Aux sources de Tolkien : anatomie d’une oeuvre
Si Tolkien avait eu la longévité de ses personnages, il fêterait le 3 janvier 2016 son 124ème anniversaire. On a l’impression d’avoir tout dit sur Tolkien, sur son génie, sur son oeuvre. Pourtant, comme dans un vieux conte, on découvre chaque fois quelque chose de nouveau, un détail qui nous émeut, et nous fait apprécier plus encore celui qui fut le plus grand auteur du XXème siècle : son intérêt pour les langues anciennes et les cartes, son esprit très british, son amour profond pour la nature. On est alors surpris que Tolkien n’ait jamais pastiché Flaubert, écrivant : "Bilbo Baggins, c’est moi." Profitons de l’anniversaire de la naissance de Tolkien, pour découvrir ensemble les secrets cachés dans son oeuvre, et plus particulièrement les oeuvres qui l’ont inspiré.
Beowulf, le feu d’une passion
Beowulf est un guerrier geat qui a débarrassé le Danemark de Grendel, un monstre mangeur d’hommes. Le Guerrier a tranché le bras du Monstre, qui se replie dans son antre pour mourir. Rentrant chez lui, Beowulf devient roi. Les années passent, et Beowulf règne en paix. Jusqu’au jour où un esclave vole la coupe cachée dans le repaire d’un dragon. Lorsque le dragon s’en aperçoit, il s’envole et brûle tout sur son passage en représailles. Beowulf combat le dragon, le tue, mais succombe à ses blessures.
On ne parle pas suffisamment de la passion qu’avait Tolkien pour le poème épique médiéval anglo-saxon Beowulf. Il l’a longtemps étudié, en a même fait l’objet d’une conférence en 1936, Beowulf : Les Monstres et les critiques, texte de référence encore aujourd’hui dans l’étude du poème médiéval. À noter que l’auteur anglais a également traduit le poème. Sa traduction a été publiée cette année aux éditions Bourgeois.
Tolkien s’est fortement inspiré du monstre de Grendel pour écrire Gollum. Tout comme Grendel, lointain descendant de Caïn, Gollum a une origine humaine. Tous deux ont également un corps tordu, vouté, et sont d’une méchanceté et d’une cruauté exceptionnelles. L’histoire de Smaug est elle aussi, bien évidemment, inspirée de Beowulf. Un trésor volé dans le repère d’un dragon, le dragon en colère survole une ville qu’il détruit. Souvenez-vous du triste sort réservé à la ville d’Esgaroth, aussi appelée Lacville Le Bourg-du-Lac, dans Le Hobbit.
Peter Jackson, qui a adapté Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux au cinéma, a lui aussi fait un clin d’oeil à Beowulf. Dans Un Voyage inattendu, Balin raconte à Bilbo, Fili et Kili comment Thorin a "tué" Azog, le Profanateur. Souvenez-vous ! Thorin tranche le bras d’Azog, qui s’enferme dans les mines de la Moria, où, dit-on, il meurt de ses blessures.
La Mythologie nordique, des dieux et des nains
Et si je vous disais que le nom de Gandalf et des treize nains du Hobbit sont tous tirés d’un vieux manuscrit islandais, intitulé L’Edda poétique ? Impossible, me diriez-vous ! Et pourtant, c’est véridique : les noms de Gandalf, Bifur, Bofur, Bombur, Ori, Dori, Nori, Fili, Kili, Dwalin, Óin, Glóin et Thorin sont tous tirés du manuscrit islandais. Seul Balin fait exception, puisqu’il porte le nom d’un chevalier de la légende arthurienne, bien qu’un universitaire spécialiste de l’oeuvre de Tolkien, John Rateliff, ait avancé l’idée que Balin soit une altération de Vali, ou de Bláin.
Tolkien a comparé Gandalf au dieu nordique Odin, dont l’une des apparences est celle d’un vieillard avec une longue barbe, un chapeau et une lance. La seule différence, c’est que Gandalf n’est pas borgne. Mais on peut pousser la comparaison entre le Magicien de la Terre du Milieu et le dieu nordique plus en profondeur. En effet, Odin est le Dieu de la Victoire, qu’il offre à ses protégés. Si la Victoire n’est jamais garantie pour Gandalf, il n’en demeure pas moins qu’il parvient toujours à l’offrir à ses amis.
La Mythologie nordique a également inspiré à Tolkien le Balrog. On reconnait en lui le Géant du Feu Surt, qui menace l’Univers. Quant au pont de Khazad-dûm, il est directement tiré du Pont de Bifrost, qui s’effondrera lors du Ragnarök.
Enfin, les runes qu’on trouve dans Le Hobbit et dans Le Seigneur des Anneaux existent bel et bien. Il s’agit du futhark, un alphabet utilisé par les anciens peuples anglo-saxons, germaniques et scandinaves.
L’Anneau du Nibelung et l’Anneau Unique
Entre 1849 et 1876, le compositeur allemand Richard Wagner écrit une tétralogie d’opéras, regroupés sour le nom Der Ring des Nibelungen, traduit en français par L’Anneau du Nibelung. La tétralogie de Wagner est inspirée par le Nibelungenlied, ou La Chanson des Nibelungen, poème épique allemand datant du début du XIIIème siècle, et qui narre les exploits du chevalier Siegfried.
Le Nain Alberich désire séduire les Ondines, gardiennes de l’Or du Rhin. Mais parce qu’elles se moquent de lui, il vole l’Or du Rhin et forge un Anneau donnant puissance et richesse. Mais lorsque Wotan, équivalent d’Odin en Allemagne, le lui vole, Alberich maudit l’Anneau. Avec l’Anneau, Wotan paie les géants Fafner et Fasolt, qui ont construit le Walhalla. Pour posséder l’Anneau, Fafner tue son frère Fasolt. Wotan, quant à lui, devra lui aussi subir la malédiction de l’Anneau. Ses deux jumeaux, fruits d’une relation adultère avec une humaine, Sigmund et Sieglinde, sont amoureux. Alors que Siegmund combat le mari de sa soeur jumelle, Wotan demande à sa Walkyrie Brunehilde de le sauver. Mais Fricka, sa femme et déesse du Mariage, le contraint d’abandonner Siegmund à son triste sort. Brunehilde désobéit, et le sauve. Wotan punit Brunehilde, l’endormant au sommet d’un rocher entouré des flammes du dieu Loge.
Seul un héros qui ne connaitrait pas la peur pourrait sauver Brunehilde de son sommeil, et l’épouser. Pour récupérer l’Anneau, le frère du nain Alberich, Mime, a élevé Siegfried, fils de Siegmund et de Sieglinde, afin qu’il tue Fafner devenu dragon. Armé de Notung, l’épée reforgée de son père, Siegfried tue le dragon, et récupère l’Anneau. Mais le nain Mime, désirant voler l’Anneau à Siegfried, tente de l’empoisonner, avant d’être tué par ce dernier. Ne connaissant pas la peur, Siegfried s’en va ensuite sauver Brunehilde. Mais Wotan tente de l’en empêcher, Siegfried brise la lance de son grand-père avec son épée, Wotan est défait, et Siegfried peut sauver Brunehilde et l’épouser. Les années passent, et Hagen, le fils d’Alberich, désire récupérer l’Anneau de son père. Siegfried, lui aussi maudit par l’Anneau, ne se souvient plus de Brunehilde, et tombe amoureux de la soeur du roi Gunther, Gutrune. Trahie, la Walkyrie l’accuse, mais Siegfried dément, jurant que si jamais il avait été amoureux de Brunehilde, il serait tué par la lance de Hagen. Alors Hagen lui rend la mémoire et le tue. Informée par les filles du Rhin, Brunehilde comprend alors toute la signification des événements. Elle prépare un bucher pour Siegfried, et plonge avec lui dans le feu. L’Anneau voulait le Crépuscule des Dieux, c’est à dire la destruction du monde divin. L’incendie monte jusqu’au ciel, et tue les dieux qui vivait au Walhalla. La terre appartient désormais aux hommes.
L’Anneau du Nibelung est un très beau texte, où Tolkien semble avoir trouvé l’inspiration pour créer l’Anneau Maudit, mais aussi l’épée reforgée Narsil. Pour information, Tolkien s’est défendu d’une totale inspiration de l’Anneau du Nibelung, affirmant dans ses Lettres page 306 : "Ces deux anneaux l’Anneau unique et l’Anneau des Nibelungen sont ronds, et c’est là leur seule ressemblance." Cependant, le pouvoir corrupteur de l’Anneau n’est pas présent dans le Nibelungenlied, et a été inventé par Wagner.
Autres inspirations
Tolkien était un très grand médiéviste, et a traduit de très nombreux textes, comme Sire Gauvain et le Chevalier Vert, livre fondateur de la littérature anglo-saxonne. S’il juge la légende arthurienne comme trop exubérante, il n’en demeure pas moins que la relation entre Gandalf et Aragorn rappelle beaucoup celle qu’entretiennent dans les livres médiévaux Merlin et Arthur. D’autres parallèles ont été faits entre l’oeuvre de Tolkien et Les Quatre Branches du Mabinogi, oeuvre fondatrice de la littérature galloise. Enfin, Les Lais du Beleriand rappelle par son nom la forme poétique médiévale du lais, comme ceux de Marie de France.
Tolkien s’est également inspiré de romans modernes tels que Aycha ou le Retour d’Elle d’Henry Rider Haggard, dont le personnage éponyme a servi de modèle pour le personnage de Galadriel. Toutes deux sont reines, immortelles et possèdent le pouvoir de clairvoyance.
Voilà pour ce petit aperçu des inspirations de Tolkien. N’allez pas croire que Tolkien n’est qu’un vulgaire plagieur : en s’inspirant de toutes les oeuvres que nous avons mentionnées, il a créé un univers aussi complet qu’unique. Il reste aujourd’hui encore le plus grand auteur du XXème siècle.
Très bon article cela dis.
Frodon n'à pas marché sur l'eau, n'à pas changer l'eau en vin, n'a pas multiplier les pains etc...
(TROLL ON) : c'est quoi ces super pouvoir ? Superman à des super pouvoir plus classe que de faire du pain et de marcher sur l'eau. Non, vous ne trouvez pas ?
Il y a beaucoup à dire sur la figure christique d'Aragorn (qui est héritier de la ligné d'Elendil comme Jésus descend de celle de David) ou de Gandalf (un Dieu/Maïa qui s'est fait Homme) par exemple...
Au risque de faire une redite, Tolkien était un fervent catholique, ses oeuvres sont imprégnés de référence a la bible, mais également au textes saxons et scandinave, qui sont ses deux principales sources, même si on peut y rajouter les mythes gréco-romains (l'illiade et l'odyssé, l'histoire romaine), Tolkien est aussi un mythologue.