Sortie ce lundi 25 mai 2020, la série Snowpiercer est une adaptation revendiquée du film réalisé par Bong Joon-ho (Parasite, Memories of Murder) en 2013, lui même une adaptation de la bande-dessinée français Le Transperceneige, de Lob et Rochette. Sauf que... certains choix ternissent grandement l'esprit de la BD comme du film. On vous explique pourquoi.
Une BD, un film, une série
Avant de commencer, il nous semble nécessaire de rappeler ce que sont Le Transperceneige et le film Snowpiercer. Le Transperceneige est une BD de SF française, écrite par Lob et dessinée par Rochette. Une BD d'anticipation, dans laquelle, après un cataclysme climatique emmenant une nouvelle ère glaciaire, l'humanité se retrouve confinée à l'intérieur d'un gigantesque train fonçant à toute allure, les plus riches à l'avant, les plus pauvres à l'arrière. On y suit Proloff, homme taciturne et individualiste, vivant à l'arrière du train, et qui tente de se frayer un chemin vers l'avant, et qui pourra compter sur Adeline, venue des classes privilégiées, qui se bat pour la dignité des plus pauvres.
Snowpiercer est, quant à lui, un film de Bong Joon-ho, qui, passionné de BD, entreprit de réaliser une adaptation libre de la BD de Lob et Rochette, qu'il a découverte pendant le tournage de The Host. Si le film partage les thématiques de la BD (lutte des classes, dictature, etc), le réalisateur sud-coréen opère quelques changements, afin de donner sa vision de la lutte des classes. Ainsi, Proloff devient Curtis (interprété par Chris "Captain" Evans), qui, après avoir découvert que les armes des gardes les maintenant dans la misère à l'arrière du train n'étaient pas chargées, se lance, avec quelques-uns, à l'assaut de la locomotive.
La BD comme le film sont deux oeuvres cultes, particulièrement réussies visuellement. Deux oeuvres passionnantes, explorant (chacune à leur manière) la lutte des classes. La série Snowpiercer, quant à elle, est une adaptation du film de Bong Joon-ho, bien qu'elle reprenne certains éléments de la BD. Cependant, une différence majeure distingue cette adaptation des deux oeuvres qui l'ont précédées. Une différence problématique.
Le problème de la série
La série Snowpiercer a la particularité d'être une série policière. Cela peut paraître banal présenté comme cela, mais pourtant, cet aspect a son importance. La série raconte l'histoire d'Andre Layton, détective résidant à l'arrière du train, contraint par l'Avant du Train, d'enquêter sur une sordide affaire criminelle. Mêler au genre SF une histoire policière n'est en soi pas très original (Blade Runner est passé par-là), mais sert l'objectif de la chaîne américaine TNT, commanditaire de la série. En effet, consciente de l'émerveillement (qui ne trahissait pas l'effroi) que produisait la découverte de l'avant du train, dans le film de Bong Joon-ho, avec ses salles très colorées et ses aquariums magnifiques, la production a décidé que la série nous ferait visiter l'intégralité du train. Pour ce faire, ils ont renoncé au schéma linéaire de la BD et du film, où l'on va de l'arrière à l'avant. Le personnage d'Andre Layton est donc créé avec cet objectif : ses prérogatives en tant que détective lui permettent un semblant de "laisser-passer". L'intrigue policière, écrite à la truelle, n'a nul autre objectif que de permettre la création d'un personnage permettant une visite guidée du train, traînant dans chaque salle avec la lenteur et l'attention que requiert une enquête criminelle, tout en garantissant la possibilité de revenir sur ses pas si le besoin se présente.
Le problème, c'est que ce choix scénaristique se fait au détriment des intentions politiques de la BD et du film. La linéarité du schéma dans les deux oeuvres permettaient de symboliser la rigueur du système social, qui ne laisse pas facilement les classes populaires progresser. L'avancée des personnages vers l'avant du train a ceci de libératoire qu'elle est transgressive. Ainsi, toute la rhétorique marxiste de la BD et du film se retrouve reléguée dans la série à un second plan, dans la série, alors qu'elle est essentielle dans les deux oeuvres. On la retrouve jusque dans le nom de Proloff, dont le prénom rappelle à la fois la figure du prolétaire (prolo) et du soviétisme (le nom à consonance russe). Même chose avec Curtis, dont l'apparence vestimentaire et physique (bonnet de marin et barbe mal taillée) rappelle la figure des marins de la fin du XIXème-début du XXème siècle, ceux qu'on retrouve dans la chanson Amsterdam de Jacques Brel. Les deux oeuvres ne traitaient pas tant des dictatures que des différentes façons de mener une révolution. Proloff est un individualiste, qui lutte plus pour sa propre survie que pour celle des autres ; Curtis, plus altruiste, mène un groupe à la révolution. Les deux oeuvres viennent rappeler le profond engagement politique de leurs auteurs : Jacques Lob a participé activement à des journaux de BD pour adultes se heurtant bien souvent à la censure, de (A suivre) à L'Echo des savanes, et Bong Joon-ho a toujours fait de la lutte des classes le leitmotiv de son oeuvre cinématographique, de Memories of Murder à Parasite, ou encore Okja.
Autrement dit, on peut reprocher à la série de faire de la visite de ce fameux Transperceneige sa finalité, oubliant par la même la véritable symbolique qui se cache derrière ce train circulant éternellement dans une fuite en avant, et à l'intérieur duquel la colère gronde.
Si vous souhaitez en apprendre d'avantage, nous conseillons la très bonne vidéo de InThePanda que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Par pierrepierre, il y a 4 ans :
Perso j'ai trouvé ça pas mal
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