Sept films exceptionnels sur Hollywood
A l'occasion de la sortie de Hollywood, la nouvelle mini-série de Ryan Murphy (American Horror Story, Glee), fraîchement débarquée sur Netflix (nous vous en proposons une critique en bonus, en fin d'article), nous vous avons concocté une sélection de sept films traitant de Hollywood. La Cité des Anges passe son temps à se regarder le nombril, et c'est véritablement grisant. Alors, c'est parti pour un voyage dans l'Histoire du Cinéma.
1 - Once Upon a Time... in Hollywood (Quentin Tarantino, 2019)
Toute la carrière cinématographique de Quentin Tarantino, de Reservoir Dogs à The Hateful Eight peut être (grossièrement) résumée en un geste : rendre hommage au cinéma qui l'a forgé en tant qu'homme et en tant qu'artiste. Qu'il rende hommage aux films de gangster (Reservoir Dogs, Pulp Fiction), aux films de la blaxploitation (Jackie Brown), aux films de sabres japonais (Kill Bill), aux séries B (Death Proof), aux films de guerre (Inglourious Basterds) ou aux westerns-spaghettis (Django Unchained, The Hateful Eight), Quentin Tarantino fascine autant par son immense culture cinématographique que par sa capacité à faire siens des codes séculaires., qu'il retourne avec une malice délicieuse. Quentin Tarantino est un réalisateur qui aime le cinéma, et qui nous le fait aimer aussi passionnément que lui. Aussi, Once Upon a Time... in Hollywood, son dernier film en date tient de l'évidence. Dans ce véritable chef d'oeuvre (dont on vous a dit tout le bien qu'on en a pensé dans cet article), Once Upon a Time... in Hollywood, Quentin Tarantino raconte, à travers l'histoire de l'acteur has-been Rick Dalton (magnifiquement interprété par Leonardo DiCaprio) et sa doublure-cascade (avec un Brad Pitt magnétique, dont l'interprétation lui vaudra un Oscar), le Hollywood de l'année 1969, année charnière dans l'Histoire culturelle américaine, année de la perte de l'innocence, symbolisée par l'assassinat monstrueux de Sharon Tate, tuée par des membres de la Manson Family. Le regard, plein de tendresse et de nostalgie de Quentin Tarantino pour un Hollywood en pleine période de bouleversements, fait de Once Upon a Time... in Hollywood le plus mélancolique de sa carrière (avec Jackie Brown). Mais voir dans Once Upon a Time... in Hollywood uniquement un hommage du cinéaste de Pulp Fiction à Hollywood serait ignorer les nombreux niveaux de lecture de ce film. Quentin Tarantino rend également hommage aux cinéastes qui l'ont construit, autant qu'aux seconds couteaux du cinéma hollywoodien. Les héros de ce film sont des losers magnifiques. Rick Dalton craint de ne plus être dans le coup, Cliff Booth est constamment menacé par le chômage. Mais c'est grâce à eux qu'Hollywood parviendra à garder son innocence. Ensuite, comme dans Inglourious Basterds, dans lequel Adolf Hitler était tué dans une salle de cinéma, Quentin Tarantino semble signifier que le cinéma est toujours plus beau que la vraie vie. Bref, Once Upon a Time... in Hollywood, s'il a été boudé par une partie du public de Quentin Tarantino, déçus de ne pas avoir vu les explosions d'hémoglobine habituelles du réalisateurs de Kill Bill et Django Unchained, n'en demeure pas moins un très grand film, rapidement appelé à devenir un grand classique du cinéma américain.
2 - Ed Wood (Tim Burton, 1994)
Bien qu'il soit un film malheureusement trop méconnu du réalisateur de Charlie et la Chocolaterie et d'Alice au Pays des Merveilles, Ed Wood est pourtant l'un des films les plus personnels de Tim Burton, et sans doute aucun, un de ses plus émouvants. Sorti pendant la période la plus intéressante de la carrière de Burton, celle qui va de Beetlejuice à Sleepy Hollow, Ed Wood raconte la vie, romancée, d'Ed Wood, considéré comme le plus mauvais réalisateur de l'Histoire, mais dont le style, profondément original, artisanal et personnel, a su conquérir des générations d'amateurs de nanars qui lui vouent un culte. Que Tim Burton, réalisateur auréolé de succès, que les grands studios s'arrachent, se reconnaisse en Ed Wood, mort dans les années 1970 dans l'anonymat le plus total, peut paraître incongru. Cependant, Tim Burton voit plus d'un point commun entre son parcours personnel et celui d'Ed Wood, qu'il rapporte dans le livre d'entretiens Tim Burton - Entretiens avec Mark Salisbury. Tous deux aiment le cinéma de genre, tous deux ont voué une amitié forte avec leur idole (Vincent Price pour Tim Burton, Bela Lugosi pour Ed Wood), tous deux étaient perçus comme des originaux. Et surtout, Burton, qui aime les vieux films (dont les films d'Ed Wood), et les vieilles techniques cinématographiques (à commencer par l'animation image par image), a pu s'émouvoir du côté artisanal des films d'Ed Wood. Aussi, que ce film en noir et blanc sorte en 1994, alors que le cinéma hollywoodien est en train de changer de forme, pour se diriger vers un système où les blockbusters à gros effets spéciaux sont en train de devenir la norme (le film est sorti un an après la révolution Jurassic Park), Ed Wood prend des airs de manifeste artistique.
3 - Mulholland Drive (David Lynch, 2001)
Difficile d'écrire un tel article sans parler de Mulholland Drive de David Lynch, qui a raflé en 2001 le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Mulholland Drive est un film-monument. Un film qui nous dépasse. Tenter de résumer ce chef d'oeuvre de David Lynch, c'est aussi difficile et délicat que de tenter de soigner un mal de tête avec un marteau-piqueur. Alors, et nous vous demandons pardon d'avance, nous allons vous donner le résumé le plus bateau qui soit, qui ne prend pas en compte toute la complexité de cette oeuvre onirique aux multiples niveaux de lecture, sorte d'escapade Murakamienne transposée à Hollywood : Betty Elms (merveilleuse Naomi Watts), jeune actrice en devenir, rencontre Rita, jeune femme devenue amnésique, qui vient d'arriver dans la Cité des Anges. Cette oeuvre de 2h26 traite de la question du double (au centre de la question de l'acteur), et fait de Hollywood un lieu paradoxal : une cité des rêves, dans laquelle on va pour se retrouver, mais où on se perd souvent. Un lieu aussi labyrinthique et cryptique que ce film, où le cynisme se dispute à la nostalgie.
4 - Aviator (Martin Scorsese, 2004)
Pour sa deuxième collaboration avec Leonardo DiCaprio, sa nouvelle coqueluche. Si Aviator n'est pas le film le plus apprécié de Martin Scorsese, trop souvent relégué à ses films (monumentaux) de gangsters (Mean Streets, Les Affranchis, Casino, Les Infiltrés), Aviator n'en demeure pas moins un grand film du légendaire réalisateur. On le sait moins, mais Martin Scorsese est un passionné de cinéma. Rappelons que Martin Scorsese a réalisé en 1995 un documentaire passionnant de 3h45, intitulé Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, des débuts du cinéma muet à 1969, année, heureux hasard, de l'action du film Once Upon a Time... in Hollywood de Quentin Tarantino, qui fait également partie de notre sélection. (Scorsese reviendra à l'histoire du cinéma avec Hugo Cabret, sorti en 2011.) Dans Aviator, Martin Scorsese raconte l'histoire vraie d'Howard Hughes, riche homme d'affaire, passionné par les avions et le cinéma, bien décidé à produire et réaliser le film le plus ambitieux et le plus coûteux de l'Histoire. Comme d'habitude avec Martin Scorsese, le film, servi par un casting des plus prestigieux (Leonardo DiCaprio, Cate Blanchett, Adam Scott, Jude Law, Willem Dafoe), est une véritable fresque, Scorsese s'amusant autant à reconstituer la vie d'un homme (avec l'habituelle ascension automatiquement suivie d'une chute, schéma cher au cinéaste) qu'une époque. Les costumes, les décors, tout y est grandiose. Aviator est un must-see absolu, une oeuvre gigantesque d'un cinéaste légendaire.
5 - Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (Robert Aldrich, 1962)
Les fans de Ryan Murphy (American Horror Story, Glee) en ont forcément entendu parler, puisque sa série Feud parle de ce film de Robert Aldrich, racontant la guerre que se livrent deux soeurs actrices, l'une totalement oubliée par le public, l'autre qui se voit auréolée de gloire. La première est interprétée par la légendaire Joan Crawford, la seconde par le monstre sacré Bette Davis. Ce film, qui dénonce avec férocité le culte de l'image hollywoodienne, est un véritable monument du Septième Art. Pour donner plus d'intensité au jeu des actrices, qui étaient déjà deux grandes rivales, la production a proféré des rumeurs sur l'une et sur l'autre, afin d'attiser leur animosité, à tel point que Joan Crawford et Bette Davis en sont venues aux mains... Joan Crawford a d'ailleurs milité pour que Bette Davis n'obtienne pas l'Oscar de la Meilleure Actrice pour Qu'est-il arrivé à Baby Jane ?, c'est dire à quel point la réalité a rattrapé la fiction... Regardez ce film, regardez la série de Ryan Murphy (et écoutez le merveilleux podcast Pardon le cinéma, qui traite de ce film dans son septième épisode).
6 - Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Robert Zemeckis, 1988)
Produit par Disney (via sa filiale Touchstone) et Steven Spielberg, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est assurément un des meilleurs films du réalisateur génial de la trilogie Retour vers le Futur, de A la poursuite du Diamant Vert et Forrest Gump. Pour plusieurs raisons, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est un très grand film. Tout d'abord, c'est une excellente comédie. On y rit beaucoup, le film est fun, du début à la fin. Ensuite, le film de Zemeckis est le film qui mêle le plus efficacement prises de vues réelles et cinéma d'animation depuis Mary Poppins (Robert Stevenson, 1964). Enfin, le film rend hommage autant au cinéma d'animation qu'aux films noirs, avec une folle efficacité. Et surtout, Roger Rabbit, malgré ses nombreux anachronismes est un superbe film d'époque. Alors que vient de débuter sur Showtime Penny Dreadful : City of Angels, spin-off de Penny Dreadful se déroulant dans la Cité des Anges, et qui, malgré tout l'intérêt que nous lui portons, a son lot de scènes nanardesques, il nous semblait nécessaire de rappeler ce chef d'oeuvre de Robert Zemeckis.
7 - Maps To The Stars (David Cronenberg, 2014)
Le dernier film en date de David Cronenberg, le réalisateur culte de La Mouche, Videodrome, A History of Violence et Les Promesses de l'Ombre, est certainement un de ses moins appréciés. Retrouvant Robert Pattinson (après le très sous-estimé Cosmopolis, sorti en 2012), David Cronenberg livre le portrait le plus désabusé jamais fait de Hollywood. Sous son oeil cynique et nihiliste, la Cité des Anges se transforme en Enfer. Les anges, chez Cronenberg, ont du plomb dans l'aile, et de la cocaïne dans le nez. David Cronenberg a su s'entourer d'un casting étoilé, avec Julianne Moore (Les Fils de l'Homme, Le Monde Perdu : Jurassic Park) en actrice hollywoodienne vivant dans l'ombre de sa mère, Mia Wasikowska (Alice au Pays des Merveilles, Stoker), jeune fille pyromane fraîchement libérée d'un hôpital psychiatrique, John Cusack (La Ligne Rouge) en psychologue ultra-médiatisé et aux dents longues, exploitant les faiblesses de ses patients, ou Evan Bird, enfant-star exploité par sa mère, et qui va de cure de désintoxication en cure de désintoxication. S'il évident que Maps To The Stars n'est pas le meilleur film de Cronenberg, il en demeure pas moins un codex pratique pour décoder la cinématographie de ce réalisateur de génie, qui a toujours vécu aux marges du système hollywoodien. Ses personnages, stars névrosées, accrocs aux drogues dures et au sexe, sont dans la pure tradition du personnage Cronenbergien.
BONUS : Hollywood (Ryan Murphy, 2020)
Seconde série de Ryan Murphy pour Netflix après The Politician, Hollywood est une mini-série de sept épisodes, diffusée dans son intégralité sur la plateforme le 1er mai 2020. La mini-série raconte les aventures de personnages voulant faire carrière dans le Hollywood de la fin des années 1940 (acteurs, scénaristes, réalisateurs), et qui sont tous, à leur manière, relégués à la lisière du système hollywoodien, du fait de leurs origines ethniques (afro-américains, asiatiques, juifs) ou de leur orientation sexuelle. Face à un système qui les exclut, ces personnages sont bien décidés à changer le système de l'intérieur. Cette nouvelle escapade Hollywoodienne pour Ryan Murphy (rappelons qu'il avait créé pour la chaîne FX la série Feud) est une véritable réussite. Tout d'abord, la direction artistique est splendide. Si on n'arrive pas à la beauté plastique de séries Netflix telles que Godless ou Mindhunter, on est quand même dans le haut du panier de la célèbre plateforme de VOD. Cette reconstitution fantasmée de l'âge d'or d'Hollywood est à tomber. Cependant, le fantasme de Murphy n'est pas un fantasme d'ordre nostalgique, comme le Hollywood fantasmé de Tarantino. Non, il s'agit plutôt d'un fantasme, qui place son histoire plus du côté de l'uchronie que de la reconstitution minutieuse d'une époque. Or, derrière cette uchronie, se cache un véritable manifeste pour l'ouverture du système hollywoodien. Une scène de l'épisode 2, absolument magnifique, vient nous confirmer cette ambition. On y voit l'essai de l'actrice sino-américaine Anna May Wong (interprétée par Michelle Krusiec) pour le film Visages d'Orient de Sidney Franklin (1938). On voit son essai via la caméra noir et blanc, et son format 4/3. L'interprétation est particulièrement émouvante. Ryan Murphy nous montre ce qu'aurait pu être Visages d'Orient si Anna May Wong n'avait pas été remplacée par Louise Rainer, du fait que la première soit asiatique et la seconde blanche. La série interroge également la représentation des minorités dans le cinéma hollywoodien. L'hypersexualisation des asiatiques (longtemps cantonnée aux rôles de nymphomanes accroc à l'opium) n'est-elle pas un continuum de l'imagerie caricaturale de l'afro-américain ?
On regrette cependant que, malgré l'intérêt profond des questions que soulève la série sur les pièges de la représentation par l'image, la série manque parfois de finesse. En effet, les scènes de sexe, nombreuses, si elles ne gâchent en rien le plaisir que nous pouvons avoir à regarder la série, en font cependant un objet étrangement paradoxal. La sexualité y est extrêmement présente, mais est-ce pour servir le récit, ou alors est-ce là encore un piège de la représentation dans lequel sont tombés Ryan Murphy et ses équipes, les scènes de sexe étant devenues un passage obligé (et faussement transgressif) du format télévisuel ? Attention toutefois, nous ne disons pas que les scènes de sexe de Hollywood ne servent pas le propos de la série. Nombreuses sont celles qui viennent soulever la question de la domination (pas nécessairement patriarcale, mais hiérarchique), question essentielle depuis l'affaire Weinstein. Cependant, on parle de leur représentation. Si Hollywood n'hésite pas à mettre en avant la sexualité de personnages féminins plus âgés que d'habituellement, la représentation est beaucoup plus explicite, les personnages sont beaucoup plus dénudés si l'actrice est sexy. D'où notre questionnement sur un Ryan Murphy tombé dans le piège qu'il a pourtant repéré.
Il n'empêche que nous avons pris énormément de plaisir à regarder cette mini-série. Son propos nous a profondément intéressé, et ses personnages sont particulièrement attachants, servis par un très bon casting, majoritairement débutant : David Corenswet (The Politician), Darren Criss (Glee), Laura Harrier (Spider-Man : Homecoming, BlackKklansman), Joe Mantello (Law & Order), Dylan McDermott (American Horror Story), Jake Picking (Top Gun : Maverick), Jeremy Pope (The Ranger), Holland Taylor (Mr. Mercedes), Samara Weaving (Guns Akimbo), Patti LuPone (Penny Dreadful), Maude Apatow (Girls, Euphoria), Michelle Krusiec (Fringe), et sans oublier les inénarrables Billy Boyd (Pippin dans Le Seigneur des Anneaux) et Jim Parsons (Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory). Bref, une série que nous vous conseillons vivement !