Ce qui me fait peur avec l'adaptation en série de Watchmen
C’est une des séries les plus attendues du moment : Watchmen, adaptation pour HBO du chef d’oeuvre absolu d’Alan Moore et Dave Gibbons. Pourtant, si je suis très fan du travail accompli jusqu’à aujourd’hui par la chaîne phare du groupe Warner, cette série à venir me fait plutôt peur. Je vous explique pourquoi.
Attention : cet article représente uniquement mon avis, et n’engage nullement celui de l’ensemble de la rédaction de Hitek. De même, dans l’hypothèse où je ferais fausse route (j’espère d’ailleurs que c’est le cas), je regarderais la série dès sa sortie, afin de me forger un avis honnête, débarrassé de mes craintes de fan.
De nouveaux personnages peut-être trop complexes
Si aucun synopsis officiel n’a été publié à ce jour, la description des personnages proposée par les producteurs de la série a de quoi dérouter. Plusieurs personnages nous ont été présentés, principalement des policiers : Angela Abraham (policière afro-américaine intelligente, indépendante et réalise), son mari, Cal Abraham (bon père et bon mari, père au foyer), Looking Glass (autre policier, apparemment séduisant, mais qui n’hésite pas à tuer), Panda (flic probablement asiatique, puisque qualifié d’ethnique, solitaire et cynique), Red Scare (policier d’origine russe, qualifié d’abrasif), Pirate Jenny (autre policier (ou policière, on ne sait pas), qualifié de bisexuel et androgyne), Jane Crawford (femme du chef de la police) et le Vieil Homme (un ancien policier).
Ces nouveaux personnages, qui n’existent pas dans le comics original, peuvent individuellement être intéressants. Notamment parce qu’ils symbolisent, chacun d’eux, des minorités pas suffisamment représentées au cinéma comme à la télévision (bien que les choses soient en train d’évoluer). Néanmoins, il me semble que ces nouveaux personnages, lourds de signification, tendent à compliquer une œuvre déjà suffisamment complexe. Watchmen n’avait pas besoin d’une dizaine de nouveaux personnages complexes, alors que cette œuvre en regorge. J’ai bien peur que le récit soit alourdi, et que si les personnages de l’oeuvre originale sont conservés, leur importance et leur propre complexité soit diluées par l’arrivée de ces nouveaux personnages.
Nos confrères de Comics-Blog craignent par ailleurs que la série ne s’oriente finalement vers une série policière. Ce qui, étant donnée le nombre impressionnant de policiers intégrés à l’histoire, s’avère fort probable. Et fort dommageable. Parce que l’un des principaux intérêts du chef d’oeuvre d’Alan Moore, c’est qu’il proposait de casser les codes du comics de super-héros. Ce simple aspect participait à rendre cette œuvre révolutionnaire (bien qu’elle soit, j'en conviens, une œuvre révolutionnaire à plus d'un titre). Alors que la production hollywoodienne actuelle croule sous les adaptations de super-héros (et que le phénomène est loin de s’essouffler), cette adaptation de Watchmen aurait pu faire office de révolution.
Est-il vraiment judicieux d'ancrer le récit à notre époque ?
Mais là n’est pas le seul problème à mon avis. L’adaptation de HBO semble prendre le parti – étant donné le profil des différents personnages – de vouloir ancrer le comics dans le réel, en insistant sur une galerie de personnages nouveaux issus de diverses minorités. Encore une fois, si je trouve que ces personnages risquent de rendre inutilement complexe une œuvre qui a de la complexité à revendre, je n’ai rien contre une plus juste représentation des minorités sur grand et petit écran. Cependant, je me pose la question : ancrer l’action de Watchmen dans notre époque ne risque-t-il pas de porter préjudice à l’oeuvre originale ? Je m’explique. Watchmen est certes un récit de super-héros révolutionnaire, mais il s’agit de bien plus encore. Watchmen possède un nombre incroyable de visages. L’un d’eux, c’est celui de l’uchronie.
Dans Watchmen, Nixon fait son cinquième mandat, et la guerre du Vietnam a été remportée par les USA grâce à la présence du Docteur Manhattan dans leurs rangs. Avant que certains lecteurs me reprochent d’aller un peu vite en besogne, argumentant le fait que je n’ai aucune preuve que l’intrigue ne se déroule pas pendant la Guerre du Vietnam, le simple fait que l’un des policiers présentés en début d’article soit russe et un autre probablement asiatique me laisse à penser que nous ne sommes plus dans un monde avec le bloc capitaliste d’un côté et le bloc communiste de l’autre. Bien évidemment, peut-être que les scénaristes de l’adaptation proposeront une époque où Donald Trump signe son quatrième mandat, et où la guerre en Syrie fut remportée par les USA grâce à la présence d’un personnage omniscient et omnipotent (Docteur Manhattan ou un héros lui ressemblant). Ceci dit, il me semble que le contexte de la Guerre du Vietnam s’avérait plus intéressant. Parce que la présence de ces blocs permettait finalement une division intéressante du peuple américain. Par exemple, malgré toute l’estime que les lecteurs ont pour Rorschach, ce personnage est profondément anti-communiste, comme précisé dans la première page du comics. Dans l’Amérique de Trump, les frontières sont beaucoup plus floues.
Faut-il vraiment adapter Watchmen ?
Mais une autre question demeure : Watchmen est-il une œuvre véritablement adaptable ? Beaucoup diront, au vu du film de Zack Snyder (300, Batman v Superman, Justice League), que oui, il est possible d’adapter Watchmen. Pourtant, bien que j’aie personnellement apprécié le film Watchmen, en partie grâce à l’utilisation qui est faite de la musique (je vous renvoie à l’article que j’ai rédigé à ce propos), certains défauts du film me laissent penser que non. Si le film tente, dans une certaine mesure, de coller au maximum au comics d’Alan Moore, quitte à ce que cela paraisse à la limite de l’imitation obsessionnelle, certains éléments de l’oeuvre originale n’ont pas pu être retranscrits à l’écran. Premièrement, Watchmen est une œuvre qui ne révolutionnait pas seulement le monde des super-héros, mais aussi la grammaire des comics. Par exemple, tout le chapitre 5, intitulé Terrible symétrie, est écrit et dessiné comme un palindrome bédéistique (pour rappel, un palindrome est un mot qui peut se lire dans les deux sens). Comment transposer à l’écran ce tour de force incroyable ? Des exemples comme ça, Watchmen (mais aussi l’entièreté de la bibliographie d’Alan Moore) en contient des tas. Des tours de force qui font de cette BD le chef d’oeuvre qu’elle est, seule BD à être présente dans la liste des meilleurs romans du XXème siècle.
Autre élément qui n’était pas présent dans le film : les discussions entre le buraliste et le jeune homme lisant des comics de pirates. Des passages magnifiques et complexes, où s’entrecroisent des commentaires nihilistes sur notre monde et un autre tour de force, puisque Alan Moore pousse le concept de l’uchronie jusqu’au bout : dans un monde où les super-héros existent, les jeunes lisent des comics de pirates.
À n’en pas douter, on comprend qu’Alan Moore renâcle à ce que son œuvre soit adaptée. D’ailleurs, l’adaptation de Watchmen se fait contre son avis : il ne touchera par ailleurs aucun dollar. En outre, il semble qu’il y ait une certaine malédiction concernant les adaptations des comics d’Alan Moore (peut-être proférée par ce dernier, puisque le barde de Northampton est magicien). V pour Vendetta, s’il s’agit d’un bon film d’action, demeure néanmoins insuffisant relativement à l’oeuvre originale. Tout d’abord, le mot anarchie (mot central de l’oeuvre d’Alan Moore, anarchiste forcené) est absent du film. Ensuite, la fin du film va finalement à l’encontre de la morale de Moore. From Hell me paraît plus représentatif encore du gâchis que peut être une adaptation de comics d’Alan Moore. Alors que l’oeuvre de Moore et de Campbell était un traité de psychogéographie complexe et poétique, où s’entrecroisaient Littérature, Sciences, Histoire, Architecture, Mysticisme et drame social, le film n’est qu’une histoire sans finesse sur Jack L’Eventreur. Quant à La Ligue des Gentlemen extraordinaires, ils ont réussi à dénaturer l’oeuvre en incluant un héros américain au sein de cette ligue de personnages de fiction anglais. Alors que l’oeuvre fait partie des comics les plus brillants d’Alan Moore, il ne s’agit que d’un film très vite oublié, à la limite du nanar pour certains.
L’avenir dira si l’adaptation par la chaine HBO sera de qualité ou non. De mon côté, j’espère sincèrement que l’oeuvre ne sera pas trop dénaturée.
Du coup Hitek se permet de claquer 70€ pour qu’un rédacteur donne son avis ?
De plus je réponds : au pire l’adaptation est un navet, comme la grande majorité des adaptations...
Si c'était dans le cut originel avec Tales from the Black Freighter et monté à peut près comme dans le comics.
Sauf que ça faisait une version de de 3h25 donc insortable au cinéma.
La version Ultimate Cut n'est dispo qu'en import US.