Toy Story, Shrek, Là-haut, Le monde de Némo ou encore Vice Versa, autant de films qu’on adore et qui sont tous faits en images de synthèse. Mais vous êtes vous demandé comment on pouvait bien fabriquer ce genre de film ? Comment Pixar, Dreamworks, Disney et tous les autres font pour nous faire rêver ? Vous avez probablement déjà vu ce genre d’images et vous vous posez des questions sur ce que ça veut dire et à quoi ça sert ? Dans cet article, on va tenter de suivre et de comprendre la démarche technique d’une manière générale dans la création d’un film d’animation.
On part tout d’abord d’un scénario. Comme n’importe quel autre film tourné en vrai, il faut des personnages avec des objectifs, un début, une fin, des gentils, des méchants, une histoire quoi. Grâce à ça, on peut commencer le film.
Le concept art
Une fois que c’est bien écrit, on peut créer les designs des personnages, des lieux, et des ambiances. Dessinés à la main sur papier ou sur ordinateur grâce à une tablette graphique, les artistes et les directeurs artistiques se mettent d’accord pour trouver un style général. Ils créent des gabarits pour que les modélisateurs aient des plans, que les animateurs aient des expressions à suivre, et ceux qui s’occupent des lumières, un objectif d’ambiance. C’est très important pour que tout le film soit cohérent. Les grands films ont souvent des livres très intéressants contenant les recherches artistiques, et ces recueils sont une source d’inspiration très intéressante.
Le storyboard
Comme un vrai film encore, il faut créer la “bande dessinée” du film. Il contient les informations utiles de cadrage, “d’acting” des personnages, de minutage, de son, de dialogues… Grâce au storyboard, on a le film structuré en plans et en séquences, on perçoit vite le rythme général. C’est la référence immobile de la structure du film.
Ce storyboard commence à bouger grâce à l’animatique. C’est la version vidéo du storyboard, où l’on met l’accent sur le timing des plans sur une ébauche de son. Voilà un exemple d’animatique pour le dernier film des Minions (la première partie de la vidéo) :
La modélisation
Sur des logiciels spécialisés comme Maya, 3ds max, Blender, ou encore Modo, on se met à créer des modèles 3D des personnages, des objets et des décors. Ce sont des formes constituées d’une multitude de points, liés entre eux, formant des polygones. La disposition de ce maillage est important pour que l’animation déforme bien le personnage. Les personnages sont créés en pose neutre, comme des poupées immobiles prêtes à être animées. L’image suivante montre que la disposition des polygones est régie par des règles logiques, et qu’on ne doit pas faire un quadrillage simpliste.
Avant, on peut parfois passer par une phase de sculpt, où les artistes utilisent les polygones comme pâte à modeler. On peut donner énormément de détails dans un sculpt numérique, allant même jusqu’aux détails des pores de la peau. Mais il faudra tout de même refaire une version plus légère, en effectuant une retopologie du maillage, pour avoir un modèle plus léger en nombre de points. S’il y a trop de points, l’ordinateur pète un câble, c’est bien trop lourd. Voici un exemple de sculpture numérique :
On créée ensuite les textures qui vont avec chaque modélisation. Pour un seul modèle, on peut avoir plusieurs images différentes pour que la lumière réagisse bien, et donne un aspect réaliste. Sans trop rentrer dans les détails, voilà un exemple pour un mur de brique simple :
Dans l’ordre : Diffuse (couleur de base), Normal (petits reliefs), Ambient Occlusion (micro ombres), Height (niveau de profondeur), Specular map (niveau d’incidence de la lumière).
Le rigging
Il s’agit de la préparation de la modélisation à l’animation. Imaginez que vous ayez une poupée molle et que vous aimiez la faire bouger. Eh bien il faudrait lui faire un squelette en fil de fer et des manettes pour la contrôler. Des manettes pour les mains, d’autres pour les bras, pour les jambes, les yeux, etc.
En 3D c’est pareil. On met des poignées pour bouger la modélisation, afin de lui donner des poses. On créé des manettes pour les membres, mais aussi pour le visage, ou n’importe quoi d’autre. Il y a de vrais ingénieurs qui font des manettes sophistiquées pour qu’en les bougeant, on ait des déformations musculaires. Ils créent de véritables squelettes qui réagissent comme de vrais squelettes, avec des contraintes logiques. Le mélange du squelette et des manettes, s’appelle le rig.
L’animation
Là, on rentre dans le concret. Les choses bougent et tout devient vivant. L’animation est un véritable travail de précision demandant de la patience. On donne du charisme à un personnage principalement grâce à la manière dont il bouge. Être un bon animateur, c’est être un bon acteur.
Grâce aux manettes vues précédemment, l’animateur donne des poses clefs à différents moments. Pas besoin de faire de l’animation image par image, l’ordinateur effectue lui-même les interpolations. Les animateurs ont les références de timing grâce à l’animatique. Voilà un exemple :
Dans la vidéo, il y a le terme “blocking”, c’est une phase d’animation où les poses des personnages sont “bloquées” et bien rythmées. Les mouvements seront lissés plus tard.
Parlons un peu du rendu
C’est bien gentil tout ça, mais ça reste très moche ! En effet, on est toujours à l’intérieur du logiciel, et on a un “rendu” très jeu vidéo à l’ancienne. C’est normal. Il faut absolument faire la distinction entre le temps réel et le précalculé :
> Le temps réel, c’est le monde du jeu vidéo. C’est du calcul d’images en direct, stockées illico dans la ram et envoyées directement sur l’écran. Les moteurs de temps réels sont par exemple Unity ou UDK, ceux-là même qui font tourner vos jeux préférés. C’est grâce à ce mode qu’on peut voir les objets dans le logiciel de modélisation.
> Le précalculé c’est le monde du film d’animation : on a des logiciels, qu’on appelle des moteurs de rendus, qui calculent l’image de synthèse. Il faut calculer chaque image du film séparément. Et à raison de 25 images par secondes, on parvient à 135 000 images pour un film d’une heure et demie !
Par exemple, on a un cube sur un sol avec une lumière sur le côté. On lance le calcul grâce au moteur de rendu, et paf ! On obtient une image avec un cube et son ombre sur le sol. C’est très simpliste, mais dès lors qu’on a un personnage complexe, dans un univers complexe, et en travaillant les textures et les matériaux, on a une image de meilleure qualité qu’en temps réel. Le jeu vidéo pourra d’ailleurs égaler le précalculé en terme de qualité et de réalisme d’ici quelques temps, mais c’est un autre sujet.
Des moteurs de rendus, il en existe plein. Certains studios comme Pixar ont créé le leur. On retrouve par exemple Vray, Arnold, Mental ray, Cycles, Lux render, Renderman. En fonction du moteur de rendu, on met en place des éclairages et des caméras. Comme un vrai film, on a un vrai studio à l’intérieur du logiciel. On peaufine les textures, les matériaux, les effets spéciaux comme la simulation de l’eau, les vêtements, les particules, la fumée…
Une fois que tout est animé et tout le reste est prêt, on clique sur le bouton de rendu, et l’ordinateur calcule chaque image du film, les unes après les autres. Ça peut être très long. TRÈS TRÈS LONG. Une seule image, pour les plus rapides à calculer, c’est quelques minutes. Mais certains studios font des images qui ont PLUSIEURS heures de calcul. Tout dépend en réalité de la complexité de la scène et des paramètres de rendu.
Un seul ordinateur ne peut pas tout faire rapidement, alors on fait appel en général à des fermes de rendu, des endroits où plusieurs dizaines d’ordinateurs tournent en continu afin de calculer les images. C’est un gain de temps phénoménal. Les grands studios d’animation ont leurs propres fermes, tandis que certaines entreprises sont spécialisées dans ce domaine.
Le compositing
On arrive à la fin du projet. Toutes les images ont été rendues, et n’attendent qu’à être mises les unes après les autres pour faire un film. Mais ce n'est pas aussi simple. L’image qui a été calculée mérite souvent d’être retouchée. Correction colorimétrique, ajout d’effets visuels, corrections mineures et stylisation, on se doit d’effectuer ces corrections pour peaufiner l’image.
On appelle ça le compositing car on compose l’image grâce à plusieurs “calques” d’images. On a de manière séparée la couleur, les reflets, la profondeur, ou bien chaque élément séparé. L’image suivante vous donne un aperçu de tous ces calques à superposer :
Elles permettent de toucher à quelque chose sans affecter le reste. Par exemple, on peut corriger le reflet dans l’oeil d’un personnage parce qu’il est trop fort, on peut aussi mettre de la brume et régler sa densité.
On peut donc ajouter des effets visuels pour rendre l’image plus réaliste ou plus stylisée. Du lens flare (TMTC Abrams), du glow de lumière, du grain de film, de la vignette d’objectif, de l’aberration chromatique, un effet rétro sur la couleur, du trait sur les contours, du changement de point focal… Il n’y a pas de limite à la retouche sur l’image et c’est là l’avantage du précalculé. Pour le compositing, on pense souvent à After Effects car c’est le plus connu, mais dans le monde professionnel, on utilise majoritairement Nuke.
Le son
On ne va pas rentrer dans les détails pour le son. Il suffit simplement de savoir qu’il y a deux phases principales. Celle au niveau de l’animatique, et celle au niveau du montage final. L’animatique contient du son pour une question de timing et d’ambiance, et n’est pas toujours la version finale. Cette version aide les animateurs à être synchronisés. La dernière version est bien plus travaillée. C’est là où interviennent les doubleurs et les musiques d’ambiance finales.
La fin
On colle la vidéo et le son, et paf, on obtient un chef d’oeuvre prêt à passer au Gaumont. Voilà comment on fait un film d’animation. Cet aperçu généralise beaucoup et passe énormément de détails à la trappe, mais il permet de comprendre les bases.
Pour conclure, il faut comprendre que c’est une grande industrie complexe, où chaque rôle nécessite un métier et un savoir faire précis. Le modélisateur doit très bien connaître entre autres l’anatomie, l’animateur doit être bon acteur, le riggeur doit avoir un esprit logique performant, et les artistes doivent être créatifs. Mais pour un film comme Le Monde de Némo, il faut énormément de petites mains. Il y a beaucoup de gens derrière ces films, il suffit de voir la longueur des génériques. On peut d’ailleurs regretter que lors des promotions des films d’animation, on ne les présente qu’au travers de la notoriété des doubleurs, et non via le talent des lead-artists ou des réalisateurs.
À une échelle bien plus petite, on retrouve toutes ces étapes pour des petits projets comme un court métrage ou une publicité de 30 secondes. C’est le même schéma, avec moins de complexité organisationnelle.
Par jeanLucasec, il y a 8 ans :
Passionnant !
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