Cyberpunk 2077 : avant la sortie du jeu, remontons aux sources du mouvement cyberpunk !
La sortie prochaine du jeu vidéo Cyberpunk 2077 nous a donné envie de revenir sur le cyberpunk. Quelles sont les principales caractéristiques de ce mouvement, qui compte parmi les plus passionnants de la SF ? Quelles sont les grandes œuvres à voir et à revoir pour en comprendre toutes les subtilités ? C'est ce que nous allons voir dans ce dossier.
Qu'est-ce que le cyberpunk ?
A l'instar du space-opera, du steampunk ou encore de la hard-science, le cyberpunk est un sous-genre de la Science-Fiction. Si le terme "cyberpunk", mot-valise composé des termes "cybernétique" et "punk", apparaît pour la première fois en 1984, dans un article du Washington Post consacré à l'oeuvre de William Gibson (Le Neuromancien), le cyberpunk en tant que genre est plus ancien.
Pour découvrir les prémices du cyberpunk, il faut remonter à 1932, et la parution du chef d'oeuvre d'Aldous Huxley Le Meilleur des Mondes. Dans ce célèbre roman d'anticipation, l'écrivain britannique proposait une vision très négative de notre futur, en imaginant une société totalitaire et eugéniste. Si l'on peut difficilement parler d'oeuvre cyberpunk concernant Le Meilleur des Mondes, le roman en est pourtant un parent pas si lointain.
Car à l'instar du Meilleur des Mondes, les œuvres cyberpunk sont des dystopies ; elles nous plongent dans une société totalitaire, où l'humanité est, partiellement ou intégralement, dominée par un autre groupe : cela peut être un autre groupe social, comme dans Cyberpunk 2077, ou alors des machines, comme dans la trilogie Matrix des Wachowski.
Autre point commun que partagent les oeuvres cyberpunk avec Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley : ce sont des oeuvres qui interrogent notre rapport à la science et à la technologie. Ce faisant, ce sont des oeuvres qui interrogent notre propre humanité. Une autre oeuvre, majeure, de la Science-Fiction, a permis la naissance de ce mouvement : le cycle des Robots de l'écrivain américain Isaac Asimov. Non content d'évoquer les trois lois de la robotique, le cycle des Robots va faire rentrer les préoccupations transhumanistes et post-humanistes dans la littérature. Deux notions essentielles pour le cyberpunk. Nous vous conseillons vivement de lire notre dossier dédié à ces questions : Post-humanisme, du mythe du Golem à Westworld.
On peut donc voir le cyberpunk comme étant le fils bâtard de deux grandes oeuvres de la SF : Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley (la dystopie) et le cycle des Robots d'Isaac Asimov (pour la question du post-humain). Il faut dire que ces deux oeuvres sont assez complémentaires. Les dystopies nous projettent dans des sociétés totalitaires, à la manière de 1984 de George Orwell ou d'Un bonheur insoutenable d'Ira Levin, dans lesquelles une partie de l'humanité est asservie. Or, le terme "robot", au centre de la philosophie post-humaniste, vient du tchèque "robota", qui signifie "esclave". Dès le Metropolis de Fritz Lang (1927), les robots sont indissociables de la question ouvrière, dans le sens où ils sont tous deux les esclaves d'un capitalisme devenu fou. Les premiers réplicants de Blade Runner ont été créés pour les tâches pénibles et peu enviables (exploration de sites dangereux, prostitution) ; les robots de Westworld sont à la merci des désirs des richissimes visiteurs du parc, qui viennent calmer leurs pulsions, les tuant et les violant à loisir...
On l'a vu, de par ses inspirations, le cyberpunk est un mouvement profondément engagé. Ses héros sont souvent les victimes d'un système, qui les exclue ou qui est en train de les exclure. L'exemple le plus probant nous semble être le manga Gunnm de Yukito Kishiro. Dans ce chef d'oeuvre cyberpunk, récemment adapté au cinéma par Robert Rodriguez (Sin City) et James Cameron (Terminator), une partie de l'humanité vit dans la Décharge, tandis que l'autre, privilégiée, habite la merveilleuse cité suspendue de Zalem. Cette séparation spatiale on ne peut plus éloquente des différentes classes sociales est assez représentative du mouvement cyberpunk. On aurait pu aussi citer l'exemple de John Anderton, le personnage joué par Tom Cruise dans Minority Report de Steven Spielberg, que le système pourchasse après l'avoir utilisé toute sa vie durant...
Les grandes oeuvres du cyberpunk
S'il fallait retenir un auteur, absolument matriciel du mouvement cyberpunk, ce serait bien évidemment Philip K. Dick. L'écrivain américain, spécialisé dans les récits d'anticipation, a livré plusieurs chefs d'oeuvre, qui ont profondément marqué l'Histoire du mouvement : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1966), les nouvelles Rapport minoritaire (1956) et Souvenirs à vendre (1966), qui ont respectivement été adaptées dans trois chefs d'oeuvres du cinéma : Blade Runner (Ridley Scott, 1982), Minority Report (Steven Spielberg, 2002) et Total Recall (Paul Verhoeven, 1990). Philip K. Dick a eu une influence gigantesque dans le cyberpunk, et tous les auteurs s'y réfèrent, d'une manière ou d'une autre. C'est le cas notamment de l'ex-Monty Python Terry Gilliam (Brazil, 1985) ou de David Cronenberg (eXistenZ, 1999).
En adaptant Blade Runner, le légendaire réalisateur Ridley Scott (1982) a lui aussi eu une influence impressionnante sur le cyberpunk. Venant du milieu de la publicité, le cinéaste britannique d'Alien est un véritable faiseur d'images, et il est parvenu à imposer les codes esthétiques du cyberpunk avec Blade Runner : action se déroulant majoritairement la nuit, atmosphère brumeuse, ville aux néons aveuglants, style vestimentaire particulier. Presque quarante ans après le film, on continue de comparer les oeuvres de cyberpunk à Blade Runner.
Le cinéma a évidemment donné naissance à de grandes oeuvres cyberpunk : citons le RoboCop de Paul Verhoeven (1987), Le Cinquième élément de Luc Besson (1997), la trilogie Matrix des Wachowski (1999-2003), Chappie de Neill Blomkamp (2015), Blade Runner 2049 (Dennis Villeneuve, 2017). Même chose pour le petit écran : Person of Interest (CBS), Westworld (HBO), Altered Carbon (Netflix).
Les auteurs de bande-dessinée ne sont bien évidemment pas en reste. Si L'Incal de Jodorowsky et Moebius est répertorié parmi les oeuvres de space-opera, la BD francophone n'oublie pas, pour autant, d'avoir des accents cyberpunk. On peut également citer les comics britanniques Judge Dredd (John Wagner) et Transmetropolitan (Warren Ellis), ou encore Tokyo Ghost de l'américain Sean Murphy.
Si l'on parle beaucoup du cyberpunk anglophone, il faut également préciser que le Japon est un véritable vivier de la culture cyberpunk. L'illustre mangaka Katsuhiro Otomo a débuté l'écriture d'Akira en 1982, la même année que Blade Runner, et l'a adapté au cinéma en 1988. Véritable chef d'oeuvre cyberpunk, Akira traite les grands thèmes du mouvement (l'augmentation de l'humain, le nouvel urbanisme, lutte des classes), en les mêlant aux obsessions de son auteur (réflexion sur la violence, amour de la vitesse). Citons également les mangas de Ghost in the Shell de Masamune Shirow, débuté en 1989 et adapté en film d'animation en 1995 par Mamoru Oshii (Avalon), et Gunnm de Yukito Kishiro, commencé en 1990, que nous avons déjà évoqué plus haut. Moins connu, BLAME! de Tsutomu Nihei (1998) bénéficie, au même titre que les manga que nous venons de citer, d'une magnifique édition collector par les éditions Glénat.
Enfin, le cyberpunk a eu une influence majeure dans le jeu vidéo. Les jeux Deus Ex et Final Fantasy VII sont d'énormes succès critiques. Et on doute pas un instant que Cyberpunk 2077 saura apporter sa pierre à l'édifice de ce mouvement passionnant que nous admirons tant.