L’affaire a fait le tour du net. Les Simpson s’apprêtent à faire leurs adieux au personnage de fiction Apu, l’épicier indien de Springfield. Depuis plusieurs mois, le personnage est critiqué, parce qu’il serait une caricature raciste des immigrés ou enfants d’immigrés indiens vivants en Amérique. Si nous comprenons qu’une caricature puisse heurter une communauté, nous pensons néanmoins que plusieurs aspects de cette affaire complexe n’ont pas été pris en compte. Et, surtout, que lorsque le politiquement correct impose sa dictature à l’Art, on assiste à une véritable crise culturelle.
Attention : Cet article représente mon avis personnel, et n’engage nullement celui de l’ensemble de la rédaction d’Hitek.
Une caricature raciste, vraiment ?
Alors, on va pas y aller par quatre chemins. Oui, Apu, avec son accent très prononcé, son métier d’épicier, sa politesse exacerbée, son mariage arrangé et sa ribambelle d’enfants peut être, effectivement, vu comme une caricature raciste. Néanmoins, ça me semble bien plus compliqué que ça… Pour la simple et bonne raison que tous les personnages des Simpson (hormis Lisa, et encore) sont des caricatures. Tous les personnages (ou presque) de la série sont des américains. Ils sont tous obèses, débiles, incultes, grossiers, malhonnêtes. Même le voisin ultra croyant des Simpson, Ned Flanders, plus cultivé, plus poli et plus intelligent que la moyenne (c’est à dire presque tous les personnages du show) a des idées politiques très conservatrices, se montrant volontiers homophobe. Ainsi, Ned Flanders devient-il la caricature de la droite chrétienne.
Autre point sur lequel la polémique a (je trouve) oublié de traiter, c’est qu’en traitant le cas d’Apu, les personnes qui se sont insurgé contre le traitement de ce personnage ont tout mis sur le même plan. Je m’explique : parmi les accusations faites à ce personnage, il y a le fait que le seul indien de Springfield soit un épicier. Ainsi, son métier participe à en faire une caricature raciste des indiens. Pire encore, nous dit-on, cet épicier indien est également un voleur, puisqu’il corrige les étiquettes de produits périmés, afin de les vendre à ses clients naïfs. Si je ne peux malheureusement pas donner tort au fait que le métier d’Apu participe à sa caricature, le traitement même du métier me semble intervenir à un autre niveau. Les personnages des Simpson sont tous soumis au même traitement : chacun est une caricature à plusieurs échelles. À l’échelle de la nationalité (caricature de l’américain moyen, caricature de l’indien, caricature du chinois, etc), de la vie religieuse (caricature du chrétien conservateur, caricature du juif), de la vie familiale (caricature du mari alcoolique, caricature de la famille parfaite, caricature de la famille nombreuse) et de la vie professionnel. Et je voudrais insister sur ce point. Apu n’est pas la caricature de l’épicier indien. Il est à la fois la caricature de l’indien ET de l’épicier. Au même titre que Moe est la caricature de l’américain et du barman, Wiggum la caricature de l’américain et du policier, Krapabelle la caricature de l’américaine libérée et de l’institutrice. La nuance peut paraître insignifiante pour certains, mais elle me semble au contraire très importante. Parce qu’elle démontre que le traitement d’Apu est le même que celui réservé à tous les personnages. Dire qu’Apu est une caricature foncièrement, uniquement raciste dans l’histoire du show c’est montrer qu’on ne connaît pas la série. Car tous les personnages, oui, tous, sont soumis au même traitement.
Les Simpson est une série humoristique, satirique, qui caricature la société comme peu de séries savent le faire (bien sûr, il y a South Park). Dès lors où on s’attaque au traitement du personnage d’Apu, cela signifie qu’on s’attaque en vérité au fait même de caricaturer. Oui, Apu a un accent très prononcé. Oui, Apu est épicier. Oui, Apu a une famille nombreuse. Oui, Apu est très poli. Oui, Apu ne ressemble pas, finalement, à la majorité des indiens. Pour la simple et bonne raison qu’Apu est une caricature. Une caricature a besoin de traits tirés à l’extrême. Parce que ces traits permettent un pas de côté. Et c’est ce pas de côté, ce recul, qui justifie la caricature.
Le problème avec Apu
Pourtant, je suis bien obligé de reconnaître qu’il y a un problème avec le personnage d’Apu. Le fait est que ce personnage a blessé une partie de la communauté indienne. Mais dans ce cas, quel est son problème ? Le documentaire The Problem with Apu, s’il n’est pas exempt de défauts, me semble néanmoins donner une partie de la réponse. Dans un extrait, diffusé le lundi 29 octobre dans l’émission Quotidien de Yann Barthès, Hari Kondabolu demande à une assemblée d’étudiants et d’étudiantes indiens combien d’entre eux ont été appelés Apu au moins une fois dans leur vie. Une main se lève. Puis deux. Puis cinq. Et on est alors stupéfait que ce personnage caricatural, somme toute inoffensif, puisse servir de blagues racistes. On se demande alors si, finalement, le problème ne viendrait pas d’Apu lui-même.
Mais je pense formellement que ce serait raisonner de manière simpliste que de considérer les choses ainsi. Il me semble qu’il faut au contraire creuser, pour trouver le véritable problème avec Apu. Je ne prétends pas avoir la science infuse, mais je suis persuadé du fait que le problème est extérieur au personnage lui-même. Il vient justement du fait qu’il est un des seuls personnages de la culture pop à être indien. Combien de personnages indiens compte la culture Pop ? Apu et sa famille, dans Les Simpson. Raj dans Big Bang Theory. Le personnage principal de Slumdog Millionaire. Il y en a sans doute d’autres, mais ils restent trop anecdotiques pour qu’on s’en souviennent naturellement. Il est là le problème : la culture indienne et le peuple indien ont tellement été ignorés par le cinéma, qu’une simple caricature a fini par devenir l’icône de cette culture. Une caricature qui n’avait nulle autre ambition que de faire rire, tout en s’inscrivant dans une mécanique caricaturale bien huilée (Springfield dans son ensemble). Le problème, ce n’est pas Apu. C’est l’ignorance de notre époque envers une communauté. Une ignorance tellement viscérale, tellement énorme, qu’un insignifiant personnage de fiction a pu s’y glisser, et grossir, encore et toujours, comme dans un moule, prenant finalement toute la place.
C’est pourquoi je m’insurge face à la suppression du personnage d’Apu. Parce qu’on ne corrige pas le véritable problème. Le problème est toujours là, caché. Notre ignorance est toujours la même. Apu sert juste de catalyseur.
L’irruption problématique du politiquement correct
La polémique qui a emmené à supprimer le personnage d’Apu des Simpson me semble par ailleurs symptomatique d’un problème au moins aussi grave. Celle de l’irruption continuelle du politiquement correct dans la culture de masse, irruption que beaucoup d’entre nous avions déjà notée lors de l’éviction de James Gunn de la réalisation des Gardiens de la Galaxie 3 par Disney.
Je n'ai rien contre le politiquement correct. Par contre, son irruption quasi-dictatoriale dans notre culture a tendance à me fatiguer. Et surtout à m’inquiéter. Je crois très fermement à l’Art et à ses bienfaits. Je crois dur comme fer à sa fonction cathartique. Et je pense également que l’Art doit être révélateur des travers d’une société. Empêcher l’Art de dénoncer ces travers, en se contentant de les dénoncer en amont, est à mes yeux assez grave. Je m’explique. Le personnage d’Apu, aussi caricatural puisse-t-il être, est également révélateur de quelque chose. Apu est la représentation d’un américain issu de l’immigration. Et il est intéressant de penser que son métier (épicier) puisse paraître comme la révélation de la place réservée aux personnes immigrées. Elles sont acceptées, oui. Mais à la périphérie de la société. On leur supprime toute ambition. Supprimer le personnage d’Apu pour dénoncer "le racisme inhérent" à la caricature du personnage, c’est empêcher cette caricature de s’exprimer sur le racisme de la société. Quel dommage !
Par ailleurs, je me souviens d’une interview de l’écrivain américain Jonathan Franzen (Les Corrections), publiée dans le numéro 5 du magazine America. Il y expliquait que les meilleurs écrivains étaient ceux qui pouvaient écrire, dans leurs romans, l’inverse de ce qu’ils pensaient réellement. Le problème c’est que l’irruption continuelle du politiquement correct tend finalement à empêcher cette possibilité à l’écrivain.
Et vous ? Qu’en pensez-vous ? Je serai ravi de débattre avec vous dans les commentaires.
Par jeanLucasec, il y a 5 ans :
Rendez-nous APU !
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