibilité de découvrir Adieu les cons, le dernier chef d'oeuvre d'Albert Dupontel. On songe également à Annette, l'étonnante comédie musicale avec Marion Cotillard et Adam Driver, réalisée par le trop rare Leos Carax. Ou encore Benedetta, qui malgré d'évidents défauts, saura vous intéresser, ne serait-ce que par les performances de Virginie Efira et de Charlotte Rampling, ainsi que par la mise en scène, toujours efficace, du génial Paul Verhoeven (Basic InstinctStarship Troopers). Sans oublier, bien entendu, Kaamelott : Premier Volet d'Alexandre Astier et OSS 117 : Alerte Rouge en Afrique Noire de Nicolas Bedos. 

Conclusion

Nous avons beaucoup aimé Titane, malgré certains défauts évidents (on regrette notamment un point narratif assez stupide, que la réalisatrice et scénariste a sciemment ignoré pour faire fonctionner son histoire). Cependant, nous sommes convaincus que ce film plaira d'avantage à un public cinéphile, qui pourra s'amuser de voir la réalisatrice jouer avec ses références cinéphiliques en matière de cinéma d'horreur. D'autres spectateurs pour rester froids face à ce jeu de piste cinéphilique. 

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Mots-Clés : film d'horreurJohn Carpenterfestival de Cannesfilm françaisparasiteBong Joon-hokaamelottOSS 117

Salut, c'est Gaëtan. Diplômé d'un Master en Langues Modernes, je suis un grand passionné de Culture Pop. J'ai une affection toute particulière pour la culture des années 80/90. Grand lecteur, je suis aussi cinéphage et sérivore (un régime alimentaire des plus équilibrés !). Passionné par le Moyen-Âge, je suis un grand fan de Fantasy. Sinon, j'adore le cinéma coréen, la littérature japonaise, les séries et les comics britanniques. Ah, j'oubliais : pour savoir s'il y a du vent, faut mettre son doigt dans le cul du coq.

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Commentaires (3)

Par Old Yoda, il y a 3 ans :

J'ai vu le film, j'ai bien apprécié. Bonne critique, d'ailleurs !

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Par 8787, il y a 3 ans :

Payé pour écrire cet article... Mais non ! Attends la presse est libre en France... Qu'est ce que tu crois... Le pays des "lumières"... xD

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Par Kadage, il y a 3 ans :

J'ai été le voir cette aprem(effet palme d'or) et franchement c'est naze ,je comprend absolument pas comment un film comme ça a pu remporter la palme d'or, il y a juste la photographie qui est sympa , le reste c'est a jeter, c'est grade, c'est sale , on s'ennuie et l'histoire n'a ni queue ni tête, je le recommande absolument à personne

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