Vieux de 2 millions d'années, cet ADN révèle l'existence d'un monde perdu
Au fil des découvertes, les scientifiques sont en mesure de comprendre toujours un peu mieux notre monde et son histoire. L'année dernière, des chercheurs parvenaient à extraire de l'ADN d'un mammouth vieux de 1,2 million d'années. Record battu en 2022 avec de l'ADN vieux de 2 millions d'années tout de même, révélant au passage l'existence d'un monde perdu.
un monde perdu révélé par la fonte des glaces
Avec l'augmentation des températures partout sur la planète, les pergélisols fondent. Un phénomène qui relâche dans l'atmosphère des tonnes de gaz à effet de serre à des vitesses folles, de quoi inquiéter les spécialistes. Malgré tout, ce dégel sort de terre des éléments jusqu'ici inaccessibles. Et piégés profondément sous l'embouchure d'un fjord de l'océan Arctique, à l'extrême nord du Groenland, des chercheurs ont mis la main sur des fragments d'ADN contenus dans des sédiments. Une fois daté, cet ADN s'est révélé remonter à 2 millions d'années, rien que ça.
Crédits: NOVA, HHMI Tangled Bank Studios & Handful of Films
Via une étude publiée dans la revue Nature, le professeur Eske Willerslev, son auteur et généticien évolutionniste de l'université de Copenhague, explique avoir ouvert la porte à des possibilités passionnantes en matière d'échantillonnage ADN ancien, notamment car cette découverte remet en question leur compréhension de l'ADN.
"En 2005, un an avant que nous ne prélevions ces échantillons, j'ai publié un article dans lequel j'affirmais que l'ADN ne pouvait survivre qu'un million d'années - j'avais donc clairement tort", explique Eske Willerslev en conférence de presse. "Je ne serais pas surpris s'il s'avérait que nous pouvons remonter deux fois plus loin dans le temps."
En plus de lui prouver que sa théorie était erronée, sa découverte lui aura permis de poser les yeux sur un mélange inhabituel d'organismes tempérés et arctiques, un écosystème qui n'existe nulle part sur notre planète actuellement. Un écosystème dont la base était constituée d'une forêt boréale ouverte avec une végétation mixte de peupliers, de bouleaux ou encore de thuyas, couplée à une variété d'arbustes et d'herbes arctiques et boréales. Neuf taxons - "une entité conceptuelle qui regroupe tous les organismes vivants" explique Wikipédia - d'animaux ont été découverts ici, à savoir des rennes, oies, lièvres, lemmings, limules de l'Atlantique ou encore des mastodontes.
Bien que physiquement proches des mammouths et des éléphants pour un non-initié, les mastodontes sont de grands mammifères disparus il y a environ 11 000 ans, à la fin de la période glaciaire. Mais là où la découverte est intéressante, c'est que les mastodontes se trouvaient généralement beaucoup plus au sud, en Amérique du Nord et en Amérique centrale. Une découverte qui nous révèle un Groenland complètement inédit, avec une végétation luxuriante et une faune plus riche que prévu.
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Un monde perdu qui fleurissaient sous des températures plus clémentes qu'aujourd'hui (de 11 à 19°C) qui permettra aux scientifiques de mieux comprendre comment les écosystèmes se sont adaptés aux changement climatique.
"Nous avons une feuille de route génétique de la façon dont les écosystèmes s'adaptent au changement climatique, à des climats plus chauds. Si nous parvenons à lire correctement cette feuille de route, elle contient vraiment la clé pour comprendre comment nous pouvons aider les organismes à s'adapter à un climat qui change très rapidement", explique le professeur Willerslev.
"L'un des facteurs clés ici est de savoir dans quelle mesure les espèces seront capables de s'adapter au changement des conditions découlant d'une augmentation significative de la température", continue le professeur adjoint Mikkel W. Pedersen, co-auteur principal de l'article basé au Centre de géogénétique de la Fondation Lundbeck, via un communiqué consulté par IFLScience.
"Les données suggèrent que davantage d'espèces peuvent évoluer et s'adapter à des températures très variables qu'on ne le pensait auparavant. Mais, de manière cruciale, ces résultats montrent qu'elles ont besoin de temps pour le faire. La vitesse du réchauffement climatique actuel signifie que les organismes et les espèces n'ont pas ce temps, de sorte que l'urgence climatique reste une énorme menace pour la biodiversité et le monde - l'extinction est à l'horizon pour certaines espèces, y compris les plantes et les arbres", conclu Pedersen.
Reste à savoir si les scientifiques parviendront à mettre la main sur un ADN encore plus vieux. Un record qui ne cesse d'être battu année après année, 2023 pourrait bien nous réserver quelques surprises dans le domaine.