Alors qu'il avait annoncé sa retraite lors de la promotion de son onzième film, Le Vent se lève, en 2013, Hayao Miyazaki a enfilé de nouveau son légendaire tablier de travail pour un nouveau long-métrage d'animation, Comment vivez-vous ? (en japonais, Kimi-tachi wa dô ikiru ka ?). Une interview du Maître absolu du cinéma d'animation japonais a été publiée le 14 mai 2020 dans Le Courrier international. L'occasion pour nous de faire le point sur toutes les informations connues sur le prochain chef d'oeuvre du réalisateur de Princesse Mononoké et du Château ambulant.
Un ouvrage important pour Miyazaki
L'interview, intitulée "Rencontre avec Hayao Miyazaki, le magicien de l'animation", a initialement été publiée dans le quotidien japonais Asahi Shimbun, en décembre dernier. C'est à l'occasion d'une exposition au Musée Ghibli, intitulée Dessins à la main, inspirations, idées, que Hayao Miyazaki s'est confié sur son retour aux affaires, après son (énième) faux départ à la retraite. Lorsque la journaliste Eriko Chiba lui demande les raisons pour lesquelles il a choisi d'adapter le roman Kimi-tachi wa dô ikiru ka ? de Genzaburo Yoshino, Hayao Miyazaki explique que ce choix a été fait sur "un coup de tête". Le réalisateur de Kiki la petite sorcière, qu'on sait être un lecteur passionné, adapte ici un classique de la littérature jeunesse japonaise, malheureusement inédit en France. Il déclare à propos de ce livre :
Quand on me demande quel est l'ouvrage qui m'a le plus marqué dans ma jeunesse, c'est celui qui me revient avec le plus d'éclat. Les livres sont des rencontres prédestinées ; certains continuent à rayonner longtemps après. Quand j’ai lu Kimi-tachi wa dô ikiru ka je me suis dit que je ne pourrais jamais vivre comme son protagoniste, mais j’ai été très ému.
incroyable délai pour seulement 1 min de film...
Si le nouveau film de Hayao Miyazaki était initialement prévu pour 2020, le studio a vite annoncé de nouvelles dates indicatives, par la voix de son président, Toshio Suzuki, qui annonçait encore récemment une sortie pour 2023. En effet, la production du film est plus longue qu'à l'accoutumée. Selon Suzuki, une minute de film était tournée par mois soit seulement 36 min depuis le lancement du projet il y a 3 ans !
... a cause d'une nouvelle façon de travailler
L'interview de Hayao Miyazaki dans Asahi Shimbun nous renseigne sur les raisons du ralentissement de la production :
Depuis que le studio a décidé en avril 2019 de changer ses conditions de travail, nous sommes tenus de quitter le bureau à 8 heures du soir. Au début, j’ai résisté, mais comme tout le monde suivait la consigne, je me retrouvais seul à fumer et, au bout d’une heure, je n’en pouvais plus. (Rires.) Alors moi aussi, j’ai fini par rentrer à 20 heures. Le problème, c’était que j’arrivais toujours assez tard au bureau, si bien que c’était moi qui travaillais le moins dans l’équipe. Comme le studio est fermé le week-end, j’ai donc décidé de travailler le samedi après-midi pour compenser. Récemment, je suis allé au studio un dimanche car j’étais pris la veille. Les effets se sont fait sentir dès le lundi. Je ne peux plus travailler toute une semaine d’affilée, sans me reposer un seul jour. Même sans la réforme, je ne voudrais plus travailler jusqu’à minuit. En ce sens, la décision de nous faire rentrer à 20 heures n’est pas mauvaise. Au moins, tout le monde part en même temps. Plus personne ne traîne au bureau. L’ambiance est telle que tous les employés partent d’eux-mêmes aux alentours de 20 heures. D’ailleurs, depuis la mise en place de la réforme, tout le monde a meilleure mine. En ne travaillant pas le week-end, on peut retourner travailler le lundi de bon cœur.
Ainsi, le studio a dû changer de mode de fonctionnement. On sait tous que Hayao Miyazaki, fou de travail, pouvait rester des heures durant, penché sur sa planche à dessin, travaillant tous les jours, même les week-end. Un autre élément explique toutefois le ralentissement de la production : l'âge de Hayao Miyazaki. Dire cela nous écorche la bouche, mais pourtant, il faut le reconnaître : Miyazaki ne rajeunit pas. A presque 80 ans, le réalisateur voit sa vue baisser de plus en plus, et ne dessine plus aussi rapidement qu'avant. C'est d'ailleurs à cause de son âge avancé qu'il avait annoncé sa retraite, lors de la promotion du Vent se lève, expliquant à nos confrères qui ont eu la chance de le rencontrer à quel point son métier était éreintant, et qu'il aspirait à une retraite tranquille. L'âge de Hayao Miyazaki et les problèmes qui en résultent ont poussé le réalisateur a déléguer de plus en plus :
Je leur fais confiance, je leur transmets les tâches qui étaient de mon ressort. Et je le fais sans aucune crainte. La façon de dessiner des plis de vêtements, par exemple, est plus moderne que ce que je faisais auparavant. C’est très intéressant, ça apporte du nouveau.
De quoi parle Kimi-tachi wa dô ikiru ka ?
On rappelle que le roman Kimi-tachi wa dô ikiru ka ?, publié en 1937, raconte l'histoire d'un jeune garçon, Honda Junichi, qui apprend à penser par lui-même, en entretenant une relation épistolaire avec son oncle. Genzaburo Yoshino a écrit ici un roman parlant de socialisme et de lutte des classes, faisant le choix d'un livre officiellement adressé à la jeunesse, ces derniers étant à l'époque moins soumis à la censure. On comprend dès lors tout ce qui a pu marquer de manière si profonde Hayao Miyazaki, dont les opinions politiques, proches du marxisme, sont très présentes dans son oeuvre cinématographique. Le réalisateur a toujours dessiné des personnages en train de travailler, que ce soit les mineurs du Château dans le Ciel aux femmes de Forges de Tatara dans Princesse Mononoké. Pour l'anecdote, Hayao Miyazaki a été secrétaire en chef du syndicat des travailleurs de la Toêi, présidé par son plus grand ami, Isao Takahata, avec qui il fonda par la suite, aidé par Toshio Suzuki, le studio Ghibli. Attention toutefois, le mot adaptation avec Hayao Miyazaki doit toujours être nuancé : il faut plutôt parler de grande inspiration. Ainsi, Le Château dans le Ciel est inspiré des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, Le Voyage de Chihiro d'Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll et Le Vent se lève raconte l'histoire romancée de Jori Horikoshi, et s'inspire du roman autobiographique du même nom de Tatsuo Hori.
L'avenir du studio Ghibli
A chaque nouveau film de Hayao Miyazaki se pose la question de sa succession. Si le réalisateur n'a pas encore (à nouveau) abordé la question de sa retraite, et si on espère tous apprendre qu'il préparera un nouveau film après Kami-tachi wa dô ikiru ka ?, on sent qu'avec ce nouveau fonctionnement, le studio se prépare plus que jamais à la succession du maître. En attendant, le studio Ghibli, qui a pu compter sur un partenariat avec Netflix (dont nous vous avions révélé les tenants et les aboutissants dans un article récent) et un autre avec HBO Max, produit un second film, réalisé par Goro Miyazaki, le fils de Hayao, qui avait déjà fait ses preuves avec Contes de Terremer et le très beau La Coline aux coquelicots. Selon Toshio Suzuki, le film de Goro Miyazaki, qui tente de montrer les différentes façons dont l'intelligence peut sauver le monde, serait bientôt terminé. Voilà une bonne nouvelle ! En attendant, on vous invite à découvrir comment Princesse Mononoké a été sauvé de la "Disneyisation" !
Par Paulito, il y a 4 ans :
Horrible à dire mais j'espère qu'il vivra jusqu'à la sortie du film ^^
Les japonais vivent beaucoup plus longtemps... mais ca risque d'être vraiment son dernier projet cette fois-ci.
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