Conseils lectures : les comics d'octobre / novembre 2018
Les fêtes de fin d’année approchant, les occasions de faire plaisir ou de se faire plaisir ne vont pas manquer dans les prochaines semaines. Voici notre petite sélection de comics, sortis en France en octobre et novembre 2018, afin de conseiller ceux qui n’ont pas d’idées de cadeaux ou ceux qui sont en mal de bonnes lectures.
La Ballade de Halo Jones – Alan Moore & Ian Gibbons
Si tout le monde s’accorde à dire qu’Alan Moore est le plus grand génie de la bande-dessinée, nombreux sont ceux qui ne connaissent que ses œuvres les plus connues : Watchmen (pour DC), V pour Vendetta (pour Warrior, puis DC), Batman : The Killing Joke (pour DC), From Hell (pour Taboo) ou La Ligue des Gentlemen extraordinaires (pour ABC / Image Comics). Pourtant, ceux qui connaissent bien son œuvre savent qu’elle est jalonnée de chefs d’oeuvre au succès moins retentissant, mais qui méritent néanmoins toute notre attention. La Ballade de Halo Jones est une de ces œuvres. Publiée dans le magazine britannique 2000AD, et dessinée par Ian Gibson, La Ballade de Halo Jones est une œuvre intelligente et intense.
Publiée entre 1984 et 1986, La Ballade de Halo Jones raconte les aventures d'une jeune américaine du 50e siècle. Après le meurtre de sa meilleure amie, Halo Jones décide de quitter la terre pour un voyage interstellaire. Certains lecteurs reprocheront l’action profondément lente du récit, mais qu’ils s’accrochent ! Le récit s’accélère dès la seconde partie, avant un final mémorable dans la troisième partie. Ce récit de science-fiction absolument révolutionnaire est une critique acerbe et déjantée de l’Angleterre de Margaret Thatcher. Mais c’est aussi un portrait de femme unique, très éloigné des codes habituels de la BD anglo-saxone. Les fans de V pour Vendetta et de Watchmen trouveront par ailleurs dans ce comics toute la verve politique de son auteur anarchiste. On pourrait presque considérer d’ailleurs que La Ballade de Halo Jones s’inscrit dans une tétralogie politique, avec From Hell et les deux autres œuvres susnommées. Alan Moore y fait montre de tout son extraordinaire talent pour conter des histoires intelligentes (à l’image de son génie), et Ian Gibbons s’avère à la hauteur pour donner vie à la folie du scénariste. Les fans d’Alan Moore, désespérés de sa décision de se retirer du monde des comics, pourront toutefois se consoler en achetant La Ballade de Halo Jones, ainsi que Tom Strong, dont l’intégrale est prévue pour le 7 décembre, chez Urban Comics.
Publiée le 20 octobre chez Delirium. Prix : 29 euros.
American Gods – Neil Gaiman & P. Craig Russell
Neil Gaiman n'est pas qu'un scénariste de comics légendaire. Il est aussi un très grand romancier. Ce n'est pas pour rien si nombre de ses romans ont été adaptés au cinéma ou en série télé (Stardust, Coraline, Neverwhere, American Gods, De bons présages et on sait que Disney a acheté les droits d'adaptation de L'étrange vie de Nobody Owens). Le succès de la série American Gods a d'ailleurs convaincu le dessinateur P. Craig Russel, qui avait déjà adapté Coraline et L'étrange vie de Nobody Owens en BD, de faire le même travail avec American Gods.
Parfaitement orchestrée, cette adaptation est véritablement plaisante. Le travail du dessin et de la structure des cases est remarquable. Les fans du roman et de la série sauront très certainement apprécier ce comics à sa juste valeur. On a hâte de lire la suite.
Paru le 26 octobre chez Urban Comics. Prix : 22.5 euros.
Batman : White Knight – Sean Murphy
On le sait, les comics Batman sont parmi les comics qui rencontrent le plus de succès. Le personnage du Chevalier Noir et de sa Némésis sont de véritables icônes. Grâce, notamment, à certains chefs d'oeuvre, tels que Batman : Killing Joke d'Alan Moore, The Dark Knight Returns de Frank Miller ou encore Joker de Brian Azzarello. Néanmoins, depuis quelques années, les aventures de la Chauve-Souris m'apparaissent moins séduisantes, et ce malgré un excellent run (quoique parfois inégal), mené par la nouvelle coqueluche de la Distinguée Concurrence : Scott Snyder. Batman est-il condamné à vivre toujours les mêmes aventures, à mener toujours les mêmes combats ? Pendant les années 80-90, Gotham était un véritable laboratoire pour les auteurs, qui n'hésitaient pas à oser dépasser certaines limites, à casser certains codes. C'est pourquoi le Batman : White Knight de Sean Murphy est aussi retentissant.
Pour ne pas vous ôter le plaisir de la découverte, nous nous contenterons de vous résumer le run ainsi : le Joker est guéri de sa folie, et devient le nouvel espoir de Gotham. Ce faisant, Sean Murphy, l'auteur de Punk Rock Jesus et dessinateur du Tokyo Ghost de Rick Remender, réinvente la relation qui oppose Batman à son ennemi juré. Si tout n'est pas joué avec la carte de la subtilité, le commentaire politique et métadiégétique de Sean Murphy permet de conférer à l'oeuvre divers niveaux de lecture. Mais le plus grand atout de White Knight demeure le dessin de Murphy, toujours aussi beau et dynamique. A n'en pas douter, Batman : White Knight est l'une des plus belles réussites de son auteur, mais aussi une des meilleures publications de DC Comics, jusque-là embourbé dans ses reboots continuels (New 52, DC Rebirth, etc). Les fans de cet opus important devront ronger leur frein en attendant la parution, en 2019, de sa suite : Batman : Curse of the White Knight, toujours chapeauté par Sean Murphy. La collaboration entre DC et Murphy pour le Black Label est à suivre de très près !
Paru le 26 octobre chez Urban Comics. Prix : 22.5 euros.
Marvel 1602 – Neil Gaiman
Comme son compatriote et ami Alan Moore, chacune des parutions de Neil Gaiman fait office d'événement éditorial. Faut dire que le scénariste de Sandman, véritable chef d'oeuvre de la BD anglo-saxone, possède une aura particulière dans le milieu des comics : que ses travaux soient pour DC Comics (Sandman, Black Orchid), pour Marvel (Les Eternels) ou pour des éditeurs indépendants (Violent Cases), le scénariste anglais est sûr de connaître le succès. C'est sans doute pour cela que la Maison des Idées n'a pas hésité une seule seconde à lui donner carte blanche pour une série révolutionnaire : 1602. Gaiman transpose l'univers Marvel et ses nombreux personnages dans l'Angleterre du début du XVIIème siècle.
S'il ne s'agit pas du meilleur travail de Neil Gaiman (on lui préfèrera des oeuvres plus poétiques, telles que Sandman ou Black Orchid), il n'en demeure pas moins que cette réédition d'un comics paru au début des années 2000 fait office de bouffée d'air frais, au sein d'une production de comics qui peut s'avérer quelque peu répétitive. D'autant plus qu'il s'agit d'un comics nettement au-dessus de ce que certaines productions récentes nous ont proposé. Les fans de Marvel pourront d'ailleurs s'amuser à reconnaître leurs héros préférés sous de nouveaux atours. 1602 est une oeuvre infiniment plaisante, digne d'un des plus grands scénaristes de l'Histoire de la Bande-Dessinée. On regrettera néanmoins que Panini Comics ait choisi de rééditer ce comics en un seul format, somme toute assez onéreux, puisque l'édition coûte 75 euros. L'ouvrage demeure par ailleurs magnifique, d'autant plus que le comics de Neil Gaiman est ici suivi de ses trois suites et spin-off, 1602 : New World de Greg Pak et Greg Tocchini, 1602 : Fantastik Four et Spider-Man 1602. Peut-être néanmoins que la publication, à part, du run de Neil Gaiman pour 32 euros aurait permis à cette oeuvre de rencontrer un lectorat plus large. Il est possible toutefois que le run de Neil Gaiman soit publié dans les prochains mois, à 32 euros (c'était le cas pour Secret Empire de Nick Spencer, dont l'édition à 75 euros était parue deux mois avant l'édition à 32 euros). En tout cas, nous vous la recommandons très chaudement.
Parue le 7 novembre 2018 chez Panini Comics. Prix : 75 euros.
Secret Empire - Nick Spencer & Andrea Sorrentino
Depuis plusieurs années, les fans de Marvel découvrent tous les dix-huit mois un event bouleverant la continuité des comics de la Maison des Idées. Comme si le Marvel Cinematic Universe et le succès des cross-over cinématographiques avaient définitivement soudé les différentes équipes de super-héros entre eux. Après Original Sin, nous avons pu découvrir successivement La Mort de Wolverine, Secret Wars, Civil War II. Dernier gros événement éditorial en date : Secret Empire, dans lequel Captain America devient le chef de l'Hydra et dirige en bon tyran les Etats-Unis.
Que vaut le nouveau run de Nick Spencer ? On pourra reprocher à Secret Empire d'être finalement trop classique, et relativement éloigné de la révolution promise. Un Captain America passé du côté obscur ne suffit pas à rendre une histoire suffisamment complexe pour attirer le public. On pourra également reprocher à l'Histoire de démarrer trop lentement, et ce malgré une première bataille intéressante, dans laquelle tous les héros de l'Univers Marvel sont présents, des Avengers aux Gardiens de la Galaxie, en passant par les Defenders et les X-Men. Même Deadpool apparait quelques fois. Mais ce serait passer à côté de certaines qualités inhérentes à ce comics. Tout d'abord, le dessin d'Andrea Sorrentino (co-équipier de Jeff Lemire sur Green Lantern) est un véritable atout. Son dessin est précis, beau et ne manque pas de dynamisme. Ensuite, le fait que Secret Empire soit un gigantesque cross-over jouant avec les codes habituels de Marvel devrait satisfaire le lectorat de base. Ainsi, ceux qui souffrent de l'attente du film Avengers 4 (dont le titre pourrait être Avengers : Annihilation, d'après les dernières sources) apprécieront ce cross-over. Les lecteurs les plus exigeants préféreront néanmoins la lecture d'un Civil War de Mark Millar.
Paru le 7 novembre chez Panini Comics. Prix : 32 euros. (Existe aussi en édition Deluxe à 75 euros.)
Star Wars : Thrawn - Jody Houser & Luke Ross
Depuis que Disney a racheté LucasFilms et que les films Star Wars reviennent en grandes pompes dans nos salles de cinéma, une nouvelle vague de comics Star Wars, chapeautés par Marvel (autre licence Disney) a déferlé dans nos librairies. On vous en parlait cet été : il y a du très bon, du bon et du mauvais. Le dernier en date, Thrawn, est une réussite. Thrawn est un personnage bien connu des fans des Star Wars Légendes, de La Croisade noire du Jedi fou et Star Wars Rebels (seule cette dernière oeuvre fait partie du canon officiel de Star Wars). Après un roman consacré à l'histoire de ce stratège exceptionnel travaillant pour l'Empire, LucasFilms a décidé d'en faire un comics. Le personnage est aussi bien décrit que dans la série animée, et c'est un véritable plaisir que de le retrouver. Un personnage à l'intelligence si aigüe permet de capter l'attention du lecteur. Les dessins, très beaux, contribuent à faire de Star Wars : Thrawn un véritable plaisir de lecture.
Paru 7 novembre le novembre chez Panini Comics. Prix : 16 euros.
Klaus – Grant Morrison & Dan Mora
On vous en parlait il y a quelques semaines : Grant Morrison signe son grand retour avec une série de comics revisitant l'Histoire du Père Noël. Klaus développe donc une genèse du célèbre Barbus à manteau rouge avant qu'il ne devienne le Père Noël. Klaus vit donc au Moyen-Âge, et c'est un trappeur. Son opposition avec le Baron Magnus, qui règne sur Grimsvig, ville autrefois joyeuse et lumineuse, aujourd'hui terne et vide, va le faire entrer dans la légende. Mais le Père Noël de Morisson est un peu particulier. C'est un héros, un vrai. Capable de parler aux loups, entre autres.
On salue ce comics indé, paru en version originale chez Boom! Studio, avant de paraitre en France chez Glénat. Parfaitement dessiné, Klaus bénéficie aussi du talent d'un des scénaristes de comics les plus renommés : l'écossais Grant Morisson, celui qu'on appelait jadis "le nouvel Alan Moore", et qui a profondément marqué le médium avec des comics tels que Batman : Arkham Asylum ou Animal Man.
Paru le 7 novembre chez Glénat Comics. Prix : 22 euros.
Saga (volume 9) – Brian K. Vaughan & Fiona Staples
Avec Saga, le scénariste canadien Brian K. Vaughan signe son chef d’oeuvre absolu. Voilà plusieurs années que le jeune prodige d’Image Comics nous enchante, nous surprend, nous fait rire et pleurer avec son space-opera familial, qui profite de son imagination sans limite et de son talent inimitable pour le cliffhanger. Dans Saga, une guerre entre une planète (habitée par un peuple ailé) et sa lune (habitée par un peuple cornu) fait rage et déchire l'univers dans son entier. Mais quand une ailée, Alana, et un cornu, Marko, tombent amoureux, se marient dans le secret et ont une enfant, Hazel, ailée et cornue, ils deviennent la cible de la haine de tous. La petite famille doit alors vivre dans la clandestinité, tandis qu'un redoutable tueur à gage, Le Testament, est à leurs trousses. L'Histoire est racontée par Hazel, l'enfant d'Alana et Marko.
Saga a souvent été décrit comme étant la jonction parfaite entre Game of Thrones et Star Wars. Il s'agit d'un space-opera magnifique, où tout peut arriver, où chaque personnage peut trouver la mort au détour d'une case. La violence et les scènes de sexe très explicites font de cette oeuvre, profondément poétique et politique, un comics qui ne peut être mis entre toutes les mains. Ce tome 9, dans la lignée du travail effectué jusqu'à maintenant par Vaughan et Staples, nous rappelle qu'aucun personnage n'est à l'abris dans ce chef d'oeuvre absolu. Le scénariste d'Y le dernier homme et d'Ex Machina nous montre toute l'étendue de son génie. A lire de toute urgence ! (A noter par ailleurs que Brian K. Vaughan et Fiona Staples ont annoncé une pause dans l'écriture de Saga d'au moins un an.)
Paru le 16 novembre chez Urban Comics. Prix : 15.5 euros.
Multiversity - Grant Morrison
Sans conteste un des comics DC les plus importants de ces dix dernières années, Multiversity est un pari complètement fou, relevé par Grant Morisson. Les fans du scénariste écossais savent à quel niveau d'exigence on peut s'attendre avec l'auteur d'Arkham Asylum. Multiversity, c'est neuf one-shot, tous reliés entre eux, et autant d'hommages rendus à l'Histoire des comics. Vous y trouverez un Superman nazi, clin d'oeil au Red Son, le chef d'oeuvre de Mark Millar, dans lequel Superman avait atterri en U.R.S.S. et devenait le chef de l'Union Soviétique. Vous y lirez également Pax Romana, réponse au Watchmen profondément nihiliste d'Alan Moore, sous forme de miroir déformant. Un one-shot absolument génial. N'hésitez pas à vous offrir ou à offrir ce chef d'oeuvre. Il n'est pas utile d'être un féru de comics pour percevoir la splendeur de ce travail titanesque. Quoiqu'une connaissance plus approfondie vous garantira la possibilité d'entrevoir tous les niveaux de lecture. Au final, le Multiversity de Grant Morrison est ce que Watchmen est à Alan Moore ou Sandman à Neil Gaiman : son chef d'oeuvre absolu.
Paru le 16 novembre chez Urban Comics. Prix : 35 euros.
Scott Snyder