Pulp Fiction, Taxi Driver, Parasite : sept Palmes d'Or intemporelles !
Malheureusement, le Festival de Cannes n'a pas eu lieu cette année, du fait du contexte sanitaire. Si pour certains, le Festival de Cannes est synonyme de "cinéma qui se la pète", c'est qu'ils oublient que certains de leurs films préférés ont été présentés à Cannes d'une part, et qu'ils ont peut-être gagné la Palme d'Or d'autre part. Retour sur sept Palmes d'Or intemporelles, sept chefs d'oeuvre du cinéma international !
Attention : il ne s'agit pas d'un top, mais d'une sélection. Les films sont classés selon leur année de sortie, du plus ancien au plus récent.
1 - Dumbo (Ben Sharpsteen, 1941)
Eh oui, on l'ignore souvent, mais Dumbo, le quatrième long-métrage d'animation du studio Disney, a gagné la Palme d'Or en 1947. Ou du moins son ancêtre, "Grand Prix du Festival International de Cannes", puisque la première Palme d'Or a été décernée avec cette appellation en 1955. Autre petite anecdote intéressante, lorsque Dumbo gagne le "Grand Prix du Festival International de Cannes" en 1947, ils sont cinq films à obtenir cette récompense ultime. Le Festival de Cannes, débuté en 1939, et annulé jusqu'en 1946 (cette année, dans un signe de réconciliation, le Festival a récompensé un film par pays représenté), en est alors à ses balbutiements. Les cinq récompenses données en 1947 ont été faites dans des catégories bien précises, Dumbo remportant la récompense ultime dans la catégorie meilleur film d'animation. Une récompense pas difficile à obtenir, étant donné que le film était le seul représentant de sa catégorie... Ce qui n'empêche pas que Dumbo est un véritable chef d'oeuvre, sans doute un des films les plus tristes et les plus poétiques du studio Disney. Trop souvent oubliées, les aventures du petit éléphant aux grandes oreilles, qui ont récemment connu une nouvelle version sous la houlette de Tim Burton, nous ont émus aux larmes, ne serait-ce que pour sa chanson Mon tout petit.
2 - Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976)
Véritable légende du cinéma Hollywoodien, Martin Scorsese a réalisé de nombreux chefs d'oeuvre, parmi lesquels Raging Bull, Les Affranchis, Casino, Shutter Island ou encore Le Loup de Wall Street. Grand portraitiste de l'Amérique, Scorsese a profondément marqué l'Histoire du cinéma. Mais c'est en 1976 qu'il frappa son plus gros coup, avec Taxi Driver. S'il ne s'agit peut-être pas de son meilleur film (l'auteur de ces lignes lui préfère les grandes fresques de la mafia que forme le diptyque Les Affranchis / Casino), il demeure peut-être son film le plus important. Tout d'abord, Taxi Driver est un film immensément politique, Scorsese devenant l'un des premiers cinéastes à s'intéresser aux conséquences psychologiques de la Guerre du Viêt Nam. Ce facteur peut paraître anodin, pourtant il ne l'est pas. Mis à part quelques rares films (tels que Silence), Scorsese est rarement un cinéaste politique, préférant raconter l'ascension et la chute de ses personnages. Taxi Driver se veut au plus près des préoccupations de son temps. Ensuite, par son esthétique, Martin Scorsese a redéfini les règles de description des grandes villes américaines, et plus particulièrement New York. Les rues sont salles, l'atmosphère étouffante, les cinéma porno et les prostituées ont pignon sur rue. Ce n'est pas pour rien si l'excellente série The Deuce de David Simon (The Wire, Treme), qui raconte l'essor du cinéma pornographique dans les années 70, emprunte autant à Taxi Driver. Enfin, si habituellement le cinéma de Scorsese semble porté par un monstre bicéphale (le réalisateur et son acteur fétiche, Robert De Niro ou Leonardo DiCaprio), Taxi Driver repose sur un troisième homme, Paul Schrader, qui a signé le scénario du film. Scénariste de génie et réalisateur passionnant (il a réalisé et écrit les films Blue Collar et American Gigolo), Paul Schrader livre ici un chef d'oeuvre de nihilisme provocateur et de violence exutoire. Il nous faut aussi mentionner l'interprétation, habitée, animale, de Robert De Niro.
3 - Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979)
Figure centrale du Nouvel Hollywood, Francis Ford Coppola fait partie des rares cinéastes à avoir gagné deux fois la Palme d'Or. Après une première victoire en 1974 avec Conversation Secrète, le réalisateur du Parrain et de Dracula a une nouvelle fois remporté la Palme en 1979 avec Apocalypse Now. Film de guerre matriciel, Apocalypse Now est un véritable chef d'oeuvre, sans doute le plus grand film jamais réalisé sur la Guerre du Viêt Nam. Servi par une mise en scène exemplaire, un casting démentiel (Marlon Brando en tête), des citations cultissimes ("J'aime l'odeur du Napalm le matin !"), une bande originale iconique, mêlant habilement les Doors et les Rolling Stones à La Chevauchée des Walkyries de Richard Wagner. Bien qu'il date de 1979, Apocalypse Now reste extrêmement contemporain, tant la mise en scène de Francis Ford Coppola a révolutionné le genre. A tel point que lorsque l'on fait un film de guerre, on se réfère soit à Apocalypse Now soit aux Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick.
4 - Pulp Fiction (Quentin Tarantino, 1994)
On ne présente plus Pulp Fiction, film culte par excellence. Sans doute le plus apprécié de son auteur, le second long-métrage de Quentin Tarantino a placé le cinéaste parmi les plus grands metteurs en scènes et les meilleurs scénaristes de son temps. Tout a été dit sur Pulp Fiction. Le film est une perle d'érudition cinéphilique. Mais on aurait tort de ne voir en Quentin Tarantino qu'un serial-recycleur, et en son film qu'une "boutique de brocanteur", pour reprendre l'expression de Georges Duhamel à propos de Guillaume Apollinaire. Pulp Fiction est une vraie proposition de cinéma. Et les citations, bien présentes, permettent de tisser le décor de l'univers Tarantinesque. Il suffit, pour s'en convaincre, de prêter attention au personnage que joue Harvey Keitel dans Reservoir Dogs et dans Pulp Fiction. Vieux gangster paternaliste dans Reservoir Dogs, "nettoyeur" efficace travaillant pour le compte de la mafia dans Pulp Fiction, Harvey Keitel rappelle ses anciens rôles de gangsters dans le cinéma de Martin Scorsese (Meen Streets). En somme, les citations sont du décorum dans lequel évoluent les personnages de Tarantino. On pourrait parler des heures durant de Pulp Fiction, de ses dialogues ciselés, de sa violence esthétisées, de son jeu avec la temporalité et le rythme. De comment ce second long-métrage annonce déjà tous les autres films de Quentin Tarantino. Mais à quoi bon, puisque tout a déjà été dit ?
5 - Le Vent se lève (Ken Loach, 2006)
Ken Loach fait partie du club très fermé des réalisateurs ayant gagné deux fois la Palme d'Or. Lauréat en 2016 de la prestigieuse récompense cannoise avec Moi, Daniel Blake, le réalisateur britannique l'avait déjà remportée avec Le Vent se lève en 2006. Connu pour son cinéma très engagé à gauche, Ken Loach a signé avec Le Vent se lève son meilleur film. Centré sur la guerre durant la guerre civile irlandaise, le film raconte le destin de deux frères, l'un prenant partie pour l'IRA, le second pour l'armée britannique. Puissant et dur, le film est traversé par un souffle émotionnel ravageur. Surtout, le film révèle l'acteur irlandais Cillian Murphy, dont la jeunesse, pleine de fougue, de tristesse et de fragilités, étreint le coeur, avec d'autant plus de force que l'acteur est devenu par la suite un comédien au charisme explosif et magnétique, comme en témoigne son rôle dans la série Peaky Blinders, le chef d'oeuvre de Steven Knight. Dans Le Vent se lève, Ken Loach développe l'idée selon laquelle la révolution irlandaise ne serait pas une révolution nationaliste, mais plutôt une révolution sociale. Les oppressions et humiliations que font subir les forces armées britanniques aux paysans irlandais prennent beaucoup de place dans le film, et sonnent à la fois comme une condamnation de l'impérialisme et une illustration des rapports de force entre les dominants et les dominés. On vous recommande vivement de voir ce film si vous ne l'avez pas vu, et de vous jeter à corps perdu dans la filmographie de ce grand cinéaste. Pourquoi ne pas continuer avec La Part des Anges ?
6 - The Tree of Life (Terrence Malick, 2011)
Certains s'étonneront sans doute du fait qu'un film de Terrence Malick figure dans cette sélection, censée lutter contre l'idée reçue voulant que les Palmes d'Or soient nécessairement des films prout-prout. Il est vrai que le réalisateur des Moissons du Ciel et de La Ligne Rouge traîne derrière lui une réputation de cinéaste spécialisé dans le film contemplatif, à mille lieux des blockbusters Hollywoodiens prisés du grand public... Une réputation que sa trilogie expérimentale A la Merveille / Knight of Cups / Song to Song n'a fait qu'exacerber, en proposant un cinéma s'affranchissant de l'absolue nécessité de raconter une histoire. Mais qu'on ne s'y trompe pas : le cinéma de Malick n'est pas un cinéma élitiste. Sa filmographie parle pour lui : La Ligne Rouge est l'un des plus beaux films de guerre, Le Nouveau Monde une magnifique adaptation de l'histoire de Pocahontas, et son dernier film, Une vie cachée en a terrassé plus d'un lors du dernier Festival de Cannes. (Il faisait partie de nos films préférés de 2019.) Il faut dire que non content de traiter des histoires fortes, Terrence Malick fait montre d'un talent pour la mise en scène absolument hors-normes. Toujours à la recherche de la grâce, sa caméra semble flotter au-dessus des choses. Véritable révélateur de la beauté du monde, Terrence Malick est sans doute le réalisateur qui sait le mieux filmer la nature. Ce n'est pas pour rien si après The Revenant d'Alejandro Gonzalez Innaritu, de nombreux spectateurs et critiques ont évoqué le nom de Malick. The Tree of Life ne fait pas exception : la mise en scène est prodigieuse, et le film a souvent été comparé à 2001, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick (rien que ça !). Brad Pitt y signe l'un des meilleurs rôles, en interprétant un père autoritaire et aimant dans le Texas des années 50. Surtout, avec The Tree of Life, Malick continue son exploration de l'Histoire américaine, qu'il avait entreprise dès son premier long-métrage, La Ballade sauvage. Un film magnifique et exigeant, qui mérite qu'on lui laisse une chance ! Et jetez-vous à corps perdu dans le cinéma de Malick.
7 - Parasite (Bong Joon-ho, 2019)
Dernière Palme d'Or en date, Parasite est un véritable coup de maître de la part de Bong Joon-ho. Inspiré par le cinéma social de Claude Chabrol, le réalisateur sud-coréen livre ici une véritable leçon de cinéma, avec l'histoire de ces deux familles, l'une pauvre, l'autre riche, qui se parasitent mutuellement. Bong Joon-ho retrouve pour l'occasion son acteur fétiche, l'ultra-charismatique Song Kang-ho, révélé par son rôle dans JSA : Joint Security Area, chef d'oeuvre de l'autre monstre sacré du cinéma sud-coréen : Park Chan-wook (Old Boy, Mademoiselle). On pourra apprécier le soin tout particulier, quasi-maniaque, que Bong Joon-ho prête à la composition de ses cadres. Et surtout, l'aisance incroyable avec le cinéaste parvient à jouer avec les genres. En une fraction de seconde, le film parvient à passer de la comédie sociale au film d'horreur, puis au drame familial. Comme Ken Loach (Le Vent se lève), Bong Joon-ho a toujours traité du même sujet : la lutte des classes. Mais contrairement au légendaire cinéaste britannique, Bong utilise le cinéma de genre pour explorer cette question : policier (Memories of Murder, Mother), horreur (The Host), Science-Fiction (Snowpiercer, Okja). Cette exploration du cinéma de genre permet au réalisateur de ne jamais se répéter, mais aussi d'avoir à chaque film un terrain de jeu différent. On vous recommande vivement de regarder les films de Bong Joon-ho, et de voir ce qu'il se fait en Corée du Sud. Sans doute l'une des terres les plus fertiles en matière de cinéma...