Venom : Eminem dévoile un titre de la BO
Vendredi 31 août, Eminem a créé la surprise générale. Neuf mois après son album très (injustement) critiqué, Revival, le rappeur américain originaire de Détroit, considéré par beaucoup comme étant le dieu absolu du rap, sort son dixième album, Kamikaze, sans aucune promotion. Non content de signer un de ses meilleurs albums, Eminem dévoile, en guise de treizième et dernière piste, la chanson Venom, chanson écrite pour le film éponyme tant attendu, né de l’association entre Sony et Marvel, avec le génial Tom Hardy (Bronson, The Dark Knight Rises, The Revenant, Peaky Blinders) dans le rôle principal. Le titre d’Eminem laisse-t-il des indices sur le film ? Et que penser de la place qu’occupe de plus en plus le rap au sein des films de super-héros ? C’est à ces questions que nous tâcherons de répondre dans cet article.
Analyse rapide de la chanson Venom
Tout d’abord, chassons immédiatement un malentendu : si la chanson d’Eminem fait bien évidemment référence au film de super-héros, dans son titre comme dans ses couplets, la chanson ne propose pas un résumé du film. Comme à son habitude, Eminem se met en scène, et c’est tout l’univers habituel de ses chansons qui est retranscrit dans Venom. Le rap commence par ces mots : "I got a song filled with shit". Dans le premier couplet, il est fait référence à son ami, compère et producteur de toujours, Dr. Dre, et à son meilleur ami, Proof, tué par balle en 2006 ("Proof’s room slept on floor on the motel then Dr Dre said ‘Hey Yeah’ "). Quel est le lien entre la chanson d’Eminem et le film Venom, si Eminem parle de lui ? Eh bien, Eminem utilise le célèbre Symbiote pour tisser une métaphore filée sur ses chansons. Ses textes ciselés, son double maléfique (Slim Shady étant à Eminem ce que Ziggy Stardust est à David Bowie), sont le venin (venom) qui nous attaque et nous métamorphose, ne nous laissant pas indemnes. Eminem conclue d’ailleurs par ces mots : "You marvel that ? Eddie Brock is you and I’m the suit, so call me Venom". Le rappeur de Détroit se voit comme un super-vilan ("I’m responsibale for your retarded fools, I’m the super-vilain"). Cette comparaison est riche de sens, puisque Eminem se décrivait comme un super-héros dans la chanson Business, dans l’album The Eminem Show ("Hey Marshall ! Sounds like an SOS ! Holy wack unlyrical lyrics, Andre, you’re fucking right ! To the rapmobile, let’s go ! […] But Old Doc is back, looks like Batman brought his own Robin"). On reconnaît là toute la complexité de la poésie d’Eminem, où tout est affaire de miroirs déformants.
Est-ce que la chanson Venom laisse un indice sur le ton du film Marvel à venir ? D’après les informations que nous avons, le film s’orienterait plus vers un PEGI-13 que vers un R-Rated. Autrement dit, si vous vous attendiez à un film aussi trash que Deadpool, vous vous trompez de film. Néanmoins, si l’on en croit les différentes bandes-annonces, le film regorgerait de violence (un film PEGI-13 peut être violent, la sexualité et la grossièreté étant les principales caractéristiques d’un film R-Rated, comme l’a rappelé l’excellent vidéaste Captain Popcorn dans sa vidéo Venom et la violence) et d’humour noir. Et peut-être, en un sens, est-ce également cet aspect que Sony a voulu mettre en avant, par cette collaboration avec Eminem. L’auteur de The Way I Am, Without Me ou Kim est un fin provocateur, mêlant à son flow incisif un humour noir qui fait mouche. D’ailleurs, l’utilisation de la chanson Without Me dans le film du DCEU Suicide Squad permettait sans doute de mettre en avant l’humour du film. Ceci dit, Venom est une chanson plus sérieuse que Without Me, plus lyrique aussi. Donc peut-être ne faut-il pas s’attendre à un film aussi drôle que Deadpool. D’ailleurs, la violence du film semble être le principal argument utilisé pour la communication faite par l’équipe de production.
L’utilisation du rap dans la culture geek
La sortie récente de la chanson Venom nous pousse également à nous interroger sur la place qu’occupe le rap dans la culture geek aujourd’hui. En effet, ce genre musical est de plus en plus utilisé dans les grosses productions actuelles. On se souvient par exemple du mashup de The Payback de James Brown et de Untouchable de 2Pac dans le film Django Unchained de Quentin Tarantino. On peut également citer la présence de plusieurs titres de rap dans la BO de Suicide Squad (dont Without Me d’Eminem) ou encore le travail du rappeur Kendrick Lamar pour la BO de Black Panther.
On peut bien évidemment trouver plusieurs raisons à ce regain du rap dans la culture geek. Tout d’abord, l’utilisation de chansons populaires dans la culture pop est de plus en plus récurrente (je vous renvoie aux excellentes BO des Gardiens de la Galaxie). Ensuite, dans certains films, tels que Django Unchained ou Black Panther, il y a un côté thématique : ces deux films mettent en scène des personnages afro-américains ou africains, et le rap est un genre musical créé dans le Bronx par des afro-américains qui cherchaient à s’exprimer (je vous renvoie à l’excellent documentaire réalisé par Seb la Frite, sur l’histoire du rap). Enfin, il peut arriver que le rap serve l’action, soit en la rendant plus dynamique, soit en montrant tout le côté fun, soit en servant de narrateur de l’action : mettre Untouchable de 2Pac pour accompagner la fusillade sanglante à la fin de Django Unchained me semble correspondre à ces trois objectifs. La scène est plus dynamique, plus fun, et Django se révèle bien évidemment comme étant intouchable.
Mais il me semble également que le rap, plus que tout autre genre musical, fait les yeux doux à la culture geek. Pour illustrer mon propos, il suffit de se rappeler la mise en scène d’Eminem en Robin dans Business, mais également les références faites aux comics dans Superman, Without Me (le clip) et Love the way you lie (« I’m Superman with the wind at his back, She’s Lois Lane). Mais cela se voit également, et ce de plus en plus, dans le rap français. L’exemple du rappeur Orelsan me semble un exemple équivoque. Le clip de son rap Ils sont cools fait bien évidemment référence aux Chevaliers du Zodiaque et à Dragon Ball Z. La chanson en elle-même fait référence à Ken le Survivant ("Technique de Ken Chiro et je bousille tes organes vitaux "), Toy Story ("J’ai créé un buzz éclair, Pixar "), Hunter X Hunter ("Le flow qui foudroie Gon et Kirua"). Les références à la culture geek sont une habitude chez Orelsan. La première piste de son dernière album (La fête est finie), San, fait référence dès le premier vers à Mario Bros ("J’suis dans l’premier Mario, à chaque fois que j’ai fini l’jeu, ça repart à zéro, en plus rapide en plus dur "), Retour vers le futur ("Retour vers le futur, j’veux pas rater l’troisième"), le film Equilibrium ("J’arrive en Gun Kata") et One-Punch Man ("Saitama, Punch fatal").
L’exemple d’Eminem et Orelsan témoignent de cette ouverture du rap vers la culture geek. Cette ouverture peut s’expliquer par le fait que le rap a évolué : plus uniquement contestataire (comme il pouvait l’être à l’époque de Suprême NTM (C’est arrivé près de chez toi) et de IAM (Petit frère)), ni autocentré sur le rap en lui-même, le rap se veut le reflet d’une époque. Rien d’étonnant donc que la culture contemporaine y soit fait référence de manière si explicite. Ces rappeurs, passionnés par les comics ou les mangas, se voient d’ailleurs récompensés de leurs efforts : Eminem écrit une chanson pour un film Marvel, Orelsan double le personnage de Saitama dans la série animée One-Punch Man.