Outlaw King vs. l'Histoire : plus fidèle que Braveheart ?

13 novembre 2018 à 17h39 dans Cinéma

Outlaw King. Peut-être que ce titre ne vous dit rien. Il s’agit du tout dernier film original Netflix, sorti le 9 novembre dernier. Réalisé par David Mackenzie (Les poings contre les murs, Comancheria), Outlaw King raconte la rébellion écossaise menée au début du XIVe siècle par Robert de Bruce. Et ce nom, il vous dit quelque chose ? Quoi de plus normal. Il s’agit d’un des personnages principaux du chef d’oeuvre de Mel Gibson, Braveheart. Sauf que comme nous l’a brillamment démontré le vidéaste Benjamin Brillaud de la chaine Nota Bene, malgré le fait qu’il s’agisse d’un film exemplaire, Braveheart est bourré d’erreurs historiques. L’une d’entre elle, de taille : quelques-uns des exploits de Robert de Bruce sont attribués à William Wallace. David Mackenzie tente donc, en faisant de Robert de Bruce le personnage principal de son histoire, de rétablir la vérité. Mais jusqu’où le film pousse la véracité historique ?

Outlaw King vs. l

ATTENTION : cet article comporte de nombreux spoilers. 

Les débuts du roi hors-la-loi

Quand Mel Gibson a réalisé Braveheart, il a pris le parti de faire de Robert de Bruce un personnage secondaire de l’intrigue. Le héros, chez Gibson, c’est William Wallace. Quitte à déroger grandement à la véritable Histoire de ces héros. Dans Outlaw King, Robert de Bruce fait partie d’une des plus grandes familles écossaises. Comme tous les seigneurs, il devient symboliquement le vassal d’Edouard Ier, le roi d'Angleterre, devant qui il ploie le genoux, en 1304. Edouard Ier lui fait par ailleurs « l’honneur » de devenir l’un des vingt-quatre membres du conseil gouvernant l’Ecosse au nom du roi d’Angleterre. Sans doute pour le récompenser d’avoir combattu à ses côtés contre les Ecossais. Outlaw King passe très rapidement sur cette nomination : on y voit Edouard Ier annoncer aux Bruce et aux Comyn, deux familles rivales représentées par Robert de Bruce et John III Comyn, qu’ils devront mettre de côté leurs revendications pour la couronne et leurs rivalités pour collaborer ensemble dans le conseil dirigé par le vice-roi Aymar Ier de Valence. D’ailleurs, Edouard Ier y fait seulement allusion : « Vous serez sous ses ordres », annonce-t-il de manière très allusive. Ce flou permet au réalisateur David Mackenzie de mettre l’accent plus particulièrement sur la situation sociale de Robert De Bruce et sur sa rivalité avec John Comyn. Mais également de rendre plus humiliante encore la défaite des Ecossais et l’ingérence anglaise. En ne parlant pas de conseil, en évoquant seulement le rapport hiérarchique des nobles écossais par rapport à la couronne anglaise, le réalisateur pose les bases des révolutions à venir.

Dans Outlaw King, le temps passe vite, trop vite. Normal, il ne faut pas que le spectateur s’ennuie. Quand William Wallace se fait écarteler, nous sommes en 1305. Soit un an après que les Ecossais aient plié le genou devant le roi anglais. L’exécution de William Wallace apparaît, dans le film Netflix, comme l’élément déclencheur dans la prise de position de Robert De Bruce, dans sa volonté de se défaire du joug des Anglais. Il écrit aux nobles, dont John Comyn, son rival, pour leur parler de son projet pour l’Ecosse. Ce dernier lui annonce qu’il va le dénoncer, Robert de Bruce le tue, et devient hors-la-loi. De nombreux nobles le choisissent alors pour roi. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples, si l’on croit l’Historien Xavier Hélary, professeur d’Histoire médiévale à l’Université Jean-Moulin-Lyon-III :

Après la défaire des Ecossais à la bataille de Falkirk (22 juillet 1298), notre Robert Bruce, devenu comte de Carrick, se distingue en intégrant la commission chargée de gouverner le royaume en l’absence de John Balliol, détenu à Londres, en compagnie de John Comyn – les Comyn et les Bruce, les deux principales familles de l’aristocratie écossaise, entretiennent une rivalité perpétuelle, génération après génération. Le temps est alors plutôt à la conciliation avec Edouard Ier. En 1306, toutefois, John Comyn accuse Robert De Bruce de haute trahison. Pour se venger, Robert le tue dans l’église du couvent franciscain de Dumfries. C’est ce crime qui le met hors la loi et le pousse du côté des défenseurs de l’indépendance écossaise, alors que son attitude avait été pour le moins ambiguë jusqu’alors. 

De roi ambiguë à héros torturé 

Cette ambiguïté, le réalisateur David Mackenzie a décidé de l’ignorer. Il nous est facile d’en comprendre les raisons : tout d’abord, Outlaw King est un film de deux heures, qui, à la manière de Ken Loach dans Le vent se lève (le film sur la révolution irlandaise au début du XXème siècle, avec le prodigieux Cillian Murphy, futur Tommy Shelby dans Peaky Blinders), montre de montrer les souffrances d’un peuple mis à mal par les anglais. Pour ce faire, il a besoin de créer des repaires moraux : les anglais sont les bourreaux, les écossais sont les victimes. Montrer un Robert de Bruce calculateur ternirait le tableau qu’il veut peindre. La seconde raison, plus évidente encore, est que son film souffrira de la comparaison avec Braveheart, et de son héros, William Wallace, que Mel Gibson a hérigé en figure du révolutionnaire romantique. Pour que son film ne souffre pas trop de cette comparaison, David Mackenzie a pris la décision de prendre au William Wallace de Mel Gibson un peu de son aura romantique pour transfigurer son Robert de Bruce. Au prix de certaines incohérences, parfois ridicules (mais pardonnables étant donné le contexte). Le réalisateur désire faire de Robert un roi parfait, une sorte d’Arthur écossais : Robert connaît tous ses soldats par leur prénoms, pose le pied à terre et prête son cheval à un soldat blessé, ou pousse une barque remplie de soldats écossais en pleine bataille. Cette image du roi au service de son peuple, si elle est très chevaleresque, me semble en tout cas éloigné des traditions féodales.

Comme nous l’avons déjà dit, David Mackenzie a désiré montrer un peuple bousculé, souffrant, torturé. Un peuple indigné et maltraité par l’envahisseur. Certaines scènes permettent de montrer cette souffrance subie par le peuple écossais, telles que les promesses de viols proférées par des soldats anglais à des femmes écossaises de basse extraction. Par ailleurs, la vie de Robert de Bruce permet de symboliser, à elle seule, les souffrances endurées par tout un peuple. Ces événements sont par ailleurs conformes à la véracité historique. Dans une scène particulièrement marquante, un des frères de Robert de Bruce se fait pendre et étriper. On apprend un peu plus tard qu’un autre de ses frères a également été exécuté. De ce que nous en savons, Robert de Bruce a, en vérité, perdu trois frères. Tous les trois ont été pendus. Je n’ai pas eu vent, dans aucun article, que l’un d’entre eux aurait été étripé, en plus de pendu. Pour la simple et bonne raison que pendre un noble était déjà une mort suffisamment infamante, car réservée au bas peuple, aux brigands. En pendant un noble, plutôt qu’en le décapitant, c’est sa qualité même de noble que les anglais niaient. On peut penser néanmoins que Mackenzie a jugé bon de faire étriper un des frères de Robert De Bruce, car pour notre époque, une pendaison n’aurait pas la même signification que dans l’Ecosse médiévale. Peu de spectateurs auraient le recul nécessaire pour comprendre qu’un noble pendu, c’est un noble renié. Tandis qu’un noble étripé, c’est implicitement un noble maltraité, car on lui fait subir un traitement quasi-animal. Les turpitudes de Robert De Bruce sont par ailleurs symbolisées également dans l’emprisonnement de sa femme – par ailleurs véridique. Robert De Bruce est donc un roi modèle et torturé. Une scène du film me semble par ailleurs forte en symbolique : apprenant l’emprisonnement de sa femme et la mort de son frère, Robert De Bruce s’avance sur la plage, tire son épée, la lève comme pour donner un coup, avant de tomber sur le cul.

Cependant, comme dit précédemment, le film n’est pas clair relativement à la durée. La preuve en est qu’entre le moment où les nobles écossais s’inclinent devant le roi d’Angleterre (1304) et la bataille décisive de Starling (1314), il s’écoule dix ans. Vu que dans le film la fille de Robert de Bruce ne semble pas grandir (cela vient en partie du fait qu’elle disparaît de l’intrigue sans qu’on la revoie à la fin), cela donne l’impression que seulement quelques mois s’écoulent entre les deux événements, qui amorcent et concluent Outlaw King. La répression contre les partisans de Robert, faisant suite à son couronnement le 27 mars 1306, dure donc pendant huit longues années. La reconquête de l’Ecosse par Edouard Ier pousse Robert de Bruce à se retrancher et à vivre caché… dans une grotte. C’est dans ce contexte là qu’interviennent le gros des persécutions que nous avons évoquées.

FREEDOOOOOOOOOM

L’événement qui poussera Robert de Bruce à sortir de sa retraite, c’est la mort d’Edouard Ier et le couronnement de son fils, l’incapable Edouard II. Le traitement de ce personnage m’intéresse grandement dans le film. Notamment par son aspect profondément ridicule. En témoigne sa défaite lors de la bataille de Stirling, alors que son armée a battu en retraite, son acharnement naïf à vouloir combattre Robert prête à sourire. Si nous n’avons aucune preuve qu’Edouard II ait été aussi ridicule que dans le film (on se doute néanmoins qu’il fut un roi médiocre, puisqu’il fut trahi et assassiné par ses propres nobles, qui couronnèrent son propre fils, Edouard III), ce trait, profondément marqué dans le film me semble découler d’un topos récurrent dans les reconstitutions historiques. Le Edouard II de Outlaw King semble appartenir à la même famille que l’Empereur Commode (Gladiator, de Ridley Scott), Guy de Lusignan (Kingdom of Heaven, de Ridley Scott), Jean Sans-Terre (Robin des Bois, de Ridley Scott), c’est à dire des monarques incapable de gouverner, jaloux du charisme de leur ennemi de plus basse extraction, et dont la chute sociale et spirituelle se veut le reflet de l’ascension de leur rival magnifique (Maximus, Balian, Robin des Bois).

Mais avant de perdre sa couronne au profit de son fils, Edouard II a perdu une bataille importante face à Robert de Bruce et son armée de fantassins. La reconstitution de la bataille de Starling de Outlaw King est plutôt réaliste : l’armée anglaise, composée pour l’essentiel de cavaliers, est tombée dans un piège tendue par les écossais : des piques plantées dans des fossés, sur lesquels hommes et chevaux venaient s’embrocher. Cependant, ce n’est pas ainsi que les Ecossais ont gagné la bataille. Si cette stratégie s’avère payante, les anglais gardent l’avantage du nombre. En vérité, aucune des deux armées semble prendre le dessus sur l’autre. Les deux armées belligérantes battent donc en retraite à la nuit tombée, et passent la nuit sur place. C’est une attaque surprise des écossais, alors que le soleil n’est pas encore levé, qui va permettre à Robert de Bruce de remporter la victoire. Les anglais, encerclés, sont massacrés. Ce qui est intéressant, c’est qu’une telle manœuvre a lieu dans le film. Non pas à la bataille de Stirling, mais au début. Une manœuvre menée par… les anglais contre les écossais. En inversant les rôles, David Mackenzie fait, indirectement, un jugement de valeur. Cette victoire, qu’il semble percevoir comme étant lâche, n’est pas digne de son héros Robert de Bruce. Il la confie donc à son ennemi le plus vil : les anglais.

Edouard II est renversé en 1327. Edouard III et Robert de Bruce signent un traité de paix en 1327. Soit vingt-et-un ans après que les écossais aient plié le genou devant le roi d’Angleterre.

Salut, c'est Gaëtan. Diplômé d'un Master en Langues Modernes, je suis un grand passionné de Culture Pop. J'ai une affection toute particulière pour la culture des années 80/90. Grand lecteur, je suis aussi cinéphage et sérivore (un régime alimentaire des plus équilibrés !). Passionné par le Moyen-Âge, je suis un grand fan de Fantasy. Sinon, j'adore le cinéma coréen, la littérature japonaise, les séries et les comics britanniques. Ah, j'oubliais : pour savoir s'il y a du vent, faut mettre son doigt dans le cul du coq.

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Commentaires (10)
J'adore ce genre d'article
photo de profil de jeanLucasec Par jeanLucasec, il y a 6 ans Répondre
Oui c'est rare sur hitek un article de cette trempe, ca fait plaisir, encore !
photo de profil de GregUtla Par GregUtla, il y a 6 ans Répondre
vu et perso j'ai bien aimer ;)

il y a du sang , de la sueur , quelque coquinerie
et une belle fin ;D
photo de profil de Ray Fléchi Par Ray Fléchi, il y a 6 ans Répondre
Felicitation à l'auteur de l'article! C'est en effet très plaisant ces parutions instructives et développées sur hitek.
photo de profil de Elvipar Par Elvipar, il y a 6 ans Répondre
Merci pour cet article très intéressant.
photo de profil de Syrion Par Syrion, il y a 6 ans Répondre
Article intéressant mais deux précisions : il s'agit de la bataille de Bannockburn et pas de Starling (même si le chateau de Stirling est tout proche. On retient le nom de bataille de Stirling pour celle victorieuse de William Wallace en 1297). Ensuite, les charges anglaises ne se sont pas brisées principalement dans des fosses agrémentées de piques, mais sur les formations denses de piquiers écossais, les Schiltrons.

Pour info, nous avons écris un article à ce sujet :

https://larevuedhistoiremilitaire.fr/201…
photo de profil de La revue d'Histoire militaire Par La revue d'Histoire militaire, il y a 6 ans Répondre
Merci beaucoup pour votre commentaire et vos précisions. Je viens de lire votre article que vous avez partagé, et il est passionnant.
photo de profil de Gaetan Par Gaetan, il y a 6 ans (en réponse à La revue d'Histoire militaire) Répondre
La bataille finale du film n'est pas Stirling (même si vous faites allusion à celle de Bannockburn en réalité) mais Loudoun Hill et se déroule en 1307 donc trois années après le début du film donc cela pose déjà moins de problème sur la temporalité du film ;)
photo de profil de Flo Par Flo, il y a 6 ans Répondre
Bonjour, je tiens à préciser que ce n'est ni la bataille de Stirling (qui est arrivée plus tôt), ni celle de Banockburn (qui est arrivée plus tard) comme j'ai pu le voir dans les commentaires. En réalité la bataille représentée est une victoire plus mineure, celle de Loudoun hill en 1307. Les éléments décrits à l'écran représentent plutôt bien la bataille. Au crédit du film on peut aussi mettre la qualité des costumes, des décors, et l'attention apportée à l'armement. (Avez vous déjà vu des cottes de mailles rivetées dans un autre film ? )
photo de profil de GwennBlei Par GwennBlei, il y a 5 ans Répondre
Par ailleurs, les anglais ont bien attaqué dans la nuit et anéanti l'armée de Robert à Methven au début du conflit, ce n'est pas juste une tactique écossaise assignée aux anglais pour des besoins scénaristiques.
photo de profil de GwennBlei Par GwennBlei, il y a 5 ans (en réponse à GwennBlei) Répondre
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